— Par Sophie Joubert —
Les bibliothécaires sont en colère. Après les personnels de Sevran, en grève fin février pour protester contre la dégradation de leurs conditions de travail, une délégation des bibliothécaires en lutte de Grenoble a fait le voyage au salon Livre Paris, le 24 mars. Leur but : alerter les professionnels du livre sur la fermeture de deux équipements situés dans des quartiers populaires : « Une attaque sans précédent du réseau de lecture publique grenoblois », selon les membres de l’intersyndicale CGT-FO-SUD-CNT reçus au ministère de la fonction publique.
L’affaire remonte à juin 2016. À la suite de la baisse des subsides de l’État de 17 millions d’euros (soit 7 % du budget), l’équipe municipale d’Éric Piolle, composée d’élus EELV, Front de gauche, et de citoyens, met en place un « plan de sauvegarde » des services publics : « Une politique d’austérité qui ne dit pas son nom », analyse Guy Tuscher, élu Ensemble ! qui a refusé de voter le budget et a été exclu de la majorité avec Bernadette Richard-Finot (Parti de gauche). Joint par téléphone, le cabinet du maire parle d’« adaptation aux usages et aux métiers », plaide la densité du réseau (12 bibliothèques dont 7 de quartier), le transfert des deux sections jeunesse fermées vers d’autres équipements tout en admettant l’existence de « barrières psychologiques ». « Ces fermetures vont amplifier la relégation d’une partie des citoyens », argumentent les bibliothécaires en lutte, soutenus par un collectif d’usagers. En décembre, le maire a annoncé que la bibliothèque de quartier Alliance serait transformée en « troisième lieu », une nouvelle génération d’établissements culturels venue des États-Unis qui repose sur la convivialité et le partage des espaces mais réduit le nombre d’ouvrages à disposition.
« C’est la disparition programmée de la culture de proximité »
Les bibliothèques, premières victimes de l’austérité ? « On nous demande de faire plus avec moins de moyens », résume Pascale Le Corre, directrice de la médiathèque de Romainville et présidente de l’association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis. « On n’a jamais eu de budgets aussi bas, la baisse de dotations touche tous les services culturels », renchérit Olivier (1), directeur d’un réseau de bibliothèques en région parisienne. Personnels travaillant à flux tendu, vétusté des locaux, non-remplacement des départs en retraite, précarité des contrats, baisse des budgets d’acquisition, formation insuffisante des agents : au Salon du livre, les témoignages de soutien au mouvement grenoblois se sont multipliés. « Nous sommes dans une logique de rentabilité. À Paris les effectifs et les budgets d’acquisition diminuent alors que c’est la collectivité la plus riche de France. C’est la disparition programmée de la culture de proximité », a protesté le représentant de l’intersyndicale des bibliothèques de la Ville de Paris, en conflit avec la mairie sur l’ouverture le dimanche.
L’extension des horaires d’ouverture est un débat sensible, réactivé par les déclarations d’Emmanuel Macron, qui prône dans son programme l’ouverture le soir et le dimanche. François Fillon parle de recours au bénévolat et aux jeunes en service civique pour assurer ces horaires élargis. « Sans bibliothécaires, pas de bibliothèques », a répondu Jean-Luc Mélenchon lors de son meeting à Lyon. Le candidat de la France insoumise défend « le maillage national », souhaite « garantir leur budget face aux choix financiers ou idéologiques de certaines collectivités territoriales et embaucher des professionnels pour assurer de plus larges horaires d’ouverture ». De son côté, Benoît Hamon déplore les baisses de dotations et souhaite « protéger » les bibliothèques, notamment en matière de pluralisme des acquisitions (2).
Curieux paradoxe. Alors que les bibliothèques, qui dépendent des municipalités, sont fragilisées par la baisse des budgets, elles suscitent un regain d’intérêt de la part des candidats à l’élection présidentielle qui soulignent leur importance pour créer du lien social et lutter contre les inégalités. Présentée comme une fatalité par certaines mairies, l’austérité résulte bel et bien d’un choix politique. « Une commune peut décider de ne pas avoir de bibliothèque, il n’existe pas de dispositif contraignant », explique Olivier…
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