Forcées à veiller davantage sur leur famille, elles ont un rôle majeur à tenir dans l’élaboration d’une culture de la paix, estime la sociologue, Janja Lula da Silva épouse du président brésilien Lula.
— Par Janja Lula da Silva —
Illustration : No quieren (« Elles ne veulent pas »). Une vieille femme brandit un couteau pour défendre une jeune femme qui se fait agresser par un soldat. Francisco de Goya, Los desastres de la guerra, Estampe No. 9, 1810-1820.
En mai, lors d’un récent voyage à Hiroshima, au Japon, accompagnant le président Luiz InacioLula da Silva, pendant sa participation au sommet du G7, j’ai pu visiter le musée du Mémorial dela paix. La vue des ruines laissées par l’explosion nucléaire, entourées des bâtiments de la villere construite, s’impose à nous et oblige à réfléchir aux graves conséquences des guerres, et aux moyens possibles de les surmonter.
Une telle réflexion nous conduit à un constat implacable : ce sont les hommes qui décident de faire la guerre, et ce sont les femmes qui en subissent les pires conséquences. Et pourtant, elles sont chargées de défendre la dignité de leurs familles et de leurs communautés lors des situations de conflit. Impossible donc, dans ces conditions, d’imaginer pouvoir surmonter les guerres et construire la paix sans la participation effective des femmes.
La défense de la paix partout n’est pas seulement un devoir moral, c’est aussi une obligation politique pour tous ceux qui s’engagent pour un monde d’équité et de justice. A chaque déclenchement de conflitarmé, où qu’il soit, c’est la population déjà en situation de vulnérabilité qui souffre le plus. La guerre est un instrument de perpétuation des inégalités économiques, sociales, raciales et de genre.
Je souligne également le prix payé par les femmes, les filles et les enfants pendant les guerres et dans leurs conséquences. En réalité, nous savons que le rôle socialement construit des femmes place sur leurs épaules le poids et la charge de leurs familles et de leurs communautés, et qu’elles sont aussi concernées en premier lieu par la question de leur subsistance et de leur avenir.
Dans les régions où la violence fait partie du quotidien, les femmes et les filles ont la responsabilité de maintenir une forme de normalité et, en même temps, elles sont les plus exposées aux différents types de violences provoquées par la guerre, notamment celles, systématiques, exercées contre leurs corps.Beaucoup d’entre elles réussissent, au sein de leurs communautés, à donner un nouveau sens à la vie collective après les conflits. Elles jouent un rôle fédérateur, deviennent des leaders actifs dans la défense des droits humains et environnementaux.
Dans des contextes violents, le travail de ces femmes permet de garantir l’accès aux droits et aux services, inévitablement restreints dans les moments les plus tragiques. Elles tentent de surmonter et de prévenir les conflits avec le peu de moyens politiques qui sont les leurs.
Leaders au niveau local
Lors d’un récent dialogue avec l’ambassadrice des États-Unis auprès de l’Organisation des Nations unies(ONU), Linda Thomas-Greenfield, nous avons partagé nos réflexions au sujet de la contribution essentielle des femmes au rétablissement de la paix dans les communautés affectées par des conflits, et constaté que si, au niveau local et communautaire, elles sont en majorité des leaders, il en va autrement dans le monde politique, où elles demeurent minoritaires dans les instances exécutives ou législatives.Leur présence est particulièrement limitée dans les organes de prise de décision en matière de défense et de sécurité.
En effet, alors que, dans les territoires, les femmes sont les protagonistes des actions qui permettent de faire vivre les communautés en paix, dans les espaces de décision où les guerres et les conflits armés sont discutés, peu de voix féminines peuvent se faire entendre.
Cette contradiction est incompatible avec la nécessité de promouvoir une culture de la paix et montre l’urgence de relever le défi visant à concevoir des politiques publiques garantissant et encourageant la participation politique effective des femmes ainsi que des lignes directrices pour leur mise en œuvre. Au sein des Nations unies, un agenda politique promouvant le rôle potentiel des femmes dans les processus de négociation et de médiation des conflits a été élaboré. Nommé Pacte sur les femmes, la paix, la sécurité et l’action humanitaire, il a été officiellement adopté par le Conseil de sécurité de l’ONU en 2000,grâce à la résolution 1325. Cette dernière a été adoptée après des décennies d’efforts menés par des femmes résolues à intégrer les questions de genre dans la vie quotidienne de l’institution.
Porté par des diplomates, des parlementaires, des magistrates, des médiatrices, des casques bleus civils et militaires, au Brésil et dans le monde, cet agenda gagne en visibilité à mesure que les conflits se multiplient et que leurs effets s’aggravent sur les populations civiles des nations concernées mais aussi dans le monde entier, nous affectant tous et, surtout, toutes.
Alors que nous sommes confrontés à des crises mondiales diverses et interconnectées, nous devons assumer la tâche impérative de réfléchir à l’avenir que nous voulons léguer aux générations futures. Ce défi nous place dans une position de réaffirmation absolue de la paix comme chemin, non seulement pour notre survie, nos ressources, notre environnement, mais aussi pour inventer une nouvelle forme de coexistence entre les peuples, les communautés et les États. Sans paix, nous ne pouvons faire face à aucun des autres défis de l’humanité : la lutte contre la faim et les inégalités, les pandémies ou la crise climatique. Et nous, les femmes, avons beaucoup à apporter à la construction d’une paix durable, fondée sur la coopération pour un monde plus juste pour tous les peuples.
Janja Lula da Silva est sociologue, membre du Parti des travailleurs et épouse du président du Brésil,Lula. Depuis des décennies, elle travaille à l’élaboration de politiques d’inclusion sociale, à un renforcement de la participation des femmes dans la politique et contre les discriminations raciales et sexistes.
Source : Le Monde