— Par Danielle Laport, Sociologue du travail —
La Martinique s’est mobilisée pour exiger le rétablissement des contrats aidés. Cette revendication pourrait sembler grotesque au regard du caractère singulier de ces contrats : précarité et salaire peu attractif. Si la précarité est avérée, contrat allant de 6 mois à 24 mois et dans certains cas jusqu’à 60 mois, la réalité du salaire l’est moins puisque rien n’interdit qu’un contrat aidé soit à temps plein et rémunéré au niveau du SMIC, comme la grande majorité des contrats de droit commun. Actuellement la quasi-totalité des contrats aidés sont à temps partiel et conduit de ce fait à un salaire proportionnel au temps de travail réel. Ce n’est pas une exception puisque le temps partiel est également utilisé dans certains secteurs d’activité (le commerce par exemple) dans le cadre de contrat de droit commun. Aussi, le montant du salaire pour les contrats aidés ne peut-il aucunement être un argument en soi pour rejeter cette forme de contrat. La question des salaires est plus globale.
La problématique des contrats aidés est bien plus complexe que cela. Elle renvoie aux politiques d’insertion qui tentent de réajuster un système qui ne veut pas se réinterroger. Pourtant le système en l’état produit de profonds déséquilibres qui conduisent à la disqualification et à la désaffiliation d’un nombre de plus en plus important de jeunes et de moins jeunes. Tant que les questions liées, d’une part à une plus juste répartition de la richesse produite, et d’autre part au développement endogène de la Martinique n’auront pas été clairement posées pour trouver des réponses adéquates, la Martinique aura besoin de rustines pour tenter de faire face au désarroi social.
Les politiques d’insertion, sortes de variables d’ajustement, sont pensées en posant le zoom sur la personne en situation d’exclusion. Ce zoom l’oblige à se réinterroger et à lui faire porter, si besoin, la responsabilité de la permanence de son exclusion. Ces politiques d’insertion sont conçues pour assurer la permanence du système qui n’est pas problématique pour tous. Loin de là ! Il suffit de consulter le classement des 500 plus grosses fortunes de France et de noter, d’une part que leur patrimoine progresse, et d’autre part que des groupes martiniquais y figurent. Fortune constituée en partie des subventions publiques allouées aux entreprises. L’aide publique ne poserait-elle donc problème que pour les exclus ?
Nous sommes donc au cœur de deux questions complémentaires : quel type de développement qui soit profitable au plus grand nombre ? Quel choix de société pour plus d’équité et de justice sociale ? Tant que des amorces de réponse n’auront pas été apportées à ces questions, les politiques d’insertion resteront nécessaires au fonctionnement de ce système. Elles constituent des temps plus ou moins probants pour les bénéficiaires. Mais on note qu’elles viennent surtout répondre à des besoins collectifs d’intérêt général relevant de la puissance publique. La suppression des contrats aidés dans le secteur public et dans les associations a une signification bien précise. La mission d’intérêt général au sens de l’expression d’une volonté générale supérieure aux intérêts particuliers dévolue à l’administration et aux associations pour assurer la cohésion sociale est ébranlée. Les moyens pour assurer cette mission d’intérêt général fondamentale de la devise républicaine sont tronqués, car alloués dans le cadre de l’insertion avec toute la fragilité qu’elle sous-tend et maintenant supprimés. Cette volonté d’aller vers moins de service public pour faire place au privé est manifeste.
Deux éléments témoignent clairement de cette volonté de faire premier le secteur privé.
Le premier élément est la formulation du Préfet dans son courrier du 25 septembre 2017. Il indique que : « Les formules d’insertion plus durable dans le monde du travail seront privilégiées (apprentissage, alternance…) en lieu et place du contrat aidé. » La question centrale à cette formulation est la suivante : en quoi les formules en alternance comme l’apprentissage diffèrent-elles des contrats aidés ? Ces formules sont également limitées dans le temps et le salaire est fonction de l’âge. Le volet formation de l’alternance est obligatoire, à l’instar des contrats aidés qui eux bénéficient de moins d’heures de formation. Que recouvre donc cette formulation ? Les pistes sont les suivantes : l’apprentissage concerne majoritairement les entreprises d’où l’idée de monde du travail. Le « vrai monde du travail » serait donc le secteur privé. Ce sont des approches très libérales de la question du travail. Par ailleurs, les primes liées au contrat d’apprentissage et au contrat de qualification sont financées par la Collectivité Territoriale et la formation du contrat de qualification financée par les OPCA. Il y a donc un transfert de la responsabilité de cette épineuse question de l’emploi. Et puis, comment l’insertion peut-elle être « plus durable » lorsque l’on sait que l’insertion est une transition, un moment dans le parcours de socialisation ?
Le second élément est le fameux « en même temps » du Président de la République : réforme du Code du Travail et annonce de la suppression des contrats aidés. Il n’y a pas de hasard. Les ordonnances donnent une plus grande flexibilité au marché du travail rendant ainsi les entrées et sorties plus aisées. Il appartiendra aux personnes en situation d’exclusion de « profiter » de cette grande flexibilité du marché du travail dans le secteur privé. Le marché du travail se régulerait ainsi tout naturellement ! Théorie économique bien connue… Les contrats aidés, qui selon toute vraisemblance dans l’approche du gouvernement participent plus de l’occupationnel pour les bénéficiaires dans les services publics et associations que d’une vraie nécessité, n’ont donc plus lieu d’être puisque l’intérêt général n’est plus premier.
Cependant, ce n’est pas en transférant la responsabilité à la CTM et en créant plus de flexibilité au sein des entreprises que les situations d’exclusion disparaîtront. Au contraire la paupérisation et la précarité seront exacerbées car la structure de la société martiniquaise reste inchangée. Ne serait-il pas judicieux de changer la logique de l’insertion et en faire un outil de développement pour la Martinique qui interagirait sur l’individu et le système ? Car l’insertion telle que déployée se transforme en un cautère sur une jambe de bois.
Danielle Laport
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