— Par Henri Sterdyniak —
La crise sanitaire va accentuer deux tendances fortes de l’évolution monétaire de ces dix dernières années : le gonflement des dettes publiques et le bas niveau des taux d’intérêt. Dans tous les pays développés, les Etats ont pris des mesures massives de soutien de la population ou de l’activité ; les déficits publics qui en ont résulté ont été financés sans difficultés à des taux d’intérêt très faibles pour la plupart des pays, sauf pour certains pays de la zone euro. Le gonflement des dettes publiques posera-t-il problème pour l’avenir ? La mise en œuvre de politiques d’austérité pour réduire ces dettes publiques serait économiquement et socialement désastreuse. Plusieurs propositions ont été faites pour annuler ou monétiser les dettes publiques. Sont-elles réalistes ?(1)
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La hausse des déficits publics a été financée
La crise sanitaire se traduira obligatoirement par une forte hausse des déficits et des dettes publics dans l’ensemble des pays développés. Celle-ci dépendra essentiellement de la longueur des arrêts d’activité induits par la pandémie, puis de la force de la reprise une fois la pandémie enrayée. Selon le Fonds monétaire international (FMI, avril 2020) pour environ deux mois de confinement, la perte moyenne de production serait de 8 % en 2020, dont 2,5 points seraient rattrapés en 2021, laissant donc en 2021 un écart de 5,5 % par rapport à la tendance d’avant crise2. Le creusement des déficits publics en 2020-2021 proviendrait à la fois de la baisse spontanée des recettes fiscales et de la hausse des dépenses pour verser des prestations de chômage et de chômage temporaire, pour soutenir les revenus des ménages précaires, pour reporter ou annuler les impôts et les cotisations dus par les entreprises, pour aider les entreprises en difficulté à éviter les faillites, pour garantir les prêts bancaires. Selon le FMI, le déficit public augmenterait en moyenne dans les pays avancés de 7,6 points de PIB en 2020, dont 2,4 points persisteraient en 2021. Cela signifierait que les finances publiques prendraient à leur charge 75 % de la baisse du PIB. La dette augmenterait donc d’environ 10,5 points de PIB, soit une hausse de l’ordre de 16 points du ratio dette/PIB (voir tableau 1).
Contrairement à la hausse des dettes publiques, du fait des fortes niveaux de taux d’intérêt de 1980 à 1995 ou du fait des aides au secteur bancaire au moment de la crise financière de 2008, ou plus structurellement du fait de la concurrence et de l’optimisation fiscales, la hausse de 2020-21 ne peut être attribuée à des dysfonctionnements spécifiques du système économique ; elle est nécessaire du point de vue social, industriel et macroéconomique.
En 2019, aucun pays de la zone euro n’avait un déficit primaire excessif. Certes, l’Italie était en situation délicate, avec un déficit de 1,6 % du PIB, une dette de 135% du PIB et surtout une croissance médiocre, mais elle avait un excédent primaire de 1% du PIB. Son problème résidait dans le poids de sa dette qui lui coutait 2,6 points de PIB (un taux d’intérêt moyen sur la dette de 1,9 point de PIB, soit approximativement la croissance de son PIB en valeur) : l’excédent primaire permettait une légère décrue de la dette, mais celle-ci était très lente et fragile.
1 Bien qu’ayant été discutée au sein des Economistes atterrés, cette note représente mon point de vue et non nécessairement de tous les Economistes atterrés. Je signalerai, parfois, des points où des divergences existent entre nous.
2 Nous n’abordons pas ici deux points cruciaux : la crise sanitaire marquera-t-elle une inflexion de la croissance mondiale ? Malgré les aides publiques, n’y aura-t-il pas un nombre important d’entreprises qui ne survivront pas à la crise ?
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