— Par Selim Lander —
Charlotte Delbo (1913-1985) était un personnage extraordinaire comme seules les périodes les plus troublées (guerres, révolutions) peuvent en produire, celles où l’on risque sa vie pour un idéal (pour peu – mais c’est beaucoup, évidemment – qu’on ait en soi cette foi et ce courage qui permettent d’accepter de mourir pour une juste cause). Ch. Delbo est une héroïne de la Résistance et si, contrairement à son mari, elle n’y a pas laissé sa peau, elle a connu l’horreur d’Auschwitz et fut l’une des rares rescapées d’un convoi de 230 femmes françaises arrivé au camp en 1943. Il se peut que certains de nos lecteurs aient comme nous en mémoire la série d’émissions sur France Inter, rediffusée naguère, dans laquelle elle racontait sa guerre et où elle se montrait éblouissante, avec la même flamme que dans sa jeunesse.
Il n’est pas superflu de préciser, puisqu’il est question ici de théâtre, que Ch. Delbo fut, avant guerre et pendant plusieurs années, l’assistante de Louis Jouvet. C’est pourquoi, de la part d’une femme brillante, au destin de résistante exceptionnel, plus que versée en matière théâtrale, on ne pouvait qu’espérer un chef d’œuvre de la pièce qu’elle a tirée de son passage à la prison de transit du fort de Romainville. Un petit groupe de femmes, sous la houlette de Françoise (double de l’auteur) entreprend de monter une pièce de théâtre[i], pour se désennuyer, ou plutôt pour échapper à l’angoisse de leur condition. Plusieurs d’entre elles ont un conjoint, un compagnon, un amoureux emprisonné de l’autre côté du grillage qui sépare en deux la cour réservée à la promenade quotidienne. Des résistants comme elles qui peuvent être déportés du jour au lendemain ou fusillés comme otages.
Telle est la situation qui est donnée dès le départ et qui n’évoluera pas. Certaines verront partir leur homme, d’autre pas : tout cela est inscrit dans la trame de départ. Toutes sont pleines de bonne volonté, aucune ne vient perturber l’harmonie du groupe. Ch. Delbo quand elle se remémorait son séjour à Auschwitz insistait beaucoup sur la solidarité qui régnait entre les déportées, sans laquelle elle n’aurait pas survécue. La pièce, qui traduit cela, incite à ne pas désespérer tout à fait de la nature humaine, cependant l’absence d’une construction dramatique digne de ce nom est bien le défaut majeur de ces Hommes, si bien qu’on s’ennuierait assez vite si l’on n’était captivé par le jeu des comédiennes, servies par une mise en scène de Jeanne Signe et Florence Cabaret sobre et sans bavure, parfaitement dans la « note » de la dernière guerre. Par la magie du travestissement (coiffures, robes, chaussures) nous nous trouvons transportés dans les années 40 (du siècle dernier) et nous avons envie de nous intéresser aux états d’âme des personnages, même s’ils ne sont que trop prévisibles.
Fort-de-France, Théâtre municipal, 18 au 20 janvier 2018.
[i] Un Caprice de Musset qui laisse un peu frustré dans la mesure où Ch. Delbo en fait seulement entendre deux répliques.