— Par Caroline Constant —
Cabu était un énorme bosseur. Toute la semaine, il prenait des notes et dessinait sur tout ce que l’actualité lui inspirait. Les éditions Les Échappés publient une anthologie de mille dessins de Cabu. Mille dessins parus entre 1969 et son assassinat, à Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. Sa veuve, Véronique Cabut, a donné accès à ses archives. Jean-François Pitet et Riss, le directeur de la publication de Charlie Hebdo, ont procédé à un choix, forcément frustrant, mais qui montre l’étendue de la palette et du talent de l’artiste. Ces dessins sont des « échappés », c’est-à-dire qu’ils n’ont pas fait la une de l’hebdomadaire satirique. Voire, pour 30 % à 40 % d’entre eux, n’ont pas été publiés du tout. La sélection des dessins, rangés dans des pochettes thématiques, a été réalisée selon un critère simple : ses dessins, réalisés, pour certains d’entre eux, voici cinquante ans, résonnent encore avec l’actualité d’aujourd’hui. Soit un dessin qui crée « un rire intemporel », dit Riss.
Cabu riait de tout, mordait souvent le trait, mais Cabu était avant tout un homme de convictions, rappelle Riss. « Cabu n’était pas qu’un amuseur. Derrière tout ça, il y a une vision claire du monde. Parfois un peu pessimiste, mais jamais cynique. D’ailleurs, il ne supportait pas les cyniques », explique le directeur de la rédaction de Charlie Hebdo. Comme ce dessin sur les boat-people, en noir et blanc, où un homme et un enfant nagent devant un bateau qui coule. « C’est encore loin, la tour Eiffel ? » demande l’enfant. « Tais-toi et nage », répond le père. Dessin qui fait cruellement écho à l’actualité récente sur les réfugiés qui se noient en Méditerranée. Il a aussi brocardé tous les présidents de la République, de De Gaulle à Hollande, et le personnel politique en général, dénoncé la corruption, il s’est déchaîné contre la haine du FN, les armes à feu et l’armée. Il a beaucoup brocardé le manque de libertés dans les pays du bloc soviétique, et les dictateurs de tout poil. Il a aussi tourné en ridicule les racismes de tout bord (Brigitte Bardot et Zemmour s’en prennent plein la poire, et c’est un régal), et tous les anathèmes balancés par les religions….
Bref, Cabu était un homme libre, et un homme de convictions. Jean-François Pitet raconte que, pour Cabu, « un dessin, ça venge ». La totalité de son œuvre témoigne de la liberté d’esprit de cet homme. C’est cette liberté qu’ont voulu assassiner les frères Kouachi, le 7 janvier. Mais elle est si forte que ses dessins lui survivent, et nous donnent une bonne claque salutaire.
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