La 19e édition du Prix littéraire Fetkann ! Maryse Condé, « Mémoire des pays du sud / Mémoire de L’Humanité », a dévoilé ses lauréats.
Prix Fetkann ! de la Mémoire
Fatou Diome, Marianne face aux faussaires, Peut-on devenir français ?, Albin Michel, 2022
« Vivant en France depuis 1994, française depuis 2002, j’ai constaté l’évolution du discours politique qui n’a cessé de dériver, jusqu’à la cristallisation actuelle autour de l’identité. Pour la binationale que je suis, construite par la langue et les valeurs humanistes, la tristesse va crescendo. Bien que consciente de mon impuissance, j’ai la faiblesse de ne pouvoir être indifférente aux voix qui s’élèvent, prônant la haine. » Fatou Diome
Dans cet essai personnel et émouvant, Fatou Diome renvoie dos à dos les identitaires étriqués et les opportunistes victimaires, qui monopolisent le débat politique. Elle défend Marianne contre les faussaires des deux camps et dessine une France ouverte, laïque, lucide et généreuse, celle qui lui donne envie de se sentir française et sénégalaise.
La romancière Fatou Diome s’est fait connaître en 2003 avec Le Ventre de l’Atlantique, grand succès traduit en une vingtaine de langues. Plus récemment, elle a publié aux éditions Albin Michel un roman, Les Veilleurs de Sangomar, et un recueil de nouvelles, De quoi aimer vivre. Elle est aussi l’auteure de plusieurs essais dont, en 2017, Marianne porte plainte !, auquel ce texte fait écho.
Mention Spéciale du jury
François-Xavier Guillerm, La veste jaune, La i pann i sèk, Idem, 2022.
Sylvère est Guadeloupéen par son père, mais il vit depuis ses 20 ans au pays de sa mère, la France hexagonale. Familier des discriminations en vertu de sa couleur de peau, il s’implique assez tôt à gauche de l’échiquier politique et observe avec intérêt la persistance d’une mouvance indépendantiste aux Antilles françaises. A l’occasion du décès de son père, militant indépendantiste qui a connu les geôles françaises, Sylvère retourne au pays où ses amis d’enfance, « nationalistes 2.0 », lui confient la mission d’aller en Corse voir comment là-bas les Natio composent avec l’État français. Après s’être acheté une superbe veste jaune pour marquer la fin de son deuil, Sylvère prend peu à peu conscience de la vaste gêne de la France vis-à-vis de son statut de puissance postcoloniale alors qu’une fois encore les Antilles sont en proie aux barrages, aux flammes et à la colère de ses habitants.
François-Xavier Guillerm est journaliste. Il a travaillé pour RFO, la Une Guadeloupe et est le correspondant permanent de France-Antilles à Paris depuis de nombreuses années. Auteur de deux essais historiques sur la Guadeloupe, (ln)dépendance créole en 2007, puis Le sang des nègres en 2015, il est également l’auteur d’un polar Erreur de frappe.
Prix Fetkann ! de la recherche
Collectif, Haïti-France, Les chaînes de la dette, Le rapport Mackau (1825), Éditions Maisonneuve & La Rose / Hémisphères, 2021.
Par une ordonnance du roi Charles X du 17 avril 1825, la France reconnaît l’indépendance de sa colonie de
Saint-Domingue. Cette reconnaissance est soumise au paiement, par la république d’Haïti, d’une somme de 150 millions de francs-or destinée à indemniser les colons français qui ont perdu les propriétés qu’ils détenaient dans la colonie.
En juillet 1825, accompagné d’une escadre, le baron de Mackau est chargé de remettre cette ordonnance au président d’Haïti, Jean-Pierre Boyer. A son retour de mission, il rédige un rapport : c’est ce document exceptionnel, largement inédit, qui est au cœur de l’ouvrage. Cette publication apporte un éclairage de première importance sur la « dette de l’indépendance » imposée à Haïti par l’ancienne métropole. Les chaînes qui l’accompagnent sont ici abordées dans une mise en perspective de longue durée, grâce à un appareil critique et aux articles que signent les quatre coauteurs.
Marcel Dorigny, historien, professeur honoraire de l’Université de Paris 8, ancien directeur (2005 à 2013) de la revue Dix-Huitième Siècle, actuel membre du comité scientifique de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, auteur de nombreux travaux sur l’abolition de l’esclavage et les origines d’Haïti.
Gusti-Klara Gaillard enseigne à l’École Normale Supérieure et à l’Université d’État d’Haïti ; historienne et spécialiste des relations financières franco-haïtiennes au XIXe siècle.
Jean-Marie Théodat, géographe (Institut de géographie, Université de Paris 1), ancien enseignant-chercheur à l’Université d’État de Haïti, ancien recteur de l’Université de Limonade. Jean-Claude Bruffaerts, spécialiste des questions financières et membre de l’Association Haïti Futur, organisatrice du salon annuel du Livre haïtien à Paris.
Mention spéciale du jury
Fageol Pierre-Éric et Garan Frédéric, La Réunion – Madagascar : une histoire connectée dans l’Océan Indien (années 1880 – 1970), Editions P.U.I., 2021.
Si proches et si éloignées à la fois, Madagascar et La Réunion entretiennent des rapports complexes autour d’un destin colonial en partie partagé fait de dépendances et de complémentarités. Cette relation privilégiée s’explique par les liens tissés entre les acteurs du système colonial que sont notamment les membres des sociétés savantes de la Réunion ou les volontaires des bataillons militaires réunionnais qui ont participé à la conquête de la Grande Ile, selon le principe de la « colonie colonisatrice ».
Cette influence réciproque concerne également les flux de populations avec le départ de réunionnais qui espéraient fonder à Madagascar une nouvelle vie tout à la fois empreinte de nouveauté et d’exo-territorialité, mais aussi l’arrivée à La Réunion d’engagés malgaches pour répondre au besoin criant de main d’œuvre. En toile de fond se joue également une concurrence coloniale entre les administrations et les élites des deux îles que les projets d’établissement d’une France orientale française mettent en évidence. Les rapports que ces deux colonies entretiennent avec la métropole déterminent le cadre de leurs interactions. Les liens s’inscrivent enfin dans des contextes qui dépassent le seul cadre local pour s’ouvrir sur des perspectives plus globales.
Le positionnement des deux îles durant les deux conflits mondiaux questionne ainsi des stratégies coloniales qui échappent le plus souvent à la volonté des acteurs. Ce travail reprend en partie des recherches menées dans le cadre de projets éditoriaux divers dont la cohérence fait désormais sens au sein de cette publication.
Pierre-Éric Fageol est agrégé et maître de conférences en Histoire à l’Université de La Réunion (ICARE-CRESOI). Ses recherches portent sur les positionnements identitaires des Réunionnais envers la communauté nationale dans un contexte colonial et postcolonial. Une partie de ses recherches est consacrée à l’histoire de l’éducation dans l’océan Indien, aux sociétés savantes en situation coloniale et à la participation des Réunionnais aux expéditions militaires coloniales. Il est également rédacteur en chef d’Outre-Mers. Revue d’histoire et directeur de publication de la revue Tsingy : Revue de Sciences humaines, Sud-Ouest de l’océan Indien.
Fréderic Garan est agrégé et maître de conférences en Histoire à l’Université de La Réunion (OIES). Chercheur associé au CRHIA (Nantes) et à TEMOS (UMR 9016 CNRS, Bretagne Sud), il est également directeur de publication et fondateur de la revue Tsingy : Revue de Sciences humaines, Sud-Ouest de l’océan Indien. Après une thèse consacrée aux photographies de missionnaires en Chine, plusieurs travaux sur les anciens combattants de l’armée française au Maroc, au Sénégal, au Niger et à Madagascar, ses recherches sont maintenant centrées sur Madagascar, durant la période coloniale.
Prix Fetkann ! de la jeunesse
Cynthia Gocoul, J’étais assise sur un petit banc, Éditions Neg Mawon, 2021.
« Prends ton banc, assieds-toi ! Je vais te raconter des histoires du temps où le diable était encore un enfant. » C’est ce que nous disaient nos conteurs. On s’exécutait sans tarder pour apprécier ce moment chaleureux. Dans ce recueil de nouvelles vous retrouverez ou découvrirez cette chaleur qui émane des légendes et du quotidien antillais. Vous trouverez tout ceci à travers les yeux d’un enfant assis sur un banc comme tous les samedis après-midi après
le catéchisme…
Cynthia Gocoul est une jeune artiste guadeloupéenne, elle lie le dessin, la couture et l’écriture pour créer un univers imaginaire inspiré de son enfance aux Antilles. Travaillant dans le domaine de la petite enfance depuis plusieurs années, elle prend un plaisir inouï à raconter et se plonger dans des récits imaginaires.
Prix Fetkann ! de la poésie
Ben Ali Saindoune, Johanna, Pour toi pour moi, Éditions Project’îles, 2021.
Johanna pour toi pour moi est un récit de l’intime. C’est surtout l’évocation de la femme aimée, trop tôt partie. Elle est à la fois muse et ombre perdue. Elle est cette liberté inexistante autour de soi, cette beauté et sensualité traquées dans le sombre des jours. En homme, en ami, en amant, en poète, Saindoune Ben Ali évoque l’enfance, l’amour, la perte, sur fond d’Histoire tragique d’un pays à genoux.
« Johanna Géante en furie Épargnée de colère Ruiné est l’esprit Pour t’écrire Pour toutes mes caresses Sur peau d’argile Sous l’eau de la fertilité Oui simple l’espace La rouille vague Ou éducation du maître Infectée et admise Ici commencement D’où tombent Les lueurs fertiles »
Saindoune Ben Ali est l’un des poètes majeurs de l’Archipel des Comores. Son père lettré en arabe l’initie au Soufisme dès son plus jeune âge. Il prend goût aux mots et ne s’en départit plus jusqu’à son premier recueil très remarqué Testaments de transhumance (Grand Océan, en 1996). Suivent d’autres recueils comme le très beau Parlez vent mes amis (L’Harmattan, 2020). L’Histoire, l’identité, l’aliénation d’un peuple sont les grands sujets qui traversent l’œuvre de Saindoune Ben Ali. Professeur à l’Université, il est surtout connu pour être ce poète intransigeant, fin observateur de son pays fragmenté.
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Source : Actualites.com