— Par Yves-Léopold Monthieux —
Le 16 juillet dernier(1) j’écrivais qu’ « au vu de la faiblesse des forces politiques, la décision du président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique (CTM) de réunir tout le monde sous son large manteau ne manque pas d’habileté ». Et de fait, à l’image de Kylian Mbappé pour le Paris-St Germain, le manteau du Président(2) est bien plus grand que celui de l’institution qu’il préside. Bien qu’il tienne la présidence d’une seule voix de majorité, le pouvoir politique est plus « grand » que l’institution elle-même. En raison des maigres performances électorales de la classe politique, « aucun élu, comme je l’écrivais encore, ne devrait, sans risquer de se tirer une balle dans le pied, bouder son invitation » à s’affronter à la question institutionnelle de la Martinique. Et de fait, dans un élan œcuménique sans précédent, une forte délégation d’élus s’est rendue sous la houlette du Président auprès de deux ministres français. Leur engouement n’a d’égales que les sarcasmes visant ces ministres au moment de leur installation, il y a moins de six mois. Mais l’avenir institutionnel de la Martinique vaut bien une messe.
On s’était étonnés que le texte de la loi du 26 juillet 2011 créant la collectivité territoriale de Martinique (CTM) ne fût pas soumis à l’approbation de la population. Mais on avait su persuader celle-ci que le oui à la consultation du 24 janvier 2010 valait adoption par anticipation du projet qui allait être conçu et voté un an et demi plus tard par le législateur. A l’intention des récalcitrants, une petite musique avait perfidement rappelé que la loi avait compétence pour décider toute seule de la création de cette institution, comme le département en 1946 et la double assemblée en 1983. C’est dire la vacuité du propos assurant que c’est le peuple qui aura le dernier mot. Mais l’infinie résilience des Martiniquais enhardit les partisans du changement institutionnel. L’alternative selon laquelle le projet du congrès sera soumis in fine soit au vote des électeurs soit à celui du législateur montre bien que le président de la CTM n’écarte pas l’idée de faire l’impasse du peuple.
Sur un ton plus sibyllin, Justin Pamphile ne dit pas autre chose : « … si la population est consultée (ce qui lui paraît facultatif), elle donnera sa décision puisque c’est elle qui va compter au final ». De l’art de faire découler une affirmation hasardeuse d’une incertitude assumée… Le maire du Lorrain et président de l’Association des maires semble ignorer que la consultation de la population n’est pas un referendum et que son résultat ne lie pas le législateur. Si elle a lieu, cetteconsultation n’est possible qu’en amont de la décision, pas « au final » ! C’est pourquoi on cherchera en vain dans la loi du 26 juillet 2011 quelque référence aux consultations des 10 et 24 janvier 2010. Mais déjà entre 2003 et 2010, Alfred Marie-Jeanne avait susurré, notamment au cours d’une interview à une station locale, qu’il serait plus simple de passer directement par la loi. De sorte que la formule « le peuple dispose », reprise à satiété par Daniel Marie-Sainte, ne paraît pas avoir pour l’intéressé d’autre intérêt que de prendre date et de soigner son image populaire. En effet, écrivais-je enfin, « l’expérience de janvier 2010 l’a rappelé, ces « vieux de la vieille » n’ignorent pas que la consultation populaire n’est qu’une formalité qui laisse les mains libres aux parlementaires ou à ceux qui les tiennent ».
Enfin, c’est l’audacieux Louis Boutrin qui résume la démarche : « il faut qu’on arrive à faire peuple pour pouvoir parler d’une même voix. Après, une fois que nous aurons franchi cette étape, chaque groupe reprend ses habitudes ». Et voilà que, l’espace d’une étape que l’on prévoit décisive pour l’avenir de la Martinique, ses élus envisageraient de faire peuple sans le peuple. En cas de succès, l’expérience aura démontré que si on ne peut pas dissoudre le peuple, on peut toujours le zapper. Est-ce cela la nouvelle méthode annoncée ?
Fort-de-France, le 26 octobre 2022
Yves-Léopold Monthieux
2Puisqu’on dénie au président du conseil exécutif de la collectivité de Martinique (PCECTM) le droit de se faire appeler « Président de la CTM qu’il est, en fait, disons « Le Président ».