— Par Livie Pierre-Charles * —-
Telle est la remarque faite par un écrivain célèbre de chez nous, parue dans le quotidien France Antilles du 09 avril dernier. Plus tard, dans l’édition du 16 avril de ce même quotidien, une universitaire déclare : « Nous vivons aussi une crise intellectuelle ».
Mais qu’est ce qu’un intellectuel?
« C’est une personne qui a un goût affirmé pour les activités de l’esprit », nous précise LE LAROUSSE. Ces activités de l’esprit se ramènent pourrait-on dire à la production d’idées.
Dans son célèbre ouvrage intitulé « La cabale des dévots », Jean François REVEL, philosophe contemporain présente les intellectuels comme une caste dite « supérieure », en tout cas différente du commun des mortels, en ce qu’elle créée et manie avec une remarquable aisance des concepts qui se solidifient en théories, lesquelles inspirent des comportements individuels autant que des « croyances » de masse.
A l’image de l’honnête homme du 16ème siècle, l’intellectuel se pose en homme cultivé, ayant des lumières de tout, un éclaireur du peuple en quelque sorte avec comme outil essentiel, l’étendue de ses connaissances –livresques la plupart du temps. Il tire sa légitimité – selon Jean-François REVEL de sa remarquable aisance à manier le langage pour à la fois produire des idées, convaincre de leur pertinence et séduire ses interlocuteurs. Sa puissance d’argumentation laisse peu de monde indifférent.
Si certaines familles d’intellectuels se sont mises au service de l’humanité, tels GANDHI dont la théorie sur la non violence a été reprise plus tard par le Pasteur Martin LUTHER KING ; les abolitionnistes avec HUGO, SCHOELCHER et bien d’autres encore.
D’autres méritent la condamnation de l’Histoire en raison des catastrophes que leurs thèses ont générées. Ici l’on pense à certains philosophes allemands et plus spécialement à HEGEL dont la théorie relative à la supériorité de la race aryenne a précipité l’EUROPE, au 20ème siècle, dans un affreux carnage.
Ainsi, l’intellectuel nous apparaît-il comme évoluant dans le monde des idées qui, appliquées à la réalité, peuvent enfanter le meilleurs comme le pire.
A l’échelon de notre petite île, que se passe-t-il pour que l’un de nos écrivains contemporains prononce à leur encontre une si sévère sentence ?
Notons que la matière sur laquelle se sont penchés « nos intellectuels pays » se ramène essentiellement à notre douloureux passé de servitude, à la période post esclavagiste ; à notre rapport avec l’ancienne puissance colonisatrice.
Une impressionnante bibliographie s’inspire de ces thématiques, traitées également au plan théâtral, littéraire journalistique, cinématographique, avec des illustrations chansonnières etc. … etc. …
Ainsi, la pensée de Monsieur tout le monde, se trouve-t-elle insérée, figée dans la gangue visqueuse de devoirs de mémoire, mémoire exclusivement cernée par l’évocation récurrente des souffrances passées.
Tout se passe comme si l’on s’acharnait à réactiver ce traumatisme. Et pour quels résultats ?
Il faut savoir que l’on ne propose pas – avec une telle insistance – à un peuple qui a souffert, l’image des faiblesses et des souffrances que l’Histoire lui a infligées. Ce faisant, on le paralyse, on lui inculque un complexe d’infériorité, doublé de désespoir (à quoi bon résister si l’on est déjà condamné par l’histoire). On créée en lui de terribles frustrations, celles-ci faisant le lit de la violence et l’on maintient ainsi, dans la société, un climat de conflictualité qui gangrène les rapports humains dans certains milieux. Le rapport au travail s’en trouve également affecté parce qu’il maintient dans les esprits le spectre des tâches serviles etc. … etc. …
Comment le peuple peut-il se sortir de tout ce bain de négativisme ? Reçoit-il pour ce faire l’aide des intellectuels ?
L’on serait tenté de répondre par la négative si l’on se réfère à la sentence de notre prix GONCOURT ? Que peut-on attendre des intellectuels aujourd’hui ?
-
Une sérieuse analyse comparative de ces deux périodes celle du 17ème d’une part puis des 20ème et 21ème siècles d’autre part avec mise en évidence des progrès accomplis. Cela signifie prendre le chemin de la RESILIENCE.
-
Une rupture avec un certain misérabilisme qui entretient l’esprit d’assistanat. Le peuple a au contraire besoin de fierté et d’un idéal de dépassement.
-
Une attitude prospective qui montre la voie dans ce monde en mutation, ébranlé par des bouleversements technologiques qui influent sur les relations interindividuelles, les conditions faites à l’humain aujourd’hui, l’avenir de nos enfants etc. … etc. …
Quand on considère la frénésie avec laquelle ces derniers « pianotent » sur leurs « tablettes », on se demande s’ils seront en mesure de se construire, d’acquérir des connaissances structurées en vue de l’élaboration d’une pensée cohérente.
N’assistons-nous pas là à une forme d’esclavage technologique ? Pour ne citer que cet exemple … et il en existe bien d’autres.
Alors quelle suite à donner à l’affirmation du prix CONCOURT. « Si les intellectuels se terrent, cela veut dire qu’ils se cachent. Ils se soustraient à la vue de tout le monde. Se sentiraient-ils coupables ? De quoi ?
Si « nous vivons une crise intellectuelle », et si « les intellectuels se taisent » c’est qu’ils ont peut être fait le choix du silence après avoir épuisé les thématiques liées à notre histoire douloureuse.
Il nous est agréable de penser qu’ils mettent ce silence à profit, pour produire de la pensée en tout cas des idées à partir des problématiques réelles du monde d’aujourd’hui.
Livie PIERRE-CHARLES, membre du CA de « Tous Créoles ! » au titre de vice-présidente.