— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Depuis notre dernière publication sur le sujet des clubs Cigales, les choses ont évolué positivement. Un premier club d’investisseurs a été créée en Guadeloupe. Reste l’objectif d’implantation d’un ou plusieurs clubs en Martinique. Le club CIGALES est en premier lieu un club d’investisseurs, qui réunit ses membres plusieurs fois par an, recueille leurs cotisations régulières pour former une cagnotte collective, et comme son nom l’indique, investit dans de petites entreprises quelque soit leur stade de développement (création, croissance, restructuration) en création ou encore œuvrant principalement dans le secteur productif .
Issu de l’Économie Sociale et Solidaire, dans les années 80/90 , le mouvement des CIGALES s’est construit sur le constat qu’il est possible à de simples citoyens d’accompagner celles et ceux qui se lancent dans la grande aventure de la création d’entreprise ou du développement de la production locale.
Il prend la forme d’un apport financier au capital ou sous forme de prêt, d’un soutien humain et de conseils adaptés. Chaque club CIGALES regroupe de 5 à 20 personnes pour une période de 5 ans renouvelables.
Son statut l’indivision ; ce n’est donc ni une association, ni une entreprise.
Les cigaliers (membres du club) qui le composent épargnent régulièrement pour investir collectivement et solidairement dans des projets de territoire.
Tous les clubs adhèrent à la charte nationale des CIGALES et font l’objet d’un agrément de la Fédération, permettant à la fois de sécuriser l’épargne des membres, et de disposer d’un statut fiscal favorable
A noter comme dit précédemment qu’il existe actuellement un club Cigales en Guadeloupe créé début 2019,( le 1er créé en outre-mer), d’autres sont en gestation sur la Basse-terre ; à terme il est envisagé l’émergence d’autres clubs mais actuellement ce n’est pas encore le cas en Martinique et en Guyane.
L’idée de créer un outil d’épargne solidaire en direction des TPE est partie du constat simple suivant : la structure économique de nos entreprises (très petite taille, à fort taux de mortalité en création, et notablement sous capitalisées) a pour conséquence un désintérêt des organismes de capital risque externe ; or les solutions internes ont soit disparu, soit dysfonctionnent ; et en tout cas leurs contributions sont marginales en regard des besoins de notre économie.
La solidarité des guadeloupéens et Martiniquais est toujours présente dans les grands moments, mais elle est inexistante dans le domaine financier, alors que le dispositif fiscal est très attractif (l’épargne des particuliers en Guadeloupe est de plus de 4 Milliards d’euros , dont 10% suffirait à couvrir l’ensemble des besoins !)
Le club Cigales, à son petit niveau, souhaite y remédier, en se fixant pour objectif d’accompagner 4 à 5 entreprises chaque année, voire permettre l’émergence d’autres clubs, y compris dans l’île sœur. Chaque membre verse une épargne, à la mesure de ses moyens (les apports mensuels des membres sont en moyenne de 40 à 80€) ; il s’engage sur une durée de 5 ans, éventuellement renouvelable une fois.
Les Clubs Cigales sont constitués de groupes d’hommes et de femmes qui, plutôt que de laisser dormir leur épargne en banque, préfèrent l’investir dans des projets économiques locaux, et de préférence, solidaires. Le hic, c’est que l’épargne des guadeloupéens et Martiniquais ne s’oriente pas vers les entreprises locales, car étant captée par les investissements dans l’immobilier ou par les produits financiers des banques et des assureurs de l’Hexagone .
Les banques pour leur part sont conduites à réduire sensiblement leurs concours aux TPE qui composent l’essentiel du tissu économique de nos territoires, placées sous la double contrainte de taux de risque plus élevé aux Antilles et des nouvelles normes imposées par leurs tutelles. Pourquoi ne pas mettre l’accent aujourd’hui sur ces clubs d’investissements qui pourraient changer la donne en matière de réorientation de l’épargne des Guadeloupéens et Martiniquais ?
Je pense que les entreprises locales pourraient produire et exporter dans la zone Caraïbe, mais que l’économie a été anesthésiée jusqu’ici par le phénomène pervers d’assistanat et par les aides publiques qui se sont souvent révélées improductives à endiguer le chômage et le mal développement . Le modèle économique et social actuel de la Guadeloupe et de la Martinique n’est plus viable ni tenable à terme, d’où la nécessité de s’orienter dès à présent vers un modèle économique et social de type nouveau dans lequel l’épargne locale devrait jouer un rôle très important . Et c’est là qu’intervient la pertinence de la mise en place de clubs Cigales aux Antilles .
En effet, les Antilles doivent désormais se développer autrement, et notamment avec les clubs Cigales. C’est là une des solutions possibles et complémentaires pour un développement durable et endogène. La Guadeloupe et la Martinique vivent dans un paradoxe qui ne saurait durer davantage. D’un côté, des particuliers disposant de liquidités très importantes ; de l’autre, un secteur privé et des petites entreprises de production qui peinent à se financer. La difficulté à trouver de bons projets et la faiblesse de l’environnement institutionnel ne peuvent plus raisonnablement justifier une telle situation. Mobiliser les « bas de laine » des guadeloupéens et martiniquais , résidents ou non-résidents, devient une urgence.
Réveiller ces ressources suppose avant tout de renforcer les circuits de captation de l’épargne locale .
L’enjeu ? Faire de chaque citoyen un investisseur à part entière contribuant au développement de son pays.
Cet enjeu s’avère primordial à comprendre dans un contexte où les besoins en fonds propres des entreprises en Guadeloupe et en Martinique sont importants comme en témoignent les cotations banques de France (statistiques Iedom), puisque moins de 2% des entreprises immatriculées ont une cotation considérée comme correcte ; de ce fait, on parle de frilosité bancaire….
Chaque année, plus de 6000 entreprises sont créées aux Antilles , dont la moitié disparaissent au bout de 3 ans, pour différentes raisons, mais un ratio normal ramènerait ce taux « de casse » à 20% si elles disposaient de fonds propres adaptés.
Les outils d’accompagnement locaux existent, mais sont partiellement inadaptés ou insuffisants (Initiative Guadeloupe et Martinique , BPI, Sagipar, FIRG, Caraïbes Angels, Feedelios, etc.)
Parallèlement, le niveau d’épargne en Guadeloupe et en Martinique (plusieurs milliards) est largement suffisant pour couvrir les besoins ; leurs conditions actuelles de placement sont peu attractives, alors que de nombreuses entreprises, insuffisamment capitalisées, pourraient rémunérer des « capital risqueur ».
La principale difficulté réside dans l’organisation d’un marché mettant face à face des porteurs de projets et des investisseurs locaux, car la méfiance règne !
Les porteurs sous estiment la nécessité de disposer de fonds propres suffisants pour lancer leur entreprise et convaincre les organismes de financement ; ils identifient également un risque de perdre leur entreprise, outre leur perception d’un revenu indécent versé à un simple apporteur de ressources
Les potentiels investisseurs ont rarement la capacité d’identifier les bons dossiers, répugnent à faire un suivi sérieux, et doutent d’une utilisation pertinente de leur apport
La solution « Club Cigales » parait possible dès lors ! La fédération nationale qui a donné son agrément au club de Guadeloupe soutient pleinement et activement le projet de création d’un club CIGALES en Martinique.
Les membres des clubs apporteront un savoir faire et un réseau qui permettra la réception de dossiers a minima crédibles
Leur capacité d’instruction et de suivi des investissements conduira à réduire les risques de défaillance et pourrait avoir un effet levier sur les financements externes.
Au-delà des soucis de technique financière, le club CIGALES est avant tout un lieu de convivialité, de solidarité, de rencontres et d’auto-formation à l’économie, où l’argent n’est qu’un moyen pour irriguer un peu plus le tissu local, participer à la création d’emplois et faire du citoyen un acteur engagé de son nouvel environnement économique.
De nombreux guadeloupéens et martiniquais devraient pouvoir s’intéresser à cette démarche originale de développement économique .
-Jean-Marie Nol, économiste.