Les Fleurs du Ya Ax Thé – Quarante ans d’art sous le Fwomajé

30 septembre – 28 décembre 2024 – Tropiques Atrium Scène national

— Par Jean-Claude Duverger, Président du Conseil d’administration de Tropiques Atrium Scène nationale —

40 ans, de présence dans le paysage culturel martiniquais.
Merci au Groupe Fwomajé !
40 ans de présence efficiente, de volonté de concrétiser la nécessité de se regrouper.

Cinq hommes se sont réunis, pas dix, pas cent : « le plus petit canton de l’univers peut être l’expression de l’ensemble du monde ».
40 ans d’implication sans faille au service du médium culturel comme gage de réconciliation avec nous-même, une forme d’unification vers une démarche concertée de la valeur ajoutée martiniquaise, de ses atouts, de ses trésors dissimulés, de son esthétique singulière.

Et bien, je crois résolument, que c’est dans cette perspective partagée par toute une génération engagée, que naît le Groupe Fwomajé en 1984, avec l’idée prédominante de créer, sinon motiver une esthétique caribéenne, dont les soubassements seraient portés par cinq acolytes des arts visuels, autour de thématiques diverses : La réminiscence de l’art africain, la réflexion autour du vaudou (quimbois), définir un langage plastique autour de la langue créole et ses résurgences amérindiennes, faire rentrer l’objet amérindien au sein des maisons martiniquaises et autres.

Merci à ces enseignants et artistes d’avoir mis au service du développement culturel de la Martinique, toute leur faculté pédagogique.

Vous avez accompagné le Festival culturel de Fort-de-France durant une dizaine d’années et adhéré ainsi à la pensée du poète « …pas un bout de ce monde qui ne porte mon empreinte digitale… » – Aimé Césaire.

Je salue la force du travail FRATERNEL, la trace de l’élan SOLIDAIRE, l’exemple d’une volonté de se mettre ensemble, pour produire par NOUS-MÊME, l’idéal martiniquais, sa force de regarder demain.

Bon anniversaire !

*******

Célébration du 40e anniversaire du Groupe Fwomajé

Le Groupe Fwomajé, collectif d’artistes-plasticiens martiniquais, a été fondé en 1984. Cet événement marque un tournant majeur dans l’histoire artistique de la Martinique et de la Caraïbe. Malgré des conflits internes, le groupe a su perdurer et laisser une empreinte profonde dans l’évolution de l’art en Martinique.

Télécharger le catalogue

Contexte historique

Le groupe Fwomajé trouve ses racines dans l’amitié entre plusieurs artistes martiniquais, notamment Bertin Nivor et Victor Anicet, qui se sont rencontrés dans leur jeunesse. Dès les années 60, un groupe d’étudiants martiniquais, dont Bertin Nivor, François Charles-Edouard, et Ernest Breleur, se réunit à Paris. Ils sont influencés par les mouvements intellectuels et panafricanistes de l’époque, cherchant à créer un art qui reflète leur identité caribéenne tout en s’émancipant des canons esthétiques européens. Leur désir de rompre avec ces modèles occidentaux s’inscrit dans une quête de réappropriation culturelle. C’est à Paris que naît l’idée de former un groupe artistique, bien que le concept ne soit pas encore totalement défini.

Création du groupe

De retour en Martinique, après des années de débats et de réflexions, le groupe est officiellement fondé en mai 1984. Ses membres fondateurs sont Victor Anicet, Bertin Nivor, Ernest Breleur, François Charles-Edouard, Yves Jean-François et René Louise. Le nom « Fwomajé », inspiré de l’arbre fromager, symbolise la force, l’enracinement et la majesté de leur art. Le groupe se fixe pour mission de développer une esthétique propre à la Caraïbe, échappant aux modèles artistiques occidentaux.

Objectifs et esthétique

Le Groupe Fwomajé vise à développer une esthétique caribéenne qui intègre les influences africaines, amérindiennes, européennes et asiatiques. Ils s’inspirent des travaux de penseurs tels qu’Aimé Césaire, Frantz Fanon, et Édouard Glissant, adoptant une approche syncrétique et multiculturelle. Ils souhaitent également utiliser l’art comme un outil de transmission culturelle et de conscientisation pour le peuple martiniquais. Chaque exposition est une occasion pédagogique visant à rendre l’art accessible à tous, en particulier au peuple, plutôt qu’à une élite intellectuelle ou bourgeoise.

Spécificités artistiques

Chaque membre du groupe se consacre à des thématiques propres, tout en poursuivant la vision commune du collectif. Victor Anicet explore l’héritage amérindien à travers la poterie, Bertin Nivor travaille sur des métaphores visuelles liées à la langue créole, Ernest Breleur s’intéresse aux réminiscences africaines, et François Charles-Edouard se penche sur la verticalité de l’homme martiniquais. René Louise, quant à lui, intègre la culture populaire et ses expressions magico-religieuses dans son art. Ensemble, ils s’efforcent de créer une forme d’expression visuelle qui raconte l’histoire et la culture de la Martinique.

Première exposition et succès internationaux

La première exposition du groupe a lieu en juillet 1984 lors du Festival de Fort-de-France, accompagnée d’un manifeste intitulé « Recherches et propositions pour une esthétique caribéenne ». Le succès de cette exposition fait rapidement connaître le groupe dans toute la Caraïbe. Par la suite, le groupe gagne en notoriété internationale, notamment avec l’exposition AFRICOBRA-Fwomajé à Washington D.C. en 1989, issue d’une collaboration avec le collectif afro-américain AFRICOBRA. Cependant, malgré ce succès, des divergences idéologiques apparaissent et conduisent au départ de certains membres, tels qu’Yves Jean-François et Ernest Breleur en 1988.

Rencontres, collaborations et expansion

Outre leur collaboration avec AFRICOBRA, le Groupe Fwomajé a rencontré et travaillé avec divers artistes et intellectuels à travers le monde. Dans les années 1990, le groupe s’élargit avec de nouveaux membres comme Serge Goudin-Thébia, ainsi que des personnalités issues d’autres disciplines, telles que la cinéaste Euzhan Palcy et l’ethnologue Max Sulty. Leur engagement multidisciplinaire permet de renforcer leur portée artistique et philosophique, notamment lors de la célébration du 10e anniversaire du groupe en 1994, marquée par la publication de l’ouvrage « La voie du Fromajé, l’art du dedans » de Fernand Fortuné.

Transmission et influence

En plus de leur travail artistique, les membres du groupe ont joué un rôle crucial dans la formation de jeunes artistes martiniquais. Leur engagement dans l’enseignement a permis d’influencer plusieurs générations de créateurs ou d’acteurs du monde culturel, tels que Mario Canonge, Chantal Charron, Frédéric Thaly et Steve Zébina. Ils ont inspiré une nouvelle génération à poursuivre leur quête identitaire à travers l’art, en faisant de ce dernier un outil de résistance et de transmission culturelle.

Héritage et innovations

Le Groupe Fwomajé a largement contribué à la définition d’une esthétique propre à la Caraïbe, en innovant dans l’utilisation des matériaux, des symboles et des thématiques. Leurs œuvres intègrent des éléments du vivant et de la nature, ainsi qu’une forte dimension spirituelle, reflétant une connexion profonde avec leur environnement et leur héritage culturel. Les thématiques récurrentes telles que la spiritualité, la mémoire, la résistance, et le génie populaire, présentes dans leurs œuvres, ont marqué l’art caribéen et influencé de nombreuses générations d’artistes dans la région.

Valorisation de la culture martiniquaise

Après quarante ans d’existence, le Groupe Fwomajé a su s’ancrer durablement dans le paysage artistique martiniquais et caribéen. Grâce à leur vision novatrice, à leur engagement militant et à leur volonté de transmission, ils ont non seulement influencé l’évolution des arts plastiques dans la région, mais ont également contribué à l’élévation des consciences et à la valorisation de la culture martiniquaise.

Source: D’après « Les fleurs du Ya Ax Thé » de Patricia Donatien, commissaire de l’exposition.