— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —
À la mémoire de Pradel Pompilus, pionnier de la lexicographie créole contemporaine et auteur, en 1958, du premier « Lexique créole-français » (Université de Paris).
À la mémoire de Pierre Vernet, fondateur de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti et précurseur du partenariat créole-français en Haïti. À la mémoire d’André Vilaire Chery, rigoureux éclaireur de la lexicographie haïtienne contemporaine et auteur du « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti »(tomes 1 et 2, Éditions Édutex, 2000 et 2002).
Au seuil de la rentrée scolaire 2023-2024 en Haïti, il est tout indiqué d’offrir en partage un ensemble de références documentaires pouvant contribuer à enrichir la réflexion des enseignants, directeurs d’écoles, pédagogues et didacticiens, rédacteurs et éditeurs de manuels scolaires et cadres du ministère de l’Éducation nationale. Les documents répertoriés dans le présent article représentent, d’une part, un relevé indicatif des articles que nous avons publiés en Haïti, en Martinique, aux États-Unis et en France. Ils couvrent différents volets d’une commune réflexion qui se veut à la fois éclairante et rassembleuse : l’état des lieux de l’aménagement du créole et du français en Haïti, la politique linguistique éducative, les droits linguistiques, la typologie et la méthodologie de la lexicographie créole, les fondements constitutionnels de l’aménagement simultané du créole et du français. D’autre part, il est tout aussi indiqué de donner accès à des travaux de qualité élaborés par plusieurs linguistes de la relève traitant de l’un ou l’autre aspect de la créolistique. Ils contribuent, eux aussi, à l’institution de l’École de la pensée linguistique haïtienne conforme à la Constitution de 1987 : Bartholy Pierre Louis, Wilner Dorlus, Renauld Govain, André Vilaire Chery, Pierre-Michel Laguerre, Lemète Zéphyr, Fortenel Thélusma, Darline Cothière, Hérold Mimy, Bonel Oxiné, Mick Robert Arisma, Joseph Marcel Georges, Wilhem Michel, Hugues Saint-Fort, Robert Berrouët-Oriol.
En fournissant aux intervenants du système éducatif haïtien la référence à des articles amplement documentés et pourvus d’un appareillage analytique sûr adossé aux sciences du langage, nous voulons poursuivre avec eux une réflexion commune et rassembleuse sur la problématique linguistique au pays. Il nous est paru nécessaire et utile, par l’identification de nos différents articles, de mettre en lumière notre contribution personnelle et solidaire à l’institution de l’École de la pensée linguistique haïtienne conforme à la Constitution de 1987 dont l’une des caractéristiques est le partenariat entre les langues dans le droit fil de la Constitution de 1987 (voir notre article « Le partenariat créole–français, l’unique voie constitutionnelle et rassembleuse en Haïti », Le National, 14 mars 2023 ; voir aussi Renauld Govain, « Bilinguisme créole français : pour un partenariat linguistique au service de l’éducation en Haïti », Bureau caraïbe de l’AUF / Quinzaine de la Francophonie, 13 mars 2012. Sur ce registre, Renauld Govain est aussi l’auteur de « Francophonie et créolophonie dans la Caraïbe ou partenariat linguistique au service du français et des créoles ? » (Université d’État d’Haïti, Faculté de linguistique appliquée, Quinzaine de la Francophonie, 15 mars 2023).
S ur le plan historique, il est attesté que les fondations de l’École de la pensée linguistique haïtienne conforme à la Constitution de 1987 ont été érigées par nos aînés, les pionniers Pradel Pompilus, Pierre Vernet, Dominique Fattier, Ernst Mirville, Alain Bentolila, André Vilaire Chery, Henry Tourneux, Albert Valdman, Marie-Christine Hazaël-Massieux, Robert Damoiseau, Annegret Bollée, Georges Daniel Véronique, Fredéric Torterat. Nous leur sommes redevables d’avoir fourni un enseignement universitaire de haute qualité et d’avoir élaboré des ouvrages à la méthodologie éprouvée et modélisée. En voici quelques exemples : (1) Pradel Pompilus, pionnier de la lexicographie créole contemporaine, est l’auteur du premier « Lexique créole-français » (Université de Paris, 1958). Pradel Pompilus est également l’auteur de l’une des œuvres majeures de la créolistique, « Le problème linguistique haïtien », Éditions Fardin, 1985. (2) Pierre Vernet, le fondateur de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti, est l’auteur avec les linguistes Henry Tourneux, P. Nougayrol et A. Bentolila, du « Ti diksyonnè kreyòlfranse/Dictionnaire élémentaire créole haïtien-français » paru en 1976 aux Éditions caraïbes, ainsi que de « Trente ans de créolistique / Processus de re-créolisation, décréolisation », dans E. Dorismond, F. Calixte et N. Santamaria (éds.), « La Caraïbe, entre histoire et politique » (revue Recherches haïtiano-antillaises, 4), Paris, L’Harmattan, 2006. Pierre Vernet est également l’auteur du « Diksyonè òtograf kreyòl ayisyen » (1988) coécrit avec Brian Freeman. (3) Ernst Mirville a publié « Éléments de lexicographie bilingue : lexique créole-français », Biltin Institi lingistik apliké, Pòtoprins, no 11, 1979). (4) Le lexicographe André Vilaire Chery a dirigé l’équipe ayant élaboré le remarquable « Dictionnaire de l’écolier haïtien » (Éditions Hachette-Deschamps / ÉDITHA, 1996). Il a également publié le « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » (tomes 1 et 2, Éditions Édutex, 2000 et 2002). (5) Le lexicographe Albert Valdman est l’auteur du « English-Haitian Creole Bilingual Dictionnary » (Indiana University / Creole Institute, 2017), le plus rigoureux de tous les dictionnaires bilingues de la lexicographie créole. Albert Valdman a aussi publié des études majeures en dictionnairique et sur la lexicographie haïtienne, notamment « L’évolution du lexique dans les créoles à base lexicale française » paru dans L’information grammaticale no 85, mars 2000, et « Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le créole haïtien ? », revue La linguistique, 2005/1 (vol. 14). (6) La linguiste créoliste Marie-Christine Hazaël-Massieux est l’auteure, entre autres, de « Théories de la genèse ou histoire des créoles : l’exemple du développement des créoles de la Caraïbe » paru dans La linguistique, 2005/1, vol. 41), de « Prolégomènes à une néologie créole » publié dans la Revue française de linguistique appliquée, 2002/1, vol. VII, et de « L’écriture des créoles français au début du 3e millénaire : état de la question », paru dans la Revue française de linguistique appliquée, 2005/1, vol. X. Marie-Christine Hazaël-Massieux a publié en 2008 le monumental « Textes anciens en créole français de la Caraïbe / Histoire et analyse » (Éditions Publibook, 487 pages). (7) Dominique Fattier est l’auteure de « Contribution à l’étude de la genèse d’un créole : l’Atlas linguistique d’Haïti / Cartes et commentaires » (thèse de doctorat d’État soutenue en 1998 et publiée aux Presses Universitaires du Septentrion). Elle est l’auteure de « Vers une didactique du français en milieu créole », Éditions L’Harmattan, 2007. Dominique Fattier a publié, avec Annegret Bollée et Ingrid Neumann-Holzschuh (éd.), le « Dictionnaire étymologique des créoles français d’Amérique » (Kreolische Bibliothek, 29/II), Hamburg, Buske, 2017, 2018. Elle est aussi l’auteure de « Le français en Haïti, le français d’Haïti » (Journal of Language Contact 7(1) 2014), et de « Le français d’Haïti (dans sa relation osmotique avec le créole) : remarques à propos des sources existantes » paru dans « Le français régional antillais : exploration et délimitation d’un concept », 2012.
L’institution de l’École de la pensée linguistique haïtienne conforme à la Constitution de 1987 : un enjeu majeur de la créolistique
Sous l’appellation d’École de la pensée linguistique haïtienne, nous dénommons la vision linguistique consignée dans les travaux de nos aînés, les pionniers Pradel Pompilus, Pierre Vernet, Dominique Fattier, Ernst Mirville, Alain Bentolila, André Vilaire Chery, Henry
Tourneux, Albert Valdman, Marie-Christine Hazaël-Massieux, Robert Damoiseau, Annegret Bollée, Georges Daniel Véronique, Fredéric Torterat. Cette appellation désigne également les travaux des linguistes de la relève ayant, comme leurs aînés, inscrit leur réflexion et leurs travaux dans la perspective d’une description objective des faits de langue en Haïti ou dans celle du partenariat créole-français ou dans celle ayant ciblé le créole sans appeler à une « fatwa » contre le français haïtien. Les principaux linguistes haïtiens de la relève ont pour nom Bartholy Pierre Louis, Wilner Dorlus, Renauld Govain, André Vilaire Chery, Pierre-Michel Laguerre, Lemète Zéphyr, Fortenel Thélusma, Darline
Cothière, Hérold Mimy, Bonel Oxiné, Mick Robert Arisma, Joseph Marcel Georges, Wilhem Michel, Hugues Saint-Fort, Robert Berrouët-Oriol. L’École de la pensée linguistique haïtienne n’est pas une structure formelle ayant pignon sur rue et lettres patentes, elle constitue plutôt le marqueur d’un espace transnational de réflexion et d’échanges au creux duquel s’inscrivent les interventions des linguistes, des didacticiens et des lexicographes.
L’institution de l’École de la pensée linguistique haïtienne conforme à la Constitution de 1987 comporte plusieurs dimensions : celle privilégiant la description objective des faits de langue en Haïti, celle d’une vision de l’aménagement simultané de nos deux langues officielles en lien avec l’institutionnalisation du bilinguisme de l’équité des droits linguistiques, celle de l’impératif de l’élaboration de la première Loi d’aménagement linguistique d’Haïti, celle de la politique linguistique éducative et celle d’une lexicographie créole rigoureusement élaborée sur le socle de la méthodologie de la lexicographie professionnelle. En ce qui a trait de manière spécifique au créole, l’École de la pensée linguistique haïtienne poursuit en les approfondissant des travaux de recherche en dialectologie, syntaxe, sémantique, phonologie, traductique et traduction, lexicologie et lexicographie, ainsi qu’en didactique.
Il faut prendre toute la mesure que l’institution de l’École de la pensée linguistique haïtienne conforme à la Constitution de 1987 est un enjeu majeur de la créolistique qui jusqu’ici a été une entreprise en grande partie tournée vers l’indispensable description du créole. Sur le plan épistémologique, nous appelons, dans le présent article et dans des contributions antérieures, à rompre avec une vision chétive, archaïque et essentialiste de la problématique linguistique haïtienne et à placer notre commune réflexion ainsi que l’ensemble des actions aménagistes sur le terrain des sciences du langage et de la jurilinguistique. La vision chétive, archaïque et essentialiste de la problématique linguistique haïtienne s’expose sur différents registres, elle est portée par différentes voix qui ressortent la plupart du temps de « l’idéologie linguistique haïtienne ». Celle-ci est repérable principalement à travers les préjugés relatifs aux langues (survalorisation du français, stigmatisation du créole) et à travers les dérives idéologiques récurrentes des « créolistes » fondamentalistes et des Ayatollahs du créole. La problématique de « l’idéologie linguistique haïtienne » a été étudiée par le sociodidacticien et sociolinguiste haïtien Bartholy Pierre Louis, ancien étudiant de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti et auteur en 2015 d’une thèse de doctorat intitulée « Quelle autogestion des pratiques sociolinguistiques haïtiennes dans les interactions verbales scolaires et extrascolaires en Haïti ? : une approche sociodidactique de la pluralité linguistique » (Université européenne de Bretagne, laboratoire « Plurilinguisme, représentations, expressions francophones information, communication, sociolinguistique », PREFics).
« L’idéologie linguistique haïtienne » est diverse, elle va à l’encontre des droits linguistiques de tous les locuteurs haïtiens, elle tient à distance les sciences du langage et promeut un narratif idéologique identitariste/nationaliste destiné pour l’essentiel à « mobiliser » les créolophones et à assurer la « défense » et la « promotion » du créole (voir notre article « Le créole et « l’idéologie linguistique haïtienne » : un cul–de–sac toxique », Madinin’Art, 27 mars 2020). À ce titre, « l’idéologie linguistique haïtienne » -tout en niant le caractère bilingue créole-français de notre patrimoine linguistique historique –, ne promeut pas un aménagement rigoureux du créole, aux côtés du français, en conformité avec les articles 5 et 40 de la Constitution de 1987 et en lien avec la « Déclaration universelle des droits linguistiques » de 1996. À partir d’une lecture tronquée et partielle de l’article 5 de notre Charte fondamentale, « l’idéologie linguistique haïtienne » appelle à la sédition, au rejet du bilinguisme d’État inscrit dans les articles 5 et 40 de la Constitution de 1987 et elle promeut, du même mouvement, l’unilinguisme d’État. Deux exemples illustrent pareille posture idéologique et inconstitutionnelle propre à « l’idéologie linguistique haïtienne » : le mantra du créole « yon sèl lang ofisyèl », qui appelle au rejet total du français en Haïti, et le mantra du créole unique langue officielle d’Haïti à la Caricom (voir notre article « Le créole, « seule langue officielle » d’Haïti : mirage ou vaine utopie ? », Le National, 7 juin 2018 ; cet article est également paru sur le site de l’Observatoire européen du plurilinguisme) ; voir aussi nos articles « Le créole, « seule langue officielle d’Haïti » : retour sur l’illusion chimérique de Gérard-Marie Tardieu », Madinin’Art, 10 octobre 2019 ; « Le créole langue officielle à la CARICOM ou l’impasse d’une illusion « nationaliste », Rezonòdwès, 15 décembre 2020 ; article reproduit sur le site Africultures le 5 février 2021 ; « Le créole à la CARICOM : utopie ou mal–vision persistante ? », Madinin’Art, 13 avril 2018.
L’analyse critique de la posture idéologique et inconstitutionnelle des manifestations de « l’idéologie linguistique haïtienne » consignée dans ces articles éclaire adéquatement le fait que ce narratif identitariste/nationaliste s’oppose au vote majoritaire de la Constitution de 1987. Par ce narratif, les porte-voix identitaristes/nationalistes appellent de manière sectaire à nier et à évacuer le vote démocratique majoritaire de la Constitution de 1987 et à le remplacer arbitrairement par le petit catéchisme « créoliste » d’une minorité de bilingues créole-français qui, tous, ont été scolarisés dans les meilleures écoles francophones du pays. Sur ce registre, ce qu’il faut surtout retenir c’est l’appel constant à violer la Constitution de 1987 par les prédicateurs-officiants de « l’idéologie linguistique haïtienne », loin des sciences du langage et loin de l’obligation de mettre en œuvre les droits linguistiques de tous les locuteurs haïtiens (sur la place centrale des « Droits linguistiques » dans le dispositif et dans la démarche de l’École de la pensée linguistique haïtienne conforme à la Constitution de 1987, voir notre livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en Haïti / Pledwaye pou dwa lenguistik ann Ayiti », Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2018 ; voir aussi nos articles « Droits linguistiques et droits humains fondamentaux en Haïti : une même perspective historique », Potomitan, 11 octobre 2017, et « Droits linguistiques » et « droit à la langue » en Haïti, la longue route d’une conquête citoyenne au cœur de l’État de droit », Le National, 11 avril 2023 ; voir également l’étude de référence du juriste haïtien Alain Guillaume, « « L’expression créole du droit : une voie pour la réduction de la fracture juridique en Haïti », Revue française de linguistique appliquée, 2011/1, vol. XVI). Sur le registre des droits linguistiques, nous avons dans plusieurs articles exposé que le « droit à la langue maternelle » est un droit linguistique premier : il fait partie des « droits linguistiques » reconnus à une communauté de sujets parlants et il appartient au grand ensemble des droits humains fondamentaux (voir à ce sujet la conférence que nous avons donnée à la Journée d’études sur le bilinguisme créole français organisée par le Collectif Haïti de France, Paris, 16 février 2019 : « Le droit à la langue maternelle créole dans la Francocréolophonie haïtienne », ainsi que l’article « Retour sur le droit à la langue maternelle créole dans le système éducatif haïtien », Le National, 27 août 2019).
Alors même qu’elle est diverse dans ses modes d’expression, « L’idéologie linguistique haïtienne » –sur le versant de sa « croisade évangélique », conflictuelle et belliciste contre la prétendue « francofolie » haïtienne et contre la langue française stigmatisée au titre de « langue du colon », de « langue coloniale », de « gwojemoni kolonyal » et de « virus mental »–, s’alimente des dérives sectaires du linguiste Yves Dejean. Auteur de l’erratique article « Fransé sé danjé » (revue Sèl, n° 23-24 ; n° 33-39, New York, 1975), Yves Dejean, de langue maternelle française, est l’auteur d’une monumentale et fort instructive thèse de doctorat, « Comment écrire le créole d’Haïti » (Indiana University, 1977) publiée à Montréal en 1980 aux Éditions Collectif paroles. Yves Dejean est également l’auteur du livre « Yon lekòl tèt anba nan yon peyi tèt anba » (Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2012), livre souvent convoqué à l’aveugle, sur le mode d’une pieuse récitation œcuménique, par plusieurs « activistes créolistes » alors même que cet ouvrage ne comprend aucune proposition majeure et explicitement formulée en matière de lexicographie, de pédagogie, de didactique et de didactisation du créole. Ainsi, les notions de « pédagogie », de « didactique » et de « didactisation du créole » sont absentes de l’index thématique du livre (pages 432 et suivantes), et l’auteur, à la rubrique « Bibliografi » (page 409 et suivantes), ne donne accès qu’à deux seuls titres de Pradel Pompilus (pages 421-422), « Contribution à l’étude comparée du français et du créole à partir du créole haïtien » – Volume I, phonologie et lexique ; volume II, morphosyntaxe, Éditions caraïbes, 1973 et 1976, ainsi que « Le problème linguistique haïtien », Éditions Fardin, 1985. Il y a lieu de noter que le livre « Yon lekòl tèt anba nan yon peyi tèt anba » a été publié en 2012 et qu’il passe totalement sous silence des travaux de premier plan antérieurs à 2012 menés par d’autres linguistes dans différents champs de la créolistique, notamment par Pierre Vernet, Dominique Fattier, Ernst Mirville, Alain Bentolila, André Vilaire Chery, Henry Tourneux, Albert Valdman, Marie-Christine Hazaël-Massieux, Georges Daniel Véronique et Fredéric Torterat. Par exemple, « Yon lekòl tèt anba nan yon peyi tèt anba » fait l’impasse sur deux contributions majeures d’Albert Valdman, « L’évolution du lexique dans les créoles à base lexicale française » paru dans L’information grammaticale no 85, mars 2000, et « Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le créole haïtien ? » paru dans la revue La linguistique, vol. 14, 2005/1. Le fait que le livre de Yves Dejean ne comprend aucune proposition majeure et explicitement formulée en matière de lexicographie, de pédagogie, de didactique et de didactisation du créole explique également qu’il passe sous silence plusieurs autres études de premier plan telles celles de Marie-Christine Hazaël-Massieux, « La lexicographie et la lexicologie à l’épreuve des études créoles » parue dans la revue Études créoles 12/2, 1989, et « Prolégomènes à une néologie créole » parue dans la Revue française de linguistique appliquée, dossier « Lexique : recherches actuelles », vol. VII – 1, 2002.
L’un des grands défis contemporains de l’institution de l’École de la pensée linguistique haïtienne conforme à la Constitution de 1987 est de didactiser l’ensemble de ses interventions analytiques et pédagogiques, autrement dit de mettre la totalité de ses savoirs à la portée des non-linguistes et des locuteurs haïtiens dans différents domaines et sur plusieurs registres. Par exemple, dans l’élaboration d’un programme d’éducation civique, l’École de la pensée linguistique haïtienne, par l’apport d’un chantier de lexicographie, doit être en mesure de fournir aux enseignants le vocabulaire françaiscréole des droits humains tout en faisant le lien avec les sections de la Constitution de 1987 traitant des droits citoyens et avec la Déclaration universelle des droits linguistiques de 1996. Cet exigeant travail de didactisation des savoirs linguistiques et des pratiques pédagogiques renvoie, en ce qui a trait au créole, à la complexe problématique de la didactisation étudiée sous différents angles dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (par Robert Berrouët-Oriol et al, Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021).
L’apport de la lexicographie créole à l’institution de l’École de la pensée linguistique haïtienne conforme à la Constitution de 1987
Il est sans doute significatif que la lexicographie haïtienne ait pris naissance en 1958 par les travaux pionniers de Pradel Pompilus, auteur du premier « Lexique créole-français » (Université de Paris) : il a ainsi ouvert la voie à un vaste chantier lexicographique ciblant en grande partie le créole. Aux côtés des travaux de recherche menés ces dernières décennies en dialectologie, syntaxe, sémantique, phonologie, traductique et traduction, ainsi qu’en didactique, les études de lexicologie et les ouvrages de lexicographie créole occupent une place de premier plan.
Épistémologie et lexicographie créole : les travaux des pionniers émérites
La réflexion des linguistes créolistes sur la lexicographie créole –à ne pas confondre avec la production de dictionnaires et de lexiques–, est relativement peu connue alors même qu’elle constitue un enjeu majeur de la créolistique et de l’aménagement du créole en Haïti. Voici une liste indicative de la réflexion des linguistes émérites sur la lexicographie créole.
Montréal, le 6 septembre 2023
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Pradel Pompilus (1958) : Lexique créole-français, sous-titré « Thèse complémentaire ». Éditions de la Sorbonne, Paris.
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Pradel Pompilus (1961) : La langue française en Haïti. Éditions de la Sorbonne, Paris.
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Pradel Pompilus (1978) : État présent des travaux de lexique sur le créole haïtien. Revue Études créoles, vol. 1 n° 107 ; accessible à la Bibliothèque universitaire de l’Université des Antilles, campus de Schoelcher, Martinique.
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Marie-Christine Hazaël-Massieux (1989) : La lexicographie et la lexicologie à l’épreuve des études créoles. Paru dans la revue Études créoles 12/2.
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Marie-Christine Hazaël-Massieux (1994) : À propos de la nomenclature de quelques dictionnaires des Petites Antilles. Revue études créoles, vol. XVII, n° 1.
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Marie-Christine Hazaël-Massieux (1997) : Où l’on retrouve les dictionnaires créoles… à la recherche de l’impossible défi. Dans Contacts de langues, contacts de cultures, créolisation, M.C. Hazaël-Massieux et D. de Robillard, éds., Paris, L’Harmattan.
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Marie-Christine Hazaël-Massieux (2000) : Français et créole dans la nomenclature des dictionnaires des Petites Antilles. Dans Danièle Latin et Claude Poirier, avec la collaboration de Nathalie Bacon et Jean Bédard, éds., Contacts de langues et identités culturelles, Presses de l’Université Laval, AUPELF-UREF.
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Marie-Christine Hazaël-Massieux (2002) : Prolégomènes à une néologie créole. Paru dans la Revue française de linguistique appliquée, dossier « Lexique : recherches actuelles », vol. VII – 1.
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Marie-Christine Hazaël-Massieux (2015) : Sens figurés et métaphores – Pour le développement du lexique créole. Paru dans Du français aux créoles / Phonétique, lexicologie et dialectologie antillaises », Éd. Classiques Garnier.
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Dominique Fattier (1984) : De la variété rèk à la variété swa : pratiques vivantes de la langue en Haïti. Paru dans la revue Conjonction, 39-51.
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Dominique Fattier (1997) : La lexicographie créole saisie à l’état naissant (Ducoeurjoly 1802). Paru dans Marie-Christine Hazaël-Massieux / Didier de Robillard (éds), Contacts de langues, contacts de cultures, créolisation, Paris, L’Harmattan, 259-273.
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Dominique Fattier (2002) : Lexique : approche synchronique, à propos de l’haïtien. Paru dans C. Bavoux & D. de Robillard (éds) Linguistique et créolistique. Univers créoles 2, Paris : Anthropos.
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Dominique Fattier (2007) : Étymologie et lexicographie historique : à propos de quelques-uns des apports de l’Atlas linguistique d’Haïti. Presses universitaires du Septentrion.
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Annegret Bollée (2005) : Lexicographie créole : problèmes et perspectives. Revue française de linguistique appliquée, 2005/1 (Vol. X).
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Henry Tourneux (2006) : Un quart de siècle de lexicographie du créole haïtien (1975-2000). Paru dans Raphaël Confiant : À l’arpenteur inspiré / Mélanges offerts à Jean Bernabé, Éditions Ibis Rouge.
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Albert Valdman (2000). L’évolution du lexique dans les créoles à base lexicale française. Revue L’information grammaticale no 85.
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Albert Valdman (2005/1) : Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le créole haïtien ?. Revue La linguistique, vol. 14.
Les travaux des pionniers émérites de la lexicographie créole ont été poursuivis par plusieurs linguistes de la relève, notamment Renauld Govain auteur de l’étude « De l’expression vernaculaire à l’élaboration scientifique: le créole haïtien à l’épreuve des représentations méta–épilinguistiques », revue Contextes et didactiques, Presses universitaires des Antilles, no 17, juin 2021. Renauld Govain a aussi publié « Les emprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol », Éditions L’Harmattan, 2014. Pour sa part, Fortenel Thélusma, auteur de plusieurs manuels d’enseignement du français, a publié « Le créole haïtien dans la tourmente ? Faits probants, analyse et perspectives », C3 Éditions, 2018.
Quant à nous, notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » (Le National, 21 juillet 2021) rassemble et présente les 75 ouvrages publiés entre 1958 et 2022, soit 64 dictionnaires et 11 lexiques. Cet essai de typologie rend compte des avancées et des lacunes de la lexicographie haïtienne et il est redevable de l’étude princeps d’Henry Tourneux, « Un quart de siècle de lexicographie du créole haïtien (1975-2000) » paru dans « À l’arpenteur inspiré, Mélanges offerts à Jean Bernabé », ouvrage dirigé par Raphaël Confiant et Robert Damoiseau (Éditions Ibis rouge, Matoury, Guyane, 2006).
De 2020 à 2023, nous avons publié 24 articles traitant de la lexicographie haïtienne sur ses versants français et créole :
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Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022. Le National, 21 juillet 2022.
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Plaidoyer pour une lexicographie créole de haute qualité scientifique. Le National, 15 décembre 2021.
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Toute la lexicographie haïtienne doit être arrimée au socle méthodologique de la lexicographie professionnelle . Le National, 31 décembre 2022.
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Lexicographie créole : retour–synthèse sur la méthodologie d’élaboration des lexiques et des dictionnaires. Le National, 4 avril 2023.
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Lexicographie créole, traduction et terminologies spécialisées : l’amateurisme n’est pas une option… Le National, 8 février 2023.
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Dictionnaires et lexiques créoles : faut–il les élaborer de manière dilettante ou selon des critères scientifiques ? Le National, 28 juillet 2020.
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Les défis contemporains de la traduction et de la lexicographie créole en Haïti. Le National, 8 juillet 2023.
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Le traitement lexicographique du créole dans le « Diksyonè kreyòl Vilsen . Le National, 22 juin 2020.
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Le traitement lexicographique du créole dans le « Leksik kreyòl » d’Emmanuel W. Védrine. Le National, 14 août 2021.
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Le traitement lexicographique du créole dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haïti Initiative. Le National, 21 juillet 2020.
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Le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative. Le National, 15 février 2022.
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Le traitement lexicographique du créole dans le « Diksyonè kreyòl karayib » de Jocelyne Trouillot. Le National, 12 juillet 2022).
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Lettre ouverte au Département de linguistique du MIT : « Pour promouvoir une lexicographie créole de haute qualité scientifique. Le National, 1er février 2022.
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Créole haïtien / Lettre ouverte à la Linguistic Society of America. Le National, 11 octobre 2022.
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La lexicographie créole à l’épreuve des égarements systémiques et de l’amateurisme d’une « lexicographie borlette . Le National, 1er avril 2023.
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La « lexicographie borlette » du MIT Haiti Initiative n’a jamais pu s’implanter en Haïti dans l’enseignement en créole des sciences et des techniques. Le National, 3 juillet 2023.
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La lexicographie créole à l’épreuve de l’« English – Haitian Creole computer terms » / Tèm konpyoutè : anglè – kreyòl » d’Emmanuel W. Vedrine. Le National, 15 juin 2023.
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La lexicographie créole à l’écoute des enseignements de la dictionnairique. Le National, 16 mai 2023.
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La lexicographie créole, incontournable auxiliaire de l’aménagement linguistique en Haïti. Le National, 5 janvier 2023.
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Dictionnaires créoles, français–créole, anglais–créole : les grands défis de la lexicographie haïtienne contemporaine. Le National, 21 décembre 2022.
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Le « Dictionnaire de l’écolier haïtien », un modèle de rigueur pour la lexicographie en Haïti. Le National, 3 septembre 2022.
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La lexicographie créole à l’épreuve du « kreyòl machòkèt » en Haïti. Le National, 27 août 2022.
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Jean Pruvost et la fabrique des dictionnaires, un modèle pour la lexicographie haïtienne. Le National, 26 septembre 2021.
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Lexicographie créole : revisiter le « Haitian Creole–English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman. Le National, 30 janvier 2023.
En plus de fournir un éclairage typologique amplement informatif sur divers aspects de la lexicographie haïtienne (sur ses versants français et créole), ces articles exposent l’obligation du recours systématique à la méthodologie de l’élaboration des dictionnaires et des lexiques (voir en particulier notre « Plaidoyer pour une lexicographie créole de haute qualité scientifique » (Le National, 14 décembre 2021), et « Toute la lexicographie haïtienne doit être arrimée au socle méthodologique de la lexicographie professionnelle », (Le National, 29 décembre 2022). Il y a lieu de préciser que le dispositif méthodologique de la lexicographie contemporaine est enseigné, à travers le monde, dans toutes les Facultés et Départements de linguistique offrant une spécialisation en lexicographie. Il est d’usage courant dans toutes les équipes de rédaction des dictionnaires usuels de la langue (Le Robert, USITO, Le Larousse, Hachette, etc.), ainsi que dans l’élaboration des dictionnaires thématiques spécialisés. En lexicographie haïtienne, ce dispositif méthodologique a guidé l’élaboration, par exemple, du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » (Éditions Hachette-Deschamps / ÉDITHA, 1996) d’André Vilaire Chery et de son équipe ; du « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » d’André Vilaire Chery (Éditions Édutex, tomes 1 et 2, 2000 et 2002) ; du « EnglishHaitian Creole Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman et al. (Indiana University / Creole Institute, 2017). À l’opposé des ouvrages élaborés en conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle, d’autres ont été conçus dans l’ignorance des règles de la lexicographie professionnelle. En voici quelques exemples : « Diksyonè kreyòl Vilsen », par Maud Heurtelou et Féquière Vilsaint (Éduca Vision, 1994 [2009] ; « Leksik kreyòl : ekzanp devlopman kèk mo ak fraz a pati 1986 », par Emmanuel Védrine, Creole Project, 2000 ; « Diksyonè kreyòl karayib », par Jocelyne Trouillot (CUC – Université caraïbe, 2003 [?] ; « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », par le MIT – Haiti Initiative, 2015 [?]. Le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » est particulièrement symptomatique du naufrage de la lexicographie créole dans une structure universitaire qui ne dispose d’aucune compétence connue en lexicographie générale et en lexicographie créole. Comme nous l’avons rigoureusement démontré dans deux diagnostics analytiques –« Le traitement lexicographique du créole dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haïti Initiative » (Le National, 21 juillet 2020), et « Le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative » (Le National, 15 février 2022)–, le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » est une œuvre dénuée de crédibilité scientifique. Il promeut un erratique « modèle » lexicographique de type Wikipédia inconnu de la lexicographie professionnelle et il charrie frauduleusement, sous couvert « d’enrichir la langue créole d’un vocabulaire nouveau », un nombre relativement élevé de pseudo équivalents « créoles » fantaisistes, agrammaticaux, non conformes au système morphosyntaxique du créole et qui ne peuvent pas être compris par les locuteurs créolophones.
Par ailleurs, la publication de « Gramè deskriptif kreyòl ayisyen an » de la linguiste Jockey Berde Fedexy (préfacé par Renauld Govain, Jebca Editions, 2015) et de « Gramè kreyòl » du linguiste Sauveur Joseph (Éditions du Cidihca, 2007) marque certainement un tournant dans l’élaboration en créole d’outils analytiques dédiés à l’étude de la grammaire du créole. Le linguiste Hugues Saint-Fort, auteur de nombreux articles de vulgarisation ciblant le créole, a publié en 2011, aux Éditions de l’Universié d’État d’Haïti, le livre « Haïti : questions de langues, langues en question ». Il a fait paraître un compte-rendu de lecture du « Gramè kreyòl » de Sauveur Joseph, « Pou ki sa nou bezwen yon gramè kreyòl » (Potomitan, mai 2020). En plus de contribuer à une meilleure compréhension de la grammaire du créole, les ouvrages de Sauveur Joseph et de Jockey Berde Fedexy peuvent également être utiles à la didactique/didactisation du créole ainsi qu’à la lexicographie créole.
Ces dernières années, au creux de notre réflexion analytique sur les différents aspects de la lexicographie créole, nous avons nous aussi contribué à un utile et nécessaire éclairage sur la dimension linguistique de l’apprentissage scolaire en langue maternelle créole et sur l’impératif de l’élaboration d’une politique linguistique éducative en Haïti. Cette réflexion est principalement consignée dans nos articles « Un « Plan décennal d’éducation et de formation 2018 – 2028 » en Haïti dénué d’une véritable politique linguistique éducative » (Le National, 31 octobre 2018) ; « L’aménagement du créole en Haïti à l’épreuve du « Cadre d’orientation curriculaire » du ministère de l’Éducation nationale » (Rezonòdwès, 27 août 2013) ; « Plaidoyer pour l’aménagement simultané, dans l’École haïtienne, des deux langues officielles d’Haïti conformément à la Constitution de 1987 » (Rezonòdwès, 11 août 2023) ; « Faut–il exclure le français de l’aménagement linguistique en Haïti ? » (Le National, 31 août 2017) ; « L’aménagement du créole en Haïti et la stigmatisation du français : le dessous des cartes » (Le National, 3 mai 2022) ; « L’aménagement du créole doit–il s’accompagner de « l’éviction de la langue française en Haïti ? » (Le National, 10 mai 2022) ; « L’état des lieux de la didactique du créole dans l’École haïtienne, une synthèse (1979 – 2022) », (Le National, 27 mai 2022).
La problématique de la didactique spécifique du créole –qui n’a fait l’objet d’aucune contribution majeure des « créolistes » fondamentalistes, des Ayatollahs du créole et des bricoleurs de « lexicographie borlette »–, a été abordée avec hauteur de vue par plusieurs enseignants-chercheurs haïtiens ces dernières années. Par exemple, l’étude « La didactique du créole en Haïti : difficultés et axes d’intervention » du linguiste créoliste Wilner Dorlus a été élaborée en vue de sa participation aux Journées d’études sur la graphie et la didactique du créole organisées en 2008 par le CRILLASH (Centre de recherches interdisciplinaires en lettres, langues, arts et sciences humaines) de l’Université des Antilles en Martinique. Il y a également lieu de souligner l’apport du linguiste didacticien Lemère Zéphyr auteur du livre « Les facteurs de blocage à la communication orale dans les cours de français en 9e année fondamentale / Diagnostic et stratégies de remédiation » (Trilingual Press, 2022). Lemère Zéphyr est également l’auteur de l’article « Kondisyon ki nesesè pou edikasyon fèt an kreyòl ann Ayiti » paru dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (par Robert Berrouët-Oriol et al, Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021). Dans le même ouvrage le linguiste Hugues Saint-Fort a publié l’article « Eleman entwodiksyon pou yon gramè kreyòl », tandis que le linguiste Pierre-Michel Laguerre y a publié l’étude « La didactisation de l’orthographe créole : une gageure dans l’aménagement linguistique des deux langues dans le curriculum de l’École haïtienne ». Pierre-Michel Laguerre est l’auteur d’études linguistiques spécialisées parmi lesquelles « Didactique de la communication créole et française » (ministère de l’Éducation nationale, 1996). En ce qui a trait à la didactique du créole, l’étude la plus ample et la plus rigoureuse a été élaborée par Renauld Govain avec le concours de Guerlande Bien-Aimé. Cette étude a pour titre « Pour une didactique du créole haïtien langue maternelle » et elle est consignée dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (par Robert Berrouët-Oriol et al, Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021).
En guise d’une brève conclusion : comme nous les avons exposés dans le déroulé de cet article, les défis contemporains de l’institution de l’École de la pensée linguistique haïtienne conforme à la Constitution de 1987 sont divers et de premier plan. L’un de ces défis est de tenir à bonne distance critique « l’idéologie linguistique haïtienne » et d’ancrer la réflexion et l’action de l’École de la pensée linguistique haïtienne au périmètre des sciences du langage, des droits linguistiques et de la Constitution de 1987. Sur les registres de la didactique et de la didactisation du créole comme sur celui de la lexicographie créole, l’École de la pensée linguistique haïtienne devra innover par la conduite de travaux inédits capables de répondre à des besoins précis et d’être utiles entre autres à l’élaboration de manuels scolaires de qualité. Sur le registre de la formation en lexicographie, elle accordera une attention particulière à la dimension institutionnelle des apprentissages universitaires spécialisés et elle s’attachera à promouvoir l’élaboration d’outils lexicographiques bilingues français-créole/créole-français et unilingues créole de haute qualité scientifique. Dans tous les cas de figure et en dépit de la co-officialisation du créole et du français dans la Constitution de 1987, il est essentiel de ne pas perdre de vue l’imbrication de l’usage dominant du français et de la minorisation institutionnelle du créole qui, en dépit de certaines avancées notamment dans les médias, est encore l’objet de préjugés tenaces et de clichés irrationnels de dénigrement. L’École de la pensée linguistique haïtienne doit apporter des réponses crédibles et rassembleuses à cette problématique repérable à tous les étages du corps social haïtien.
Il n’est pas courant de conclure un article tel que celui d’aujourd’hui par des extraits d’un courriel personnel… Il faut savoir que depuis plusieurs années nous avons pris l’habitude de soumettre nos articles, avant publication, à des enseignants et à des linguistes oeuvrant en Haïti. Leurs éclairants commentaires critiques nous sont précieux et nous ont valu de garder le cap d’une réflexion analytique en prise sur le réel et qui entend être rassembleuse. Ainsi, Roody Edmée, enseignant de carrière en Haïti et éditorialiste disposant d’une grande audience dans la presse haïtienne, nous a adressé ses commentaires par courriel après avoir lu la troisième version du présent article. Il nous a aimablement autorisé à le citer :
« Ton article sur « Les défis contemporains de l’institution de l’École de la pensée linguistique haïtienne conforme à la Constitution de 1987 » constitue un rafraîchissant rappel sur le déploiement de cette pensée linguistique des pionniers comme Pradel Pompilus et Pierre Vernet aux « linguistes de la relève ». Ceux-là même dont les travaux de qualité ont fait prendre à cette pensée linguistique un bon qualitatif que tu as le mérite de relever dans ton texte repères. Il apparaît dès lors comme un répertoire des différentes contributions apportées par des linguistes sur plusieurs décennies. Un excellent guide pour les étudiants et chercheurs qui comprendront que cette pensée linguistique est bien vivante. De même qu’une langue connaît de multiples variations qui témoigne de sa vitalité, la rigueur analytique exige d’éviter les rigidités idéologiques qui fossilisent les contenus du savoir. Ce que tu n’as de cesse de relever dans tes différents articles qui sont de rigoureuses plaidoiries pour un aménagement équilibré de nos deux langues historiques. Je ne te le dis pas par amitié, c’est le mot de « vision rassembleuse » qui me rassure. C’est le fait que tu insistes toujours avec raison que la problématique linguistique en Haïti, si nous sommes sérieux, ne saurait faire l’économie d’un dispositif législatif et avoir pour ultime référence, la Loi mère. »
« Traiter des langues parlées par un peuple est une question qui relève des droits du citoyen à s’émanciper par le discours et la libre expression de sa créativité littéraire et scientifique. Penser un aménagement linguistique exige des principes démocratiques de tolérance, de respect du droit à la contradiction, et d’assumation de la nouvelle cohabitation démocratique de nos deux langues officielles sans exclusive. Une vraie émancipation de la langue populaire passe par l’éclatement de tout plafond de verre ideologique ou « jdanovisme linguistique ». Le créole n’a pas à avoir « peur » du français. Ce sont deux langues matures qui possèdent leurs propres ressources et qui se nourrissent mutuellement. Elles sont toutes les deux « irresponsables » devant l’Histoire de leur instrumentalisation par des institutions coloniales et ou néocoloniales. »