— Par Selim Lander —
Lucette Salibur a créé Traversée il y a vingt ans, un texte de Xavier Orville écrit spécialement pour elle. Autant dire qu’elle habite ce texte autant qu’elle est habitée par lui et qu’elle s’investit totalement dans ce monologue assez bref (45 minutes) mais qui fait intervenir plusieurs personnages de tous les âges. Cela se passe quelque part en Guyane, dans une région assez reculée, en tout cas pas urbaine. Au commencement, une vieille femme qui a trouvé refuge au sein d’un arbre creux. Les autres personnages interviendront ensuite, chacun ou plutôt chacune marquée par une douleur, une souffrance, un traumatisme ancien dont elle ne peut se défaire. Vision de la femme maltraitée, de la femme souffre-douleurs, de la femme impuissante à échapper à une fatalité atavique.
Rappelons-nous les trois ingrédients de la réussite au théâtre énumérés dans notre chronique précédente : un bon texte, une bonne mise en scène, de bons comédiens. Pour ce qui nous concerne, c’est le texte de Traversée qui a fait problème, non pas tant que le sujet manque d’originalité – chose plutôt habituelle, au théâtre – mais par la manière dont il est traité, enchaînant des situations certes tragiques mais convenues et assez facilement prévisibles, sans réelle construction dramatique.
Cela étant, des compensations peuvent se faire entre les éléments ci-dessus. Si le texte n’est pas entièrement convaincant (et encore ce jugement est-il discutable : les spectateurs n’étaient pas tous unanimes à cet égard), cette faiblesse relative peut être compensée par la réussite de la mise en scène et de l’interprétation, ce qui est le cas avec le travail présenté par Lucette Salibur. Elle a installé sur la scène une sculpture impressionnante, symbolisant l’arbre creux, dans laquelle elle est tout d’abord assise et d’où elle extrait la vieille femme, en l’occurrence une marionnette qui donne l’illusion de parler grâce à sa mâchoire mobile. L’arbre peut être déplacé et son apparence se transforme alors, pour devenir, par exemple, un grand cheval vu de face. A cela s’ajoutent, d’une part, une bande son qui souligne le texte discrètement mais bien à propos et, d’autre part, une attention particulière portée aux lumières. Quant au jeu proprement dit, la comédienne, on l’a dit, accompagne ce texte depuis longtemps. Elle en connaît tous les tours et les détours et accorde ses effets aux différentes personnalités qu’elle doit incarner. Le spectacle, malgré tout, séduit surtout par les images qu’il propose et Lucette Salibur a su nous émouvoir davantage par le passé. Nous pensons en particulier à son rôle dans le Collier d’Hélène de Carole Fréchette, une pièce saisissante, il est vrai, qui correspond davantage à l’idée qu’on se fait habituellement du théâtre.
À l’Atrium de Fort-de-France, le 4 décembre 2015.