— Par Yves-Léopold Monthieux —
L’insatisfaction institutionnelle de la France étant permanente, on parle de plus en plus de la venue de la 6ème République. C’est même une curiosité française, après le béret, le pain et la bouteille de vin. Mais personne ne dit ce qu’il faudra mettre à l’intérieur de la nouvelle constitution. Sans doute par crainte que sitôt fait le projet ne soit soumis à la critique.
Deux éléments fondamentaux caractérisent la 5ème République : l’élection du président de la République au suffrage universel et l’élection de l’assemblée nationale au scrutin majoritaire à 2 tours. Projeter que le président de la République ne soit plus élu au suffrage universel, il est difficile de l’imaginer à un moment où les gilets jaunes entendent non seulement élire directement leurs dirigeants, mais aussi les révoquer. Par ailleurs, instaurer l’élection à la proportionnelle de l’assemblée nationale, c’est le retour de la 4ème République et à l’instabilité ministérielle. C’est de cette instabilité qu’est née la toute-puissance de la haute administration qui a été conduite à pallier la vacuité du pouvoir. Déjà, si l’assemblée nationale devait être dissoute aujourd’hui, la faiblesse des partis politiques, in-susceptibles de réunir une majorité cohérente, pourrait conduire à une situation d’instabilité proche de celle de la « quatrième ». C’est dire que la « corde » est peut-être sur le point d’être « cassée ».
Il est reproché à l’actuel chef de l’Etat de vouloir appliquer son programme électoral alors qu’il n’a eu au premier tour que 24% des votants. Dans toutes les démocraties, à tous les niveaux (municipal, régional, législatif, présidentiel), les majorités sont « minoritaires ». Elles sont toujours relatives. Elles le sont en toute hypothèse par rapport aux inscrits sur les listes électorales. S’agissant des votants, avec les votes blancs et nuls, les majorités ne sont jamais que celles des suffrages exprimés.
Les élus sont minoritaires aux États-Unis et au Royaume-Uni où le bipartisme ne permet pas l’expression des tendances minoritaires. Sauf quelque réserve, cependant, pour le two party system de la Grande-Bretagne. Pourtant, les victoires des gagnants, qui réunissent la majorité des suffrages exprimés, ne sont jamais contestées au nom de la règle électorale. Il n’est jamais reproché aux présidents des USA ainsi qu’aux représentants ou sénateurs d’être mal élus du fait de cette règle. En revanche, en France, il est parfaitement possible à 10 candidats de se partager les voix au premier tour de l’élection présidentielle. C’est un élément de démocratie qui conduit à l’expression d’autant de sensibilités politiques différentes. Il en résulte que structurellement le président élu n’obtient la majorité des suffrages qu’au second tour. Même le général de Gaulle y avait été contraint. Sinon, à quel niveau de pourcentage obtenu au premier tour, le président de la République serait-il autorisé à présider ?
Quoi qu’il en soit, il est absurde de renvoyer l’élu à son résultat du premier tour et aberrant de vouloir supplanter celle du gagnant par une quelconque légitimité des perdants. Une légitimité qui émanerait de l’addition des défaites, nécessairement antagoniques, du premier tour. Peut-on opposer à la majorité remportée au second tour l’addition des scores des adversaires battus du premier tour ? Une telle démarche qui serait la négation de la démocratie ne pourrait qu’être paralysante pour le pays.
Il est encore plus incongru que ce renvoi émane de chefs de partis qui ont été battus par le supposé mal élu. Lesquels, en ce moment, faute de comprendre le mouvement populiste des gilets jaunes, s’emploient à y faire leur lit. Sauf que la couche pourrait s’avérer très vite inconfortable.
Fort-de-France, le 6 janvier 2019
Yves-Léopold MONTHIEUX