— Par Roland Sabra —
Le poids du non-dit, des silences, du refoulé l’a fait fuir l’Habitation familiale. Elle s’est réfugiée à New York, s’est consacrée à son besoin de dire ce qui l’étouffe. Par l’écriture. De poèmes. Et d’un livre qui révèle les conditions dans lesquelles s’est constitué le matrimoine familial. La mère qui vient de mourir, voulait le faire interdire. Elle est venue pour l’enterrement. Sa sœur aînée a repris le flambeau maternel et se fait la gardienne de la chape de plomb qui pèse, qui oppresse. L’aînée lui dit : « Pour être sous les projecteurs tu pousses ta famille dans le caniveau » Entre les deux, une sœur d’adoption, une cousine maternelle, une orpheline dont la mère n’a pu supporter le joug du secret et qui s’est tuée dans un accident de voiture. La veillée funéraire est en cours quand elle arrive, elle reste sur le perron de la maison, refuse d’entrer.
Les personnages sont campés. Laquelle des deux sœurs est la plus proche de la mère, qui faisait profession d’archéologue ? Celle qui hérite sans trop d’états d’âme de l’Habitation ou celle qui déplace, sur le terrain familial et littéraire, le questionnement maternel à propos des traces mémorielles laissées par les générations précédentes ? Le conflit nécessaire à la construction de l’intrigue théâtral est posé : la parution du livre qui révèle le scandale va-t-elle se faire ? Une réconciliation est-elle possible ?
L’intérêt du propos porte donc sur la question de la transmission culturelle, familiale, intergénérationnelle. De quoi hérite-t-on ? Les découvertes de l’épigénétique sur la transmission des traumas de générations en générations sont présentes en toile de fond, sans pour autant être abordées. En quoi sommes-nous concernés par les actes, glorieux ou criminels de nos ancêtres ?
Comment vont se dénouer les nœuds dramatiques qui ont constitué l’intrigue de la pièce que nous propose Alexandra Déglise ? L’autrice propose une résolution post-mortem qui prend la forme d’une énonciation, qui se prétend cathartique, sans vraiment convaincre, de reproches adressés à la dépouille de la mère. La fille aura le dernier mot… par la force des choses, sans pour autant avoir été reconnue par sa mère, dans sa différence. Et c’est la faiblesse de la pièce. Mais elle est d’importance. Elle ternit et aplatit le texte qui reste plus près de la nouvelle que de la pièce de théâtre, le dénouement-solution retenu n’étant pas à la hauteur de l’intensité dramatique exposée préalablement.
La mise en scène tente d’apprivoiser des formes d’expression issues d’arts vivants, proches du théâtre. L’enfermement du personnage de l’écrivaine dans ce qui la tient debout, la mine et qui pourtant la constitue comme autrice est suggéré par un moment dansé assez réussi. Les autres articulations de ces différents registres expressifs ne sont pas de la même eau. Karine Pédurand, Rita Ravier, Gloriah Bonheur sont pleinement dans le propos qu’elles tiennent. La salle comble, ce soir là, les a chaleureusement applaudies. Elles le méritaient.
Reste que l’écriture théatrale est un art difficile.
Fort-de-France le 23/04/2023
R.S.
Ecriture et mise en scène : Alexandra Déglise
Regard extérieur : Arielle Bloesch
Chorégraphie : Patricia Guannel
Composition, création sonore : Christophe Césaire
Création lumière : Johanna Boyer-Dilolo
Création vidéo : Laura Chatenay-Rivauday
Scénographie, costumes : Laura De Souza
© crédit photo : Peggy Fargues
Avec : Karine Pédurand, Rita Ravier, Gloriah Bonheur
Vendredi 21 avril 19h30 – Tropiques-Atrium – Salle Frantz Fanon