— Par Michèle Bigot —
Comédie itinérante de Valence, novembre 2019
« Faute de soleil, sache murir dans la glace » (H. Michaux)
Voici un spectacle qui ne s’encombre pas de satisfaire au besoin de distraction, tout en étant parfaitement réjouissant et roboratif. Lionel Dray écrit le texte, met en scène et interprète ce spectacle, avec quelle maestria ! Aussi bien mime (avec un goût prononcé pour Buster Keaton) que comédien accompli et subtil écrivain. C’est une sorte d’exploit, qui réussit à entremêler la satire socio-philosophique, la méditation existentielle, la provocation dadaïste, sans jamais faiblir, nous laissant suspendus à ses gestes, à ses lèvres, dans un mélange d’allégresse et d’angoisse, un rire jaune que n’aurait pas désavoué Kafka. De quoi s’agit-il donc dans cet OVNI théâtral ?
C’est un spectacle librement inspiré d’un texte daté de 1914, écrit par un certain Jean de la Ville de Mirmont avant de mourir dans les tranchées. Voyez ce que cette guerre nous a volé : ce jeune homme de 27 ans écrit un texte sur « rien », juste l’histoire d’un modeste employé de bureau qui ambitionne de vivre pleinement ses dimanches. Mais Lionel Dray le fait croiser sur son chemin Joe Bousquet, Stanley Cavell et Jean-Luc Godard. Il en résulte un texte acerbe, facétieux et pourtant mélancolique, surréel et bien souvent grave, mais hautement poétique. On y croise le bus 54, avec son conducteur désenchanté qui part pour la lune, une hyène hilarante, des images d’apocalypse, un homme qui s’ouvre les veines, la présence d’un personnage lunaire, un clown triste, Jean Dézert, (« Il vadrouille dans ses jours comme une putain dans un monde sans trottoirs », un concours et une audition de jury de cinéma, dans un mélange où l’absurde révèle la banalité de la mort quotidienne.
Lionel Dray qui a travaillé avec Jeanne Candel, en retient le projet de travailler toujours pour un lieu spécifique, de préférence atypique. C’était le cas lors de la représentation dans le micro-village de Chateauneuf-de-Bordette, perdu dans la montagne de la Drôme. Qui dit mieux, en fait de décentrement salutaire et d’audace créatrice ? Précisons qu’il va continuer sa carrière au théâtre de l’Aquarium à Paris du mardi 10 au samedi 21 décembre, dans le cadre de BRUIT, théâtre et musique. Il s’agit alors de trouver la forme qui va épouser le lieu et le cadre est un élément essentiel du projet.
Ne ratez pas ça, d’autant moins que le spectacle sera représenté aussi le 31 décembre, une façon moins idiote de passer le réveillon !
Michèle Bigot