— Par Ludovic Perrin —
LE LIVRE DE LA SEMAINE – En retraçant l’histoire de la masturbation dans Voyage autour de mon sexe, Thibault de Montaigu revient sur cet acte, sorte de « signature érotique sur son propre corps ».
« C’est en Arabie Saoudite que j’ai redécouvert, il y a quelques années, le charme discret de la masturbation. J’avais vingt-six ans et à cette époque de ma vie, ma principale ambition dans l’existence était de coucher avec des filles. Beaucoup de filles. Toutes sortes de filles. Le seul problème est que les filles en question partageaient rarement la même ambition que moi et je me retrouvais le plus souvent – à la fermeture des boîtes alors que je titubais seul sur la piste en me demandant où tout le monde était passé ou bondissant sur mon portable pour découvrir que le texto que je venais de recevoir n’était pas signé Laure ou Victoria comme je l’espérais mais Jean-Jacques, votre opticien Lissac – avec la triste impression de faire partie d’un fan-club dont j’aurais été le seul et unique membre. Il arrivait parfois que mes efforts fussent couronnés de succès mais plus qu’à mes talents de séducteur, je le devais à cette étrange loi mathématique selon laquelle plus on se prend de vestes, plus nos chances de choper augmentent. Pour ma part, ce n’est même pas des vestes que je me prenais, mais des dressings entiers…
C’est donc avec enthousiasme que j’accueillis la proposition qu’on me fit de partir en Arabie Saoudite afin d’écrire un rapport sur l’industrie du pétrole : sans doute trouverais-je là-bas un terrain plus favorable afin de poursuivre ma jeune et balbutiante carrière de don Juan. J’étais si confiant en l’avenir d’ailleurs que la première chose que je fis, en arrivant à l’aéroport de Roissy, fut de me précipiter à la pharmacie afin d’acheter une boîte de 24 préservatifs Durex Feeling Sensual extra-lubrifiés. Comme on le voit, je ne manquais pas de foi dans l’existence. Mais d’expérience, certainement. Car non seulement mon fan-club en Arabie n’allait enregistrer aucune nouvelle inscription notable durant les six mois que j’allais y passer, mais je faillis bien, accablé de chaleur, d’ennui et de désagréments gastriques, par m’en exclure moi-même.
A vrai dire, le vol de la Saudi Airlines aurait déjà dû être une première indication : toutes les femmes allèrent se couvrir aux toilettes peu avant l’atterrissage. Le compound où l’on me conduisit à mon arrivée, une deuxième : un complexe ultrasécurisé aux confins de la ville de Riyad dont l’accès était gardé par une série de plots en béton et de ralentisseurs auxquels succédaient deux postes de contrôle, un tank, plusieurs tireurs embusqués derrière des sacs en toile de jute et un haut mur festonné de barbelés. Enfin, la Néerlandaise qui se présenta comme ma collègue, une dernière : une espèce de grande autruche acariâtre aussi sexy et détendue qu’un élastique dentaire. Mais je ne voulus rien voir de tout cela et je déballai mes préservatifs avec le même enthousiasme stupide, la même naïveté enjouée qu’un type qui se jetterait à la mer avec sa planche de surf avant de découvrir que celle-ci est aussi plate qu’un lac gelé au fin fond de la toundra… La seule différence est que j’allais passer six mois dans cet océan, assis sur ma planche, à guetter l’horizon en espérant une hypothétique vague qui bien évidemment ne viendrait jamais.? »
La masturbation est-elle un geste politique? Assurément, à en croire Thibault de Montaigu qui, le plus sérieusement du monde, a consacré pas moins de 225 pages à un sujet qui peine encore à s’inviter dans les débats. De nos ancêtres australopithèques à sœur Emmanuelle en passant par Robinson Crusoé, qui dut bien se raccrocher à la « putain gauche » pour tenir vingt-huit ans sur son île déserte, le romancier s’est mué en anthropologue pour retracer l’histoire d’une pratique qui symbolise à elle seule le lieu de toutes les utopies. Sans oublier de se mettre en scène, ce qu’il fait avec une drôlerie jubilatoire. Thibault de Montaigu a eu l’occasion de mûrir la question lors de ses six mois passés en Arabie saoudite, à réécrire le scénario de ses premiers flirts de vacances, avec Scarlett Johansson en invitée impromptue. Il explique pourquoi, depuis l’ère industrielle, la masturbation s’est imposée comme un refuge insurrectionnel, le « dernier îlot de résistance dans une société sous surveillance ».
La masturbation, menace pour le capitalisme libéral?
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