Les humoristes contre la dépression sociale

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 par José Alpha

  La chaleur humaine qui se dégageait de la salle Aimé Césaire de l’Atrium provoquée par le talent des humoristes martiniquais et guadeloupéens conduits par le comédien Alex Thobor, était palpable jusque sous l’immense ciel du théâtre. Plus de 800 personnes se sont déplacées, et c’est un fait social, un dimanche soir à 19h vers le Centre culturel départemental de Fort de France pour rire d’eux-mêmes, de leurs frustrations et de leur impuissance face aux dérèglements sociaux et civilisationnels qui écrasent la société martiniquaise.

Les martiniquais sont venus nombreux se détendre comme l’a développé « le philosophe corrosif » de la scène comique locale, et aujourd’hui nationale, Jean Yves Rupert revenu d’une grande tournée des communes de la Martinique après son succès au Zénith de Paris.
Se détendre, oui ! « Se détendre avant tout » comme l’ont martelé les humoristes Thierry Adèle qui atteste d’un parcours professionnel très prometteur, et comme l’ont souligné aussi Prospère et les étonnants frères Bostik de la Guadeloupe.

Détendre, apaiser, calmer, pacifier par le rire, par les larmes et les sentiments qui jaillissent de la scène-miroir « de nos existences morbides » ; n’est ce pas la vocation du Théâtre et de la comédie par ces temps de dépression sociale qui délie les familles, désintègre les relations intergénérationnelles, brise les espoirs de la jeunesse et emprisonne «l’intelligence humaine» devenue très suspecte selon l’humoriste martiniquais Thierry Adèle qui confirme avec la lucidité de Stephen King que « l’humour est presque toujours la colère maquillée ».

Comment faire pour s’en sortir ? Que faire pour obtenir le salut si ce n’est que par le jeu des consciences, des corps et du vocabulaire physionomique créole, pour ce qui nous concerne, de mieux en mieux maitrisés et de plus en plus expressifs ? Et le comique tient ici pleinement et avec talent, son rôle de régulateur ; comme l’amuseur public, comme le comédien, comme l’acteur, il est l’une des soupapes nécessaire au sursaut de civilisation. Il est l’un des déclencheurs du discernement capable de se dresser face à l’effondrement moral personnel. « L’humour est la forme la plus saine de la lucidité. » disait Jacques Brel.

Alors durant 180 minutes à l’Atrium, le discours s’est exprimé avec l’intelligence et la finesse des comiques antillais, il y eut des hauts et des bas, mais il nous a atteints. Les saltimbanques nous ont réveillés de la douce torpeur paralysante pour nous rendre à nous-mêmes : digne, résistant et combatif. « Le signe le plus évident d’un cancer social, c’est la disparition du sens de l’humour. Aucune dictature n’a toléré le sens de l’humour. Lisez l’Histoire et vous verrez » disait le dramaturge américain Edward Albee

Le choix opéré par les « comiques citoyens » tels que Jean Yves Rupert, Thierry Adèle, Prospère, Bostik, Général Sélas, Guy Ventura, Eric Modeste, Thobor, Montabord et bien d’autres qui ciblent le vrai retour des valeurs humanistes et l’exigence de la justice sociale, même si les conflits humains constituent bien leur fond de commerce, montre deux voies : celle qui s’ouvre par l’action directe empreinte de violence, de convoitise, de perversité et de folie auxquelles nous sommes confrontées quotidiennement en se faisant pourtant complice du silence, de la peur et de la résignation . Ou bien celle qui secoue par l’action dite indirecte, celle qui conscientise par l’humour, la détente, l’acuité, la lucidité, pour résister à la diffusion du mal-être général, à la panurgie, à l’orgueil de l’individualisme morbide et à toutes ces maladies sociales et civilisationnelles qui répandent quotidiennement leurs venins dans nos relations à l’autre et à nous-mêmes. Avec les artistes, le Conseil général de la Martinique ajoute ainsi un atout à son action sociale et solidaire menée en direction des populations qui sombrent de plus en plus dans la passivité et la résignation. Les comiques antillais ont rappelé sous les applaudissements nourris d’une salle comble et satisfaite que « l’humour c’est bien l’impolitesse du désespoir ».