Dans le cadre des négociations de paix (2012–2016) entre le gouvernement du Président Juan Manuel Santos et les FARC-EP, une sous-commission « Genre » s’est imposée au sein de la Délégation gouvernementale présente à La Havane, en septembre 2014. Cela a pu se faire grâce aux mobilisations des organisations de femmes colombiennes et à la prise en compte de l’approche genre comme élément clé de la réussite de la mise en place des accords et du processus de construction d’une paix juste, équitable et durable.
Maria Àngela Holguin, María Paulina Riveros et Nigeria Renterí ont présenté 7 172 propositions à la table des négociations au nom de 301 organisations de femmes victimes de la violence et du conflit armé, parmi lesquelles notre partenaire Taller Abierto. Ces propositions portaient sur « les conditions pour que les femmes, ainsi que toute personne avec une identité de genre différente, puissent accéder dans une égalité de principe à tous les bénéfices de vivre dans un pays sans conflit armé¹ ».
En Colombie, les droits des femmes, comme d’ailleurs ceux des populations autochtones, des afrodescendants et personnes LGTB, n’ont jamais été prioritaires dans les politiques publiques jusqu’à la signature des Accords de paix en 2016. Cette situation d’inégalité et de discrimination, très ancrée dans les structures et l’imaginaire patriarcaux colombiens, a provoqué l’apparition de violences physiques, psychologiques et sexuelles envers les femmes. Commises par l’État et d’autres acteurs non étatiques, notamment dans les cercles familiaux, elles ont augmenté de manière exponentielle pendant le conflit armé.
Des lois existent pourtant en Colombie : la loi 1257 de 2008 contre les violences faites aux femmes, la loi 731 de 2002 dite loi de « la Femme rurale », la loi 975 « Justice et paix » de 2005 et la dernière en date du 6 juillet 2015 qui reconnaît le crime de féminicide. Cependant, selon les chiffres publiés par l’Unité des victimes, « 17 100 femmes et filles ayant subi des atteintes à leur liberté et à leur intégrité sexuelle dans le cadre du conflit armé ont été recensées entre les années 1980 et le mois de décembre 2016. […] Les femmes afro-colombiennes et les paysannes étaient les plus nombreuses (40 % et 35 % respectivement) ». On relève des cas de répétition au sein d’une même famille où mère, filles, soeurs, grand-mères ont elles-mêmes déjà été abusées. « Le fait que les données relatives aux victimes de sexe masculin ou d’autres identités sexuelles soient peu nombreuses (1 900 cas) ne signifie pas que le phénomène ne les touche pas, mais qu’il est davantage passé sous silence les concernant. […] De nombreuses agressions restent passées sous silence en raison de la sous-estimation du nombre de victimes et de la crainte des représailles.2 »
Les violences n’ont pas épargné les femmes présentes au sein des FARC-EP, 40 % des 7 000 miliciens étant des femmes et des jeunes filles enrôlées, de gré, car l’État avait échoué à les protéger, ou de force comme stratégie militaire. Alors qu’elles se sont battues aux côtés des hommes pendant 50 ans, ces combattantes restaient sujettes à la violence sexuelle et aux avortements forcés, une situation qui contraste avec le baby-boom guérillero du post-conflit.
Le programme de réintégration du gouvernement colombien, qui comprend des services d’assistance à la santé mentale, à l’éducation et à la vie professionnelle, doit permettre à ces nombreuses femmes ex-guérilleras un accès aux droits civiques et politiques à égalité avec les autres citoyennes qui veulent jouer un rôle dans la construction de la paix. Mais elles risquent dans ce cas d’être victimes d’un autre type de violence qui touche actuellement les activistes sociales et les défenseures des droits humains. En effet, comme l’a dénoncé en mars dernier Diana Rodriguez, avocate déléguée aux droits des femmes et affaires de genre pour le Défenseur des droits, « au cours des 14 derniers mois, on a signalé 120 assassinats de défenseurs de droits, parmi lesquels 14 étaient des femmes activistes sociales, 156 ont été menacées et 9 agressées physiquement ».
L’État colombien devra donc garantir que tous les mécanismes et les mesures du Système intégral de vérité, justice, réparation et non-répétition (prévu au point 5 des Accords) assurent l’exercice de leurs droits aux plus de 3,9 millions de femmes victimes de violences, pour qu’elles continuent à contribuer au développement et au renforcement de nouvelles capacités citoyennes, institutionnelles et organisationnelles dans chaque territoire de paix.
Aura Rojas,vice-présidente de Terre des Hommes France.