— Par Sarha Fauré —
Les cris de douleur, comme « aïe » ou « ouch », apparaissent spontanément lorsque nous souffrons, transcendant les cultures et les langues. Une étude menée sur 131 langues et publiée dans le Journal of the Acoustical Society of America explore ce phénomène en se demandant si les interjections de douleur, par leur structure sonore, incarnent une langue universelle enracinée dans notre biologie.
Une signature vocale commune
Les résultats montrent que les interjections de douleur sont souvent constituées de voyelles ouvertes ([a]) et de diphtongues descendantes (comme [ai]). Ces sons, produits par une bouche largement ouverte, sont universels. Ils se distinguent des interjections de joie ou de dégoût, qui ne présentent pas les mêmes régularités acoustiques.
Les chercheurs ont comparé les interjections tirées de diverses langues et des vocalisations non linguistiques (cris, gémissements) émis en réponse à la douleur. Les similarités frappantes entre les deux suggèrent que les interjections de douleur ont une origine biologique, héritée des vocalisations instinctives des mammifères, utilisées pour signaler un besoin urgent d’aide ou pour exprimer une détresse immédiate.
Une continuité entre le cri et la parole
Ces interjections témoignent d’une convergence entre communication instinctive et langage humain. Les cris de douleur remplissent une fonction biologique claire : attirer l’attention, alerter sur un danger ou solliciter de l’aide. Au fil de l’évolution, ces cris auraient été intégrés et transformés en interjections linguistiques, offrant une première fenêtre sur la naissance du langage articulé.
Iconicité et symbolisme sonore
L’étude met en lumière un lien non arbitraire entre la forme des interjections et leur signification. Contrairement à la plupart des mots, où la relation entre son et sens est arbitraire, les interjections de douleur se rapprochent de leurs origines acoustiques naturelles. Les voyelles ouvertes [a], par exemple, reproduisent l’état physique de la bouche lors d’un cri, ce qui confère aux interjections leur caractère universel et intuitif.
Une universalité transculturelle
Les données montrent que, peu importe la région du monde (Afrique, Asie, Europe, Australie), les interjections de douleur convergent vers des caractéristiques sonores similaires. Cette uniformité contraste avec les interjections de joie ou de dégoût, qui varient davantage selon les cultures. Elle suggère que la douleur, expérience humaine universelle, impose des contraintes naturelles sur les sons utilisés pour la communiquer.
Implications pour l’origine du langage
Les interjections de douleur remettent en question l’idée que le langage humain est entièrement arbitraire. Elles illustrent comment certains éléments linguistiques pourraient émerger directement des besoins biologiques et des réponses émotionnelles instinctives. Cela pose des questions fascinantes sur l’évolution du langage, notamment sur la manière dont des vocalisations naturelles ont pu être intégrées dans des systèmes de communication codifiés.
Une langue universelle
Les cris de douleur, dans leur simplicité et leur spontanéité, semblent parler une langue universelle. Ils relient le biologique au linguistique, révélant une continuité entre nos instincts les plus fondamentaux et le langage humain. Cette étude ouvre de nouvelles perspectives sur les mécanismes évolutifs et sociaux qui façonnent notre manière de communiquer, tout en mettant en lumière le rôle des émotions dans la structuration du langage.