Injustices et discriminations au travail dessinent des ressentis très différents selon l’origine et le genre. Parmi les jeunes hommes, ceux qui se sentent les plus injustement traités sont les descendants d’immigrés d’Afrique sub-saharienne. En revanche, ce sont les femmes françaises d’origine qui perçoivent le plus les injustices.
Au sein des jeunes issus de l’immigration, les écarts constatés dans la sensibilité aux discriminations dépendent du pays de naissance des parents et du genre. Chez les femmes, cette expérience renvoie plutôt à des motifs tels que l’âge, le genre et parfois les situations familiales. Chez les hommes, les injustices prennent principalement la forme de discriminations ethno-raciales. Dans les deux cas, l’ampleur de la discrimination est affectée par les formes d’emploi et les conditions de travail.
La mesure des expériences discriminatoires éclaire ainsi les orientations à développer dans les dispositifs d’égalité professionnelle. Ne pourrait-elle aussi nourrir une réflexion sur la confrontation entre des politiques publiques fondées sur des critères « objectifs » et le vécu des salariés ?
De nombreuses recherches mettent en évidence l’existence de discriminations à l’embauche à l’encontre des jeunes issus de l’immigration, en particulier ceux d’origine maghrébine ou d’Afrique sub-saharienne. Ces discriminations contribuent à un taux de chômage plus élevé et à une plus grande précarité dans l’emploi. Rares sont en revanche les analyses qui s’intéressent aux discriminations vécues par ces jeunes dans le cadre de leur activité salariée.
L’étude présentée ici porte sur les injustices et les discriminations au travail, telles qu’elles sont ressenties par les jeunes hommes ou femmes descendant d’immigrés et d’originaires des DOM (cf. encadré pour les définitions). Elle s’appuie sur l’exploitation des données de l’enquête Trajectoires et Origines (cf. encadré) pour se focaliser sur les actifs âgés de 18 à 35 ans à la date de l’enquête. Elle cherche à saisir si ces jeunes en emploi ont le sentiment de vivre plus que d’autres des injustices, et si celles-ci s’apparentent à des expériences discriminatoires. Compte tenu de la division sexuelle du marché du travail et de son caractère segmenté et différencié, les analyses sont menées par genre.
Les injustices sont mesurées à partir de situations correspondant à des traitements négatifs ou défavorables déclarés par les salariés : le fait de voir son travail dénigré, d’effectuer des tâches inutiles ou dégradantes, d’être soumis à des horaires de travail dont personne ne veut (cf. encadré). Dans l’analyse, elles sont qualifiées de « discriminations » uniquement lorsque les situations vécues sont imputées, par les individus eux-mêmes, à un ou plusieurs critères reconnus légalement comme discriminants : le sexe, l’origine migratoire ou la nationalité, la couleur de peau, l’âge, l’état de santé, le handicap, etc.
L’expérience vécue par les jeunes descendants d’immigrés ou de domiens ne peut pas être assimilée à la réalité objective, mais elle se nourrit des conditions objectives de travail et d’emploi.
De plus, la façon dont ces acteurs perçoivent, définissent et interprètent leur vécu professionnel quotidien rejaillit sur leurs actions et sur les situations qu’ils expérimentent. L’analyse met en relation cette expérience avec les caractéristiques sociodémographiques (origines migratoires, sexe, âge, niveau de formation, etc.) et socio-économiques (situation professionnelle, formes d’emploi, etc.) des enquêtés.
l Injustices et discriminations au travail se confondent pour certaines origines
Alors que les injustices vécues lors des recrutements peuvent être assimilées à des pratiques discriminatoires au regard des critères légaux mobilisés (cf. encadré), celles ressenties au travail s’apparentent moins souvent à des situations de cet ordre. Le recouvrement entre injustices et discriminations est mouvant selon l’appartenance à la population majoritaire (cf. définition dans l’encadré) ou à celle issue de l’immigration, mais aussi selon le sexe (tableau 1).
Au sein de la population masculine de l’échantillon, les salariés qui se sentent les plus injustement traités sont les descendants d’immigrés d’Afrique sub-saharienne (plus du quart). Ils sont suivis, dans une moindre mesure, par les descendants de migrants maghrébins (18 %) puis par les descendants de domiens, de migrants de Turquie ou d’Asie du Sud-Est et même du Portugal.
Au sein de la population féminine, les salariées qui s’estiment les plus injustement traitées appartiennent en premier lieu à la population majoritaire (19 %). Parmi les descendantes d’immigrés, ce sont les jeunes femmes nées d’ascendants originaires d’un DOM, d’Afrique subsaharienne et du Maghreb qui sont les plus concernées.
Ces injustices ne correspondent pas toujours à des discriminations, excepté chez les descendants des migrations maghrébine et subsaharienne des deux sexes, pour lesquels des pratiques discriminatoires sont fortement ressenties. À un degré moindre, il en est de même pour les descendants de migrants turcs. Dans les autres groupes, l’assimilation des injustices à des discriminations est moins fréquente.
l 23 % des jeunes ressentent une discrimination à l’embauche, contre 7 % dans le cadre du travail
Les expériences de discrimination sont nettement plus nombreuses lors de la recherche d’emploi que dans le cadre du travail (23 % vs 7 %). Elles sont avant tout liées aux descendants de migrants : plus de 30 % de ceux issus de l’immigration maghrébine et ultramarine, 28 % des descendants d’Afrique subsaharienne, contre 23 % des jeunes de la population majoritaire et seulement 19 % des descendants d’immigrés européens...