— Par Roland Sabra —
On ne le répétera jamais assez, tant c’est une évidence trop souvent malmenée, la question qui dirige une mise en scène d’un texte théâtral est celle de son urgence. Pourquoi y a-t-il, hic et nunc une si grande nécessité à monter telle pièce, pour qu’elle puisse justifier un tel engagement ? Julie Mauduech en s’attaquant aux Femmes savantes a choisi une des textes les plus énigmatiques de Molière. Par opposition à la « tragédie héroïque » qui traite des affaires de l’État, la comédie est bourgeoise, en ce qu’elle concerne les affaires de la maisonnée et principalement chez Molière celle du mariage. Quel compromis trouver entre les vœux des amants et les exigences de l’ordre social sans que celui-ci soit renversé? La lecture qu’avait faite HKK de « George Dandin » à Tropique-Atrium en est une belle illustration. Les femmes savantes reprennent un schéma dramatique préféré de Molière, celui du renversement des rôles sexuels, dont on sait d’expérience qu’il ne questionne en rien le rôle. Noir ou Blanc c’est du pareil au même. Césaire dans La Tragédie du roi Christophe le disait déjà: « Il est temps de mettre à la raison ces nègres qui croient que la Révolution ça consiste à prendre la place des Blancs et continuer, en lieu et place, je veux dire sur le dos des nègres, à faire le Blanc. » Sombre destin de bien des indépendances africaines.
Dans la maison d’un honnête bourgeois ce sont les femmes qui portent la culotte. Le ridicule ne porte pas sur le fait que Philaminte aspire à être instruite, encore qu’au XVIIe siècle cela n’aille pas de soi, mais sur son autoritarisme exacerbé. C’est cette domination subie qu’Ariste reproche à Chrysalde:Ariste: « N’avez-vous point honte avec votre mollesse ? – Et se peut-il qu’un homme ait assez de faiblesse – Pour lasser à sa femme un pouvoir absolu, – Et n’oser attaquer ce qu’elle a résolu ? »
Tout comme Monsieur Jourdain est ridicule dans sa volonté de singer les manières de la noblesse Les Femmes savantes le sont par la monstration ostentatoire, l’exhibitionnisme qu’elles font de leurs connaissances. Le XVIIe siècle est cette époque de l’être et du paraître au cours de laquelle certaines personnes portent des masques en public, pour dissimuler leur caractère, afin de paraître différentes. C’est cette fausseté que dénonce Molière. Dès la scène d’exposition Clitandre, l’homme du juste milieu présente la position féministe de Molière : Clitandre « :Je consens qu’une femme ait des clartés de tout, – Mais je ne lui veux point la passion choquante – De se rendre savante afin d’être savante ; – Et j’aime que souvent aux questions qu’on fait, – Elle sache ignorer les choses qu’elle sait ; – De son étude enfin je veux qu’elle se cache, – Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache, – Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots, – Et clouer de l’esprit à ses moindres propos. »
Ce qui est dénoncé en fin de compte c’est le pédantisme que l’on peut définir comme « une attitude relationnelle caractérisée par une tendance à un élitisme volontiers mondain et orgueilleux, et à l’étalage d’une érudition académique (vraie ou simulée), reflétée par des « travers physiques et langagiers » dont une « immuabilité dans la prestance », une hyperprécision du savoir, systématique et exagérée, souvent jargonneuse et appuyée à l’excès sur les mots valises ou inventés (néologie) et par une certaine incapacité à prendre en compte l’interlocuteur, rendant le discours ennuyeux parce qu’obscur. Quand le savoir est simulé, ou volontairement détourné, le discours pédant tend aussi à l’arbitraire et peut cacher le mensonge. »
Cette dimension de l’étalage et du paraître qui triomphe aujourd’hui avec le règne du fétichisme de la marchandise Mai 68 la dénonçait sur ses murs en écrivant : « De l’être à l’avoir et de l’avoir au paraître où cours-tu camarade ? ». Totalitarisme de la fausse conscience qui met en exergue une aliénation… Sur le seul registre de l’avoir on sait que la vraie richesse se cache ( du coté de Cap-Est?) et que moins on possède plus on montre, plus expose. Sur ce terrain la Martinique et sa passion, au sens étymologique du terme, pour la dépendance, sous ses formes familiales, sociales ou politiques est une caricature.
Est-ce cette problématique qui a sous-tendu la mise en scène de Julie Mauduech ? Pas sûr. Pas évident au vu de de ce qui est restitué de façon parfois brouillonne sur scène. Le spectacle est agréable pour autant. La douzaine de comédiens amateurs restituent avec un plaisir non dissimulé le texte, son humour grinçant et la critique sociale autour duquel il est construit. Les libertés prises avec l’original sont comme des clins d’œil à notre réalité. Elles ne sont en rien des offenses. Il y a une véritable volonté de direction d’acteurs. Les personnages sont bien campés, bien différenciés. C’est vif, enjoué. Il y a pour les comédiens le bonheur d’être sur le plateau. Et il se montre. La diction (en deux mots) restitue la musique des alexandrins par delà l’insupportable bruit de fond de la climatisation longue à s’arrêter.
Le spectacle s’est joué à guichet fermé. De nombreuses demandes de places n’ont pu être satisfaites. Le succès populaire du travail présenté, comme en atteste la vigueur des applaudissements chaque soir, témoigne quoi qu’en pensent d’aucuns d’un véritable intérêt pour des pièces issues de ce qu’on appelle Le Répertoire. A méditer.
Fort-de France,
Le 05/05/2019
R.S.