Nous aimions aller sur la plage
À la trêve de Pâques.
La Martinique tout entière
Déferlait en bord de mer,
Le lundi de Pâques.
Et c’était un jour de liesse,
Un jour maudit pour les crabes.
C’était l’hécatombe des crustacés,
Tant on faisait bombance de crabes.
Mais ce temps est mort.
Les mangroves puent
Et les vents mêmes
Se bouchent les naseaux.
Ils vont tous mourir au large,
Troupes de mustangs incommodés.
La marée brasse la mangrove.
Le poison est partout.
Il transpire du silence.
Et dans la mangrove,
La mort lente s’installe.
Et le poison porte ce nom barbare,
Chlordécone.
Un nom d’empoisonnement lent
Et de mortes lentes,
Un nom drame,
Un nom fléau,
Un nom de guerre,
Comme celui que portent les criminelles,
Une vêture militaire celui des mercenaires,
Couverts par la bienveillance des princes.
Le chlordécone a pris ses quartiers.
Les crabes pullulent empoisonnés.
Plus personnes ne mangent des crabes,
Sauf à les importer pour préserver les traditions.
Les crabes de chez nous,
Oui, les nôtres donnent la mort.
Et ils meurent sur pied, à petit feu,
Tout comme nous,
Insidieusement.
Voilà longtemps
Que les hommes chez nous
Marche à reculons.
Mon pays aussi marche à reculons.
Les hommes ont la prostate ulcéreuse.
Les femmes n’ont plus qu’elles-mêmes,
Puisque les hommes ne sont plus virils.
Je suis d’un pays qui devient stérile,
En ses hommes et en sa terre.
Une nation offre sa chair à ses enfants.
Elle donne sa vie pour qu’ils vivent.
Notre pays n’ose plus nous offrir sa chair,
Elle est devenue vénéneuse.
Les chiens, quant à eux, prennent le large,
Ceux-là qui empoisonnent impunément,
Ils fuient vers des contrées hospitalières,
Vers une Caraïbe nouvelle, encore saine.
J’habite un pays mort,
Un pays vivant, mais mort,
Un pays de zombis à l’agonie.
Mon peuple entier, piégé, erre
Dans une morgue
À ciel ouvert.