— Par Coline Renault —
Les professeurs s’apprêtent à retrouver leurs élèves. Après la situation inédite causée par l’épidémie de coronavirus, ils vont devoir faire face à des niveaux disparates et des classes à remotiver.
De sa jolie écriture de maîtresse de CP, le programme de rentrée de Nathalie Ribierre est déjà rédigé. « 9 heures : accueil des élèves ; 10 heures : ils devront reconnaître leur prénom. Ça permettra de voir où ils en sont niveau lecture« , lit l’institutrice sur son « cahier-journal ». Son cartable ? « Bien sûr qu’il est prêt ! » Il s’agit à peu près des seules choses que celle qui enseigne dans une école de Gironde est sûre de ne pas changer. A deux semaines de la rentrée, le protocole sanitaire, précisé jeudi 20 août par le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, reste soumis à des changements.
Autre défi de taille : l’accueil d’enfants qui ont déserté depuis de longs mois les bancs de l’école. Jean-Michel Blanquer répète que tous les élèves sans exception doivent faire leur retour en classe mardi 1er septembre après plusieurs mois d’enseignement à distance ou d’école buissonnière. Pour les professeurs, cette rentrée constitue un grand saut dans l’inconnu. Dès la rentrée, ils vont pouvoir évaluer les résultats de la « continuité pédagogique » établie tant bien que mal pendant le confinement. Difficile de savoir à quoi s’attendre.
Des « vacances apprenantes » aux « stages de réussite »
Préoccupée par la nécessité de remobiliser les troupes en vue d’une rentrée qu’Emmanuel Macron souhaite « quasi normale », l’Education nationale avait tout prévu avec plusieurs dispositifs censés accompagner la reprise des élèves. Le programme « Vacances apprenantes » a été mis en place pour offrir à un million d’enfants des colonies de vacances gratuites et pédagogiques. Le ministère a également beaucoup communiqué sur les « stages de réussite », des sessions de remise à niveau tenues par des volontaires lors des première et dernière semaines des congés d’été.
Cela demeure néanmoins insuffisant pour compenser tous les retards enregistrés par les élèves pendant le confinement, selon de nombreux enseignants. « Nous avons demandé à mettre en place des ‘stages de réussite’ dans notre école début juillet et fin août. Les autorités académiques ont refusé, estimant que nous n’étions pas prioritaires sur ce dispositif réservé d’abord aux zones sensibles« , gronde Yannick Doux-Gayat, directeur d’une école maternelle dans le Tarn-et-Garonne. Une fois déployés, ces stages n’ont pas forcément convaincu les professeurs. « La petite dizaine d’élèves présents n’étaient pas les plus en difficulté. Ceux qui avaient décroché pendant la période de confinement ne sont pas venus », regrette Nathalie Ribierre, qui a animé une session début juillet.
Le verdict de l’enseignement à distance
La rentrée s’annonce brutale, pour les professeurs comme pour les élèves. La grande inconnue concerne les acquis, après cette période d’enseignement à distance. Le retour en classe a un goût d’examen de passage : les enfants vont être évalués sur ce qu’ils ont réussi à retenir… et les professeurs sur leur pédagogie numérique établie dans l’urgence de façon plus ou moins artisanale. Dans un lycée de Saint-Denis, la professeure de biotechnologie Alice Aubey* et ses collègues se sont concertés dès la fin juin pour savoir quelles notions avaient été abordées, quels élèves avaient décroché. « Mais nous n’avons pu ni les évaluer ni réaliser d’examen type. Ce n’est pas parce qu’une notion a été évoquée qu’elle est acquise », s’inquiète l’enseignante. Seuls devant leur ordinateur, les jeunes ont dû aborder des programmes lourds, soudain très abstraits.
En prévision des retards accumulés par les élèves, elle compte, comme le recommande l’Education nationale, consacrer le premier trimestre aux révisions des connaissances de l’année précédente. « On va être plutôt ‘soft‘ dans un premier temps. Mais très vite, il faudra accélérer« , précise Alice Aubey. A un an du baccalauréat, les élèves de terminale doivent essayer de rattraper le temps perdu. « Lorsque le nouveau programme pour la filière technologique, dans laquelle j’enseigne, a été publié l’an dernier, on s’est dit qu’il serait compliqué de le finir. Avec le confinement, c’est mission impossible », estime la professeure. Le programme n’a pas été allégé malgré l’épidémie. Interviewé sur France Inter fin juillet, le ministre de l’Education nationale a même souligné que son objectif était de « rehausser le niveau général », et non de « baisser les exigences ».
Des élèves « ont totalement décroché »
Le pari est ambitieux, surtout sur fond d’inégalités devenues encore plus criantes pendant le confinement. Fin juin, Yannick Doux-Gayat a vu revenir dans son école des élèves avec des écarts de niveau inquiétants. « Certains enfants bien encadrés ont été poussés à fond et sont devenus encore plus brillants, d’autres n’ont pas été suivis du tout et ont totalement décroché. Les écarts se sont creusés », explique-t-il. La difficulté d’accéder à une connexion internet satisfaisante dans son village a eu une incidence : « Les enfants qui n’ont pas pu ouvrir les vidéos explicatives publiées par leurs professeurs n’ont pas pu comprendre seuls certaines notions et présentaient de réelles fragilités sur les points abordés pendant le confinement. » Dans sa classe de grande section, nombreux étaient les élèves à ne pas avoir les acquis phonologiques et le vocabulaire nécessaires pour pouvoir apprendre à lire et aborder sereinement le CP. « Un enfant de maternelle ne peut pas, seul devant une fiche, apprendre les sons et les lettres de l’alphabet s’il n’y a pas un adulte formé, présent pour lui expliquer », pointe Yannick Doux-Gayat.
« La rentrée est un jour très important, très angoissant pour tout le monde. Il ne va pas falloir se donner de trop grands objectifs dans un premier temps, afin de ne pas angoisser les parents et les élèves. La régularisation va se faire sur l’année », estime Guislaine David, secrétaire générale du Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC.
En parcourant la liste de sa classe de CP, Nathalie Ribierre, en Gironde, s’inquiète. « Normalement, les maternelles viennent visiter l’école élémentaire, voir la cour avec les CM2, le ‘self’ de la cantine… Or, la plupart de mes élèves ont quitté l’école en février. Ils auront oublié les gestes barrières, les exigences de la vie en collectivité, note leur future maîtresse. Ils vont être projetés dans l’enfer de l’école, avec cette pression de devoir apprendre à lire ! »
Retrouver le bon rythme
Les professeurs se posent aussi des questions quant à la capacité des élèves à se remettre au travail. Voilà six mois que leurs habitudes ont changé : laissant traîner une oreille au début des classes en visioconférence pendant le confinement, Alice Aubey a ainsi découvert que certains étaient désormais abonnés aux nuits blanches. « Il était 8 heures, une élève se vantait s’être couchée à 5 heures, son amie a répliqué qu’elle n’avait pas encore dormi. Ils n’ont plus ni rythme ni habitudes de travail », regrette l’enseignante.
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