— Par Catherine Vincent —
Qui ne les a jamais vues, à la télévision, dans les journaux, sur les réseaux sociaux ? Seins nus barrés d’un slogan, les Femen s’imposent là où on ne les attend pas. Le 12 septembre, c’était à Pontoise (Val-d’Oise), où se tenait un Salon musulman consacré cette année à la femme. Deux militantes ont fait irruption à la tribune, avec, peint sur leurs torses : « Personne ne me soumet, personne ne me possède, je suis mon propre prophète », avant d’être violemment évacuées de la scène. Très médiatisé, l’événement était en cohérence avec le combat de ces activistes contre le patriarcat et les religions, qu’elles estiment constituer « un formidable outil de domination » masculine. Etait-il pour autant efficace ? En s’attaquant frontalement à la religion musulmane, les Femen n’attisent-elles pas la flamme xénophobe du Front national ? Plus globalement, la radicalité « sextrémiste » des Femen sert-elle le féminisme, ou peut-elle devenir contre-productive ?
En termes de visibilité, leur succès est indéniable. Depuis 2009, date de leur première manifestation seins nus, en Ukraine, contre la pornographie en ligne, les Femen n’ont cessé de grandir. Le mouvement regrouperait aujourd’hui quelque 300 activistes dans le monde (une soixantaine en France) et un millier de membres sympathisants. Au Maroc, au Québec, en France ou en Egypte, elles sont sur tous les fronts. Leurs actions sont une prise d’espace : elles provoquent un impact visuel, une rupture dans le flux médiatique. Comme le mouvement féministe français La Barbe, dont la méthode consiste à envahir, en silence et avec des postiches pileux, les lieux dominés par les hommes. Mais les ressemblances s’arrêtent là. « Quand les Barbes investissent les sphères de pouvoir masculin par le cynisme et la dérision, les Femen agissent tous azimuts, avec un vocabulaire guerrier et sur le principe de l’agression visuelle », résume Claire Serre-Combe, porte-parole du réseau associatif Osez le féminisme !. Au risque de perdre en crédibilité ?
« Quoi que fassent les féministes, c’est toujours trop ou pas assez, ou pas comme il faudrait »
Claire Serre-Combe, porte-parole du réseau associatif Osez le féminisme !
Leurs armes, ce sont leurs seins. Qui excitent le regard ou le choquent, et sont parfois rattrapés par la loi. Fin 2014, deux militantes des Femen étaient ainsi condamnées pour « exhibition sexuelle » après avoir manifesté à Paris (supplément « Culture & idées » du 28 février). De nombreuses personnalités féministes ont protesté contre ce jugement. « C’est la première fois depuis quarante-neuf ans qu’une femme est incriminée pour exhibition sexuelle en France », rappelaient-elles dans Libération. Apparemment, l’argument de l’attentat à la pudeur ne convainc guère les défenseurs des droits de la femme… qui se montrent plus divisés, en revanche, sur l’efficacité de la méthode.
« Montrer ses seins pour obtenir l’égalité hommes-femmes est un non-sens, voire une régression des combats féministes menés depuis les années 1970, car, finalement, des actions seins nus, on ne retient que les seins nus », estimait, en avril 2014, dans Le Figaro, la féministe Lydia Guirous, aujourd’hui porte-parole du parti Les Républicains. D’autres regrettent que ce geste contribue à alimenter l’image de la femme-objet hypersexualisée – d’autant que les Femen sont souvent jeunes, grandes et jolies. « Il est paradoxal de dénoncer l’exhibition et l’exploitation du corps des femmes et d’utiliser la nudité pour se faire entendre », déclarait, en 2012, Julie Muret, alors porte-parole d’Osez le féminisme !, au magazine en ligne Terrafemina. Des propos que nuance aujourd’hui Claire Serre-Combe, en remarquant que « quoi que fassent les féministes, c’est toujours trop ou pas assez, ou pas comme il faudrait ».
« Une manière de faire irruption dans le bavardage audiovisuel »
« Ceux qui pensent que le fait de montrer sa poitrine dénudée relève du sexuel sont en désaccord avec l’idée centrale du féminisme, qui est que le corps de la femme lui appartient », répond Inna Shevchenko, porte-parole des Femen à Paris. La philosophe Geneviève Fraisse va plus loin. Figure du féminisme français et auteure de l’ouvrage Les Excès du genre (Nouvelles Editions Lignes, 2014), elle affirme que ce choix relève bel et bien du geste politique. « Si l’on voit apparaître des formes d’activisme telles que La Barbe, les Femen ou, en Russie, le groupe de punk-rock Pussy Riot, c’est que quelque chose doit être dit qui n’était pas audible dans les formulations antérieures. C’est une manière de faire irruption dans le bavardage audiovisuel. Mais, dans le même temps, les Femen s’inscrivent dans une histoire longue de la subversion féministe. La nudité des femmes a un rapport avec la vérité depuis l’Antiquité grecque. En se dénudant pour militer, les Femen passent d’un statut d’objet à celui de sujet. » Dans son livre, elle précise : « Ecrire sur son corps nu est un commentaire du réel, sous forme d’un “no comment” ou d’un cri de colère. L’image produite par l’activisme est une image qui parle. Elle dit “stop à vous”, et elle ajoute “je suis libre” de le dire. »…