— Par Karen Lajon —
La vie en noir – Never trust a lawyer! Ne jamais faire confiance à un avocat! C’est un peu ce que l’on s’est dit lorsqu’après une heure d’interview contenue, voire hésitante, avec Phillip Lewis, on assiste dans la foulée à la métamorphose du bonhomme, au cours d’un débat en compagnie notamment de Gabriel Tallent. Drôle, limite bateleur, l’écrivain américain brouille les pistes et se révèle être un sacré numéro lors de son passage au Festival America à Vincennes, il y a quelques semaines.
Avec Les Jours de Silence, l’avocat qu’il est à l’origine, Phillip Lewis signe son premier roman et quel roman. Maîtrisé, brillant, « une symphonie », selon les propres mots de l’auteur, actuelle et surannée tout à la fois. Un peu comme lui avec son physique de gendre parfait et sa trajectoire au fond pas si classique que ça. « Suis écrivain, dit il, je n’aime pas mon métier d’avocat. » Ok. Un écrivain qui a pris son temps. Lewis a 47 ans, il a mis cinq ans à rédiger l’ouvrage. Pour les adeptes du « tout se joue avant six ans », vous voyez ce que je veux dire. Un gin en plein après-midi. Nerveux, Phillip Lewis. On le pense. La séquence suivante, publique, nous démontrera le contraire.
Lire, écrire et mourir
L’histoire est familiale et se déroule dans les Appalaches, là où se trouve depuis 2016 maintenant l’électorat type de Donald Trump. Le contexte naturel est primordial. « Les Appalaches sont grandioses mais renvoient une impression de grande solitude. Les montagnes vous entourent et peuvent avoir l’air de vous étouffer. Je voulais montrer que cette nature solitaire va de paire avec la solitude de l’artiste et ce roman aurait été inabouti sans ce paysage irrésistible. » En haut d’une montagne, une drôle de maison, faîte de verre et d’acier. On pense tout de suite, et Lewis confirme, à La Maison des Usher. Elle a la triste réputation d’être hantée. Henry Aster va s’y installer. En fait, pour ce jeune homme qui se présente comme écrivain à sa fiancée, femme, Eleonore, c’est un retour aux sources, dans les montagnes embrumées de Caroline du Nord. Il s’était enfui, avide de découvrir le monde, avide de réussite littéraire. En ayant pour ferme intention de ne jamais y revenir. Mais échappe-t-on à son destin?
Un fils naît puis une fille. Que ce couple excentrique prénommera Threnody. Le lien père-fils, la trame du récit. « J’ai eu une relation complexe avec le mien, c’était un personnage dramatique. Il a souffert de dépression et d’alcoolisme. Il a aussi publié un livre mais il a toujours remis en question la valeur de l’art pour ce qu’elle était. Il avait l’habitude de dire : pourquoi écrirait-on si ce n’est pour gagner de l’argent. Je suis en désaccord. Je pense que la force de l’écriture justement se suffit à elle-même, que l’on peut écrire pour le seul but d’écrire. » Henry est consumé par les livres. Il veut écrire le grand roman de sa vie, de la littérature américaine. Alors, il s’enferme, gribouille, sous l’oeil fasciné de l’enfant qui observe sans jamais rien dire ce père fou.
Mais la machine se grippe. Henry boit de plus en plus et les pages s’envolent vierges de ce talent qu’il croyait pourtant posséder. Il s’évanouit peu à peu au regard de sa femme et de ses enfants. Jusqu’à la disparition finale, emportant avec lui le manuscrit de sa vie. Reste le fils. Qui porte le même prénom que son géniteur. Fardeau des mots, de la destinée. Il lui faudra trouver sa propre route. Quel paradoxe que ce père qui aimait à mater le verbe et qui fut si taiseux avec ses enfants, les laissant dans le vide abyssal de l’existence.
Faulkner sous le feu
Le livre est ancré dans le Sud profond de l’Amérique, il y a du Faulkner chez Lewis. Justement Faulkner que la commission du comté de Old Buckram où ils habitent, s’est mis en tête de bannir de…
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