— Par Selim Lander —
Avec cette nouvelle mouture des Enfants de la mer (d’après le texte d’Edwige Danticat), José Exélis réalise son ambition de faire un « théâtre total ». Les musiques, les chants, les danses, les lumières, le décor transformable et les costumes sont autant d’instruments dont il joue pour magnifier le jeu de ses sept comédiennes et aboutir à un spectacle fascinant, chatoyant, qui nous a séduit de bout en bout. Les Enfants de la mer interprété par José Exélis décline des genres – oratorio, opéra bouffe, ballet de cour… – qui ne sont pas vraiment l’ordinaire du théâtre martiniquais. Certains aiment et d’autre pas. Nous y reviendrons.
En attendant, il faut souligner la qualité de la réalisation. Pour aller sur la mer, il faut un bateau, au moins une sorte de radeau. C’est plutôt ce dernier qui est évoqué par l’assemblage de deux escabeaux et de deux plateaux, plus quelques perches, le tout en bois, comme de juste, un agencement qui se modifiera tout au long du spectacle puisque ce dernier s’affranchit rapidement du cadre constitué par l’embarcation de fortune (et la mer) comme le suggèrent les divers récits qui composent le texte. Edwige Danticat n’a pas écrit, en effet, un texte dramatique à proprement parler mais une suite de monologues, des histoires tristes et touchantes sans doute, rien néanmoins qui ressemble à une pièce de théâtre dans la tradition classique. Est-ce la raison pour laquelle J. Exélis a inséré ces chants, ces danses dans son spectacle ? Le fait est qu’il pouvait le faire sans briser une intrigue qui n’existe pas, a priori, dans le texte – et en tout cas pas dans le découpage qu’il en présente. On lui en veut d’autant moins que le résultat auquel il parvient est visuellement et sonorement très beau. On se régale d’écouter les chants a capella ou de voir évoluer les danseuses sur des musiques parmi lesquelles on reconnaît, entre autres, une chanson de Jocelyne Béroard (1). Les costumes taillés dans des étoffes aux couleurs chaudes, où domine l’orangé, évoquent la tenue traditionnelle des femmes des milieux populaires de chez nous. Les lumières de Dominique Guesdon (plutôt parcimonieuses comme il semble que ce soit désormais la règle) accentuent ces teintes chaudes. Bref, il faudrait être de bien méchante humeur pour bouder le plaisir apporté par ce spectacle.
Ajoutons que si les comédiennes rassemblées pour la circonstance ne sont pas toutes chanteuses et des danseuses professionnelles, elles se tirent fort bien, dans l’ensemble, de ces exercices. Elles se montrent par contre moins homogènes là où l’on ne l’attendrait pas, leur diction n’étant pas toujours ce qu’elle devrait être. Certaines ont du mal à porter leur voix jusqu’au bout de leurs phrases, d’autres ne savent tout simplement pas le faire. Ce n’est heureusement pas le cas de toutes et pas celui des comédiennes confirmées présentes sur le plateau. On doit quand même regretter que l’une de celles qui se sont vues attribuer une portion conséquente de texte ne soit pas la mieux aguerrie en la matière.
Mais s’il y a une critique à formuler, celle qui vient immédiatement à l’esprit concerne l’interprétation retenue par J. Exélis. Etait-il convenable de traiter sur un mode spectaculaire et léger – aussi séduisant soit-il – un texte dont le contenu, en dehors de quelques pointes d’humour, est avant tout grave puisqu’il présente des boat people haïtiens fuyant une dictature particulièrement violente et cruelle ? J. Exélis a-t-il eu raison d’adopter un parti aussi iconoclaste, d’opter pour un tel mélange des genres ? L’esthétisation du malheur – puisque c’est de cela, au fond, qu’il s’agit – est-elle légitime ? Ce n’est pas la première fois qu’une telle question est soulevée à propos d’une œuvre de fiction. Chacun tranchera suivant sa sensibilité. En ce qui nous concerne, et dans le cas d’espèce, nous considérons que J. Exélis ne s’est pas fourvoyé, ou qu’il s’est heureusement fourvoyé, en prenant acte du fait que, quel que soit le sujet, et qu’il soit traité ou non sur un mode tragique, un spectacle demeure toujours un divertissement. On n’aurait pas admis une comédie sur le texte des Enfants de la mer mais divertissement n’est pas nécessairement comédie.
Les Enfants de la mer, d’après Edwige Danticat, mise en scène José Exélis, avec Suzy Singa, Ina Boulangé et Jann Beaudry, Catherine Césaire, Suzy Maniry, Juliette Nguyen, Françoise Prospa. Tropiques Atrium, 12 mars 2016.
(1) Profitons de l’occasion pour rappeler aux lecteurs de Madinin-art que les prochaines « Rencontres pour le lendemain » sont organisées avec et autour de Jocelyne Béroard à la médiathèque de Saint-Esprit, mardi 15 mars 2016 à 19h.