Les CRS n’ont jamais tué personne en Martinique

— Par Yves-Léopold Monthieux 

Le sujet n’est pas de porter de jugement sur l’envoi de la CRS 8 en Martinique. Dans les circonstances difficiles, le préfet a toujours fait appel à des forces spéciales de police venant de l’Hexagone. Malgré les protestations convenues, toujours au rendez-vous, comme celles d’aujourd’hui, les élus et les syndicalistes s’en sont toujours trouvés satisfaits à la fin. Oubliant leurs préventions, l’ordre rétabli sans bavures, c’est comme s’ils en étaient à l’origine. Il en fut ainsi des gendarmes mobiles, à plusieurs reprises, comme du GIGN, il y a 3 ans, et comme il en sera probablement de la CRS 8. Si, à entendre ses contempteurs, l’acronyme CRS est devenu un mythe fantasmé et diabolisé, de sorte qu’une compagnie d’exception ne peut être à leurs yeux que plus proche du diable. Sauf qu’en réalité, les de bavures policières, comme pour toutes les professions, sont plus à craindre des services et des hommes inexpérimentés que l’inverse. Reste qu’aucun élu ne veut être en retard d’une bavure possible de la part d’un corps aussi sulfureux et idéologiquement signifiant que celui des CRS. L’autre grand mérite de leur venue est de faire oublier les soirées de feu et de sang, devenues tout à coup accessoires, et redonner quelques couleurs à des élus moribonds.

Ainsi donc, Jean-Luc Mélenchon a prononcé un discours presque parfait sur les évènements qui frappent la Martinique, auquel n’importe quel citoyen français ignorant les faits ne peut que souscrire. Les déclinaisons de la vie chère, la lecture des prix comparés entre l’Hexagone et la Martinique y suffisent. Pourquoi “presque” parfait, cependant ? Parce que grâce à son talent corrosif et armé d’informations erronées ou incomplètes, le tribun suggère fortement qu’en décembre 1959 (non 1958 comme il l’a dit) les CRS étaient les auteurs de la mort des 3 jeunes martiniquais. Or, ainsi qu’on pourrait le reprocher aux forces de gendarmerie ou de police locale, jamais les CRS n’ont fait de victimes en Martinique et encore moins à l’occasion des incidents de décembre 1959. C’est pourtant l’accusation qui a été faite par une vox populi orientée, puis soigneusement suggérée pour contourner l’histoire désormais établie.

Certes, en 1959, sans l’arrivée des CRS, un dimanche, vers 18 heures, sur le lieu d’un incident déjà réglé, bien qu’elle fût sans violence – ayant été moi-même, comme curieux, en contact direct avec eux – il n’y aurait pas eu ce que le très respecté vice-recteur Alain Plénel, le père d’Edwy Plénel, avait appelé improprement les “Trois Glorieuses”. L’envoi des CRS, quelles que furent les circonstances de la décision, fut la seule vraie faute commise dans cette affaire.

Rappelons une évidence historique qui a du mal à être admise, même 65 ans après : les CRS dont la présence avait déclenché l’échauffourée du dimanche 21 décembre 1959 était rentrés dans leur caserne à 22 heures. A ce moment-là, il n’y avait qu’un blessé léger d’une balle reçue au bras par un usager de la terrasse du dernier étage de l’Hôtel de l’Europe. Les CRS quittèrent le Fort-St Louis le lendemain matin pour opérer au centre-ville des rondes en jeep jusqu’à 11 – 12 heures. Ils réintégrèrent alors leur caserne pour ne plus en ressortir.

Or les 3 victimes ont trouvé la mort en cette fin d’après-midi du lundi 22 décembre 1959, alors que les CRS avaient donc définitivement quitté le terrain. La première victime a été tuée devant témoins par des gardiens du corps urbain, une autre a vraisemblablement été encore le fait de la police locale, la 3ème ayant pu être tuée par un gendarme. Mais les bruits persistants incriminant les CRS, plus politiquement bancables que la police locale, ont longtemps duré, y compris dans la presse internationale. Celle-ci annonçait une quinzaine de morts et des centaines d’arrestations. Il n’est donc pas étonnant qu’à partir d’informations encore ciblées aujourd’hui, M. Mélenchon suggère que les CRS furent l’auteur de ces crimes. Il n’est pas le seul. Voilà pour les faits.

Quant à mon opinion, aux bruits de la rumeur publique il était politiquement impossible de maintenir les CRS sur le terrain. Ils avaient déjà eu maille à partir avec des militaires en poste en ville comme cela se produisait en France dans la plupart des villes de garnison. Comme on dit chez nous, ces deux communautés sous uniforme et encasernées à quelques centaines mètres de distance “nourrissaient un petit cochon”. Cependant, à partir du lundi après-midi 22 décembre, la remise du maintien de l’ordre aux mains de policiers de la ville non préparés à affronter la foule, a sans doute été à l’origine des 3 décès. La même inexpérience s’était à nouveau vérifiée, 3 ans plus tard, lors de la Fusillade du Lamentin. Plus près de nous, en 2009, malgré une meilleure formation des policiers martiniquais venant presque tous de Paris et de la région parisienne, sans la présence de forces de gendarmerie spécialisées placées sous l’autorité du préfet Ange Mancini, ancien patron du Raid, on pouvait craindre des dégâts humains bien plus importants qu’en 1959.

En tout état de cause, la venue en Martinique de la CRS 8 apparaît bien comme une aubaine pour ses contempteurs, car par les temps qui courent où tout brûle et se vandalise, nul tocsin ne saurait réveiller les élus de leur torpeur, à l’insigne exception de l’odeur de flic et des potentiels bavures policières. C’est ainsi que la démonstration est faite qu’aucun parlementaire ou élu d’importance ne connaît l’histoire des CRS en Martinique, trop heureux de se laisser transporter par le fleuve populiste d’une histoire travestie, née de Radio Savane.

Fort-de-France, le 24 septembre 2024

Yves-Léopold Monthieux