— Par Pierre Pastel —
« Quand le luscinia et des millions,
voire des milliards de prétentieux comme lui,
à travers le monde, dérapent par réflexes conditionnés,
leurs trilles ne sauraient être des calmants antidouleur. »
Les gens ordinaires
L’écrasante majorité de nos contemporains sont des gens ordinaires.
Ils pensent pour eux-mêmes, pour leurs intérêts. Ils boivent, mangent, rient, pleurent. Ils disent la vérité, ils sont sincères, ils mentent. Ils cherchent à vivre, à bien vivre. Ils savent qu’ils ne sont pas seuls sur l’échiquier de la vie, ils essaient de faire attention aux autres, ni plus ni moins. Autant que faire se peut, ils évitent de ne pas trop incommoder le monde autour d’eux, ils respectent ou ne respectent pas les lois. Ils se marient, divorcent, restent d’éternels célibataires. Ils sont bons ici, méchants là, égoïstes par ici, altruistes par-là. Ils sont courageux, lâches, volontaires. Ils couvrent une vie affective équilibrée, débridée, ou terne. Ils sont cultivés, incultes, glandeurs, resquilleurs, fainéants, travailleurs, voleurs, protecteurs, consciencieux. Respectueux, impertinents, honnêtes, riches, moins riches, pauvres ils le sont aussi. Ils sont aigris, ils s’amusent, ils sont dépressifs, joyeux, sereins, discrets, taquins, jaloux, manipulateurs, ils le sont encore… Bref, il faudrait toute une vie pour décrire les gens ordinaires, disons qu’ils sont comme nous, vous et moi, des êtres communs.
Les vulgaires et les voyous,
C’est un échantillon dans la masse des gens ordinaires. Ils sont tellement nombreux que l’on a du mal à les catégoriser véritablement. Chaque pépite observée respectivement dans son pré carré nous dévoile de multiples kaléidoscopes dans le kaléidoscope que compose le groupe des gens vulgaires et des voyous.
Ce sont les juifs, les chrétiens, les bouddhistes, les orthodoxes, les musulmans, les fanatiques et autres intégristes qui sont persuadés être les seuls, les meilleurs fils et filles de Dieu, et les animistes, les athées, les adeptes des clubs occultes qui décrètent être les meilleurs humains et qui se comportent entre eux et envers les autres comme si cela était vrai.
Ce sont ceux qui, chacun dans son clan, considèrent que les êtres humains à la peau noire, marron, beige, couleur sapotille, ceux à la peau brunâtre, mâte, rose, rosâtre, jaunâtre1, sont les plus beaux, les plus intelligents, les meilleurs humains et doivent être les maîtres de la terre et bientôt de l’univers et se comportent entre eux et envers les autres comme si cela était vrai.
Les vulgaires et les voyous,
ce sont, chaque groupe dans son retranchement, ces femmes, ces hommes, ces jeunes, ces vieux qui sont convaincus d’être les humains les plus foncièrement bons sur cette terre et se comportent entre eux et envers les autres comme si c’était la vérité.
Ce sont, pris séparément, ces époux, ces épouses, ces enfants, ces parents, ces gens mariés, ces non-mariés, ces homos, hétéros, qui se conçoivent être les plus fins des humains dans et hors le cercle familial et se comportent entre eux et envers les autres comme si cela était vrai.
Ce sont ces pauvres, ces riches, ces incultes et ces cultivés, ces érudits et ces néophytes qui s’estiment être les plus naturellement humains et se comportent entre eux et envers les autres comme si c’était la vérité.
Ce sont les démocrates, les libertaires, les anarchistes, et aussi les dictateurs, les gauchistes, les socialistes, les libéraux, les communistes qui sont persuadés être les humains les plus humains du monde et qui se comportent entre eux et envers les autres comme si cela était vrai.
Ce sont ceux qui sont habités par l’idée qu’ils sont les seuls à devoir être payés correctement pour leur travail, ou qu’ils sont au début de tout et sont seuls les sauveurs du monde.
Les vulgaires et les voyous,
ce sont ces psy en tout genre, ces médecins, ces pharmaciens, ces enseignants, ces juristes en tout genre, ces politiciens, ces gestionnaires, ces patrons, ces ouvriers, ces salariés, ce sont ces usagers, ces justiciables, ces patients, ces clients ou encore ces religieux et religieuses, ces journalistes, ces artistes, ces policiers, ces chefs et ces sous-chefs-adjoints , ces subalternes, qui croient être les êtres humains les plus honorables, les plus dignes et qui se comportent entre eux et envers les autres comme si c’était la vérité.
Les vulgaires et les voyous,
ce sont ceux qui pensent avoir le monopole de la souffrance, être les seuls à exiger une thérapeutique, le pardon, la réparation, le respect et qui se comportent entre eux et envers les autres comme si c’était la vérité.
Ce sont ceux qui dans leur for intérieur jugent avoir seuls le don de la mémoire, sont convaincus que les autres doivent s’interdire de se souvenir et qui se comportent entre eux en envers les autres comme si cela était vrai.
Ce sont ces personnes qui fonctionnement comme si elles étaient seules à penser, donc seules à être des paquets d’intentions, des paquets de projets, des paquets de désirs, des paquets d’émotions et qui se comportent entre eux mêmes et envers les autres comme si cela était vrai.
Les vulgaires et les voyous,
ce sont ces gens qui sont profondément certains que seuls les humains ayant la même couleur que leur épiderme (ou d’abord ceux-ci) :
-
sont en capacité à gérer les biens publics, la chose publique,
-
ont droit aux privilèges qu’offre la société, la nation,
-
sont maîtres du partage du gâteau de la culture, de la formation, du gâteau économique, du gâteau politique,
et qui se comportent entre-eux et envers les autres comme si cela était vrai.
Dans le même registre, les vulgaires et les voyous sont aussi ceux qui, tout en se plaignant ouvertement ou dans leurs messes basses, laissent faire comme si, pour eux aussi, cela était vrai et qu’ils ne peuvent pas être déterminés à stopper ce cancer mental.
Bref, il faudrait des milliards de vies pour décrire les gens vulgaires et les voyous, disons qu’ils sont comme nous, vous et moi, des êtres sans signes distinctifs bien vivants dans la foule des gens ordinaires.
L’influence de ce qu’ils sont et de ce qu’ils provoquent dans notre environnement est telle, que tous les « durables » peuvent ici se conjuguer.
Leur mode de penser et leurs pratiques contribuent activement à l’avènement de la peur, de la dépression individuelle et collective, favorisent le stress permanent, les discriminations, les ségrégations de toutes sortes.
Le positionnement de ce groupe de gens particuliers participe à l’éclosion du sentiment d’insécurité, de la méfiance, de souffrances psychologiques et morales à petite et à grande échelle, facilite le conflit, le mal-être. Ce sont des enfants et des enfances brisés, des femmes et des hommes estropiés, des jeunes méprisés, des vieux déshumanisés, des parents disqualifiés, des ambitions et des avenirs détruits et qui se comptent par centaines de millions voire des milliards sous les coups de boutoirs de ces individus. Les conséquences des agissements de ce groupe de gens, provoquent de multiples tsunamis économiques, sociaux, culturels, environnementaux et relationnels, abrègent nombre de vies humaines en silence ou avec fracas, contraignent une armée de terriens à vivre cachées de peur de dévoiler leurs différences. Ce sont les effets de ces épidémies locales, de cette pandémie mondiale qui qualifient les gens vulgaires et les voyous2.
Les extraordinaires ou les inaccoutumés
Les gens extraordinaires ou les inaccoutumés font ce que font généralement la plupart des gens ordinaires.
Ils boivent, ils mangent mais ils ont surtout soif et faim de la sérénité pour les autres.
Ils s’amusent, dansent, mais ils aimeraient tellement que les autres aient le cœur à vivre leur contentement et à danser avec eux et avec les autres la simplicité de la vie qu’ils perçoivent possible si mais seulement si…chacun et collectivement choisissait de se regarder sans complaisance.
Les gens extraordinaires et les inaccoutumés rient, mais ils rient surtout de l’espoir de la plénitude et de la joie pour tous.
Ils se marient, ils divorcent mais pour eux l’amour n’est ni conjoncturel, ni sectaire mais proprement inconditionnel. L’autre est et sera toujours pour eux un vis-à-vis à qui ils souhaitent de tout cœur, chaque jour de l’année, une bonne et heureuse journée. Et ils s’emploient à le démontrer dans les faits par leur attitude et leur comportement.
Non, non, les gens extraordinaires ou les inaccoutumés ne sont ni douillets, ni complaisants, ils savent trop que la férocité est la fille de la sauvagerie qui sommeille en nous et que les accommodements à tout va sont piètres mépris pour la dignité de l’autre. Ils sont au contraire attentifs, patients, compréhensifs mais fermes et déterminés à nous aider à consulter notre raison et à interroger notre bon sens.
Conformistes ? Ils ne le sont pas. Orthodoxes ? Non plus. Normatifs ? Assurément pas. Suivistes, pas du tout. Ils savent parfaitement que la normalité3 ne se confond pas avec la santé et que le silence des organes4 non plus n’est pas absence de maladie, synonyme de santé5
Révolutionnaire alors ? Une telle posture ne leur vient pas à l’idée. Ils connaissent déjà les bénéficiaires des révolutions en général. On les trouve souvent dans la catégorie des chercheurs de pouvoirs, des profiteurs, des manipulateurs, des machiavéliques, des artistes de la fourberie et de ceux qui nourrissent un égo surdimensionné : les vulgaires et les voyous.
Les extraordinaires ou les inaccoutumés sont à la fois lecteurs attentifs du temps présent et visionnaires.
Ils sont « silence », le silence qui guérit, le silence qui construit, le silence qui forme et qui informe.
Ils sont « parole », la parole brève et incisive, celle aussi qui guérit et construit, forme et informe.
Ils sont « geste », geste simple on ne peut plus naturel, geste qui déroute et qui surprend parfois, mais geste qui éduque et qui fait croire décidemment en la bonté de l’humain.
Ils sont « exemple », l’exemple qui se donne à voir, à vivre, l’exemple qui suggère « l’imitation » comme chemin possible de la liberté.
Ils sont « vécu », le vécu qui fait comprendre que « l’avoir » n’est pas primordial et qui nous apprend le tri entre l’utile, le futile et l’essentiel, ils sont encore le vécu qui raconte la vulnérabilité de l’humain mais aussi sa force, sa capacité à résister face à l’infâme.
Ils sont « folie » cette folie aimante qui fait admettre que l’homme est homme partout sur cette belle planète, qu’il doit être vu comme tel et traité d’égal à égal sans l’ombre d’une retenue. Cette folie là ne relève pas de la psychiatrie ou de la psychologie, elle révèle plutôt de la bonne santé mentale.
Ils sont « regard », un regard « laser » sur la vie et sur nous qu’ils posent avec une telle intensité que nous nous trouvons bousculés dans notre conscience, parfois même choqués, car nous savons qu’ils voient de nous plus que nous ne l’aimerions.
Leur regard perçant nous révulse plus qu’il nous tranquillise car il vient nous déranger dans nos habitudes, nos conditionnements, notre éducation qui nous inclinent à penser, dur comme carbyne6, que la relation avec autrui et avec soi, que notre vocation d’homme est de nous livrer une guerre fratricide permanente, d’être des anthropophages modernes, des cannibales somme toute.
Ces gens extraordinaires ou les inaccoutumés qui « n’hésitent » pas à risquer leur vie pour nous aider à gagner et à améliorer la nôtre sans s’attendre à ce que nous leur soyons redevable de quoi que ce soit ne sont ni extraordinaires, ni anormaux, ni révolutionnaires. Ils ne se considèrent d’ailleurs pas comme extraordinaires. Ils souffrent même de ne pas se compter plus nombreux, voire des milliards.
Les extraordinaires ou les inaccoutumés sont simplement des Eveilleurs de consciences, des offreurs d’amitié. Ils ont seulement une lucidité aigüe sur ce que l’humain – pleinement conscient de l’être- a à réaliser en tant qu’humain : se ménager la vie en ménageant la vie des autres. Car, nul ne pourra vivre sereinement sa pleine liberté, sa pleine humanité, autrement.
Collection : Désir d’une nouvelle conscience universelle.
Pierre Pastel
1 Dans notre référentiel nous n’avons jamais rencontré de manière factuelle des humains vivants à la peau verte, jaune, bleue, blanche ou violette. Toute affirmation, toute croyance qui tente de prouver le contraire n’est que pure illusion d’optique, pure dépravation de l’esprit.
2 Lire sur site de madinin-art.net, du même auteur, « Le déni de la dignité humaine ».Thématique de sa charge de cours à la Faculté de Médecine Paris Descartes, Laboratoire d’Ethique Médicale et de Médecine légale (D. U. Ethique, Esthétique et Dignité Humaine)
3 Normalité : Ce qui, dans l’air du temps, est largement accepté, couvé, pratiqué, admis, imposé
4 Organe : Partie d’un corps, ici nous pensons au corps humain, aux citoyens, aux peuples, aux institutions, aux organisations, aux gouvernements, aux Etats
5 Santé : Bien être physique, mentale, relationnel, social, sociétal, civilisationnel.
6 Carbyne, matière la plus résistante connue actuellement. Dérivé du Carbone, il est plus solide que le Graphène qui dépasse de loin le Diamant que le sens commun considère comme la matière la plus dure qui existe.