— Par Marc de Boni —
La ministre de la Justice démissionnaire s’est exprimée seule dans les locaux de la place Vendôme, et a affirmé appuyer sa décision sur «un désaccord politique majeur» avec l’exécutif.
Jusqu’à son départ du gouvernement, Christiane Taubira aura imprégné d’un style très personnel son passage au ministère de la Justice. Court-circuitant les usages en vigueur, qui veulent qu’un ministre sur le départ parle à l’issue de la passation de pouvoir, la garde des Sceaux a pris la parole seule ce mercredi après-midi, depuis son ministère de la place Vendôme. En l’absence de son successeur Jean-Jacques Urvoas, et alors que les questions au gouvernement battaient leur plein à l’Assemblée. «Ce fut pour moi un immense honneur d’être garde des Sceaux et ministre de la Justice de la France», a-t-elle d’abord lancé. Avant d’évoquer son bilan, sourire aux lèvres, et comme toujours sans notes. La ministre a rendu un hommage appuyé aux fonctionnaires de son ministère ainsi qu’aux magistrats, et rappelé avec une précision comptable ses réalisations.
En rupture de ban avec l’exécutif depuis le mois de décembre dernier, l’ancienne ministre a rappelé les raisons de sa démission: «Je quitte le gouvernement sur un désaccord politique majeur».«J‘ai choisi d’être fidèle à moi-même à mes engagements, à mes combats, à mon rapport aux autres. Fidèle à nous, tels que je nous comprends», a justifié Christiane Taubira. «Le péril terroriste est grave, imprévisible. Mais nous avons appris à le traquer et nous nous en sommes donné les moyens. Nous savons comment le combattre et nous avons montré que nous sommes bien déterminés à l’abattre. Mais je crois que nous ne devons lui concéder aucune victoire, ni militaire, ni diplomatique, ni politique, ni symbolique», a poursuivi la garde des Sceaux démissionnaire. Une allusion au volet portant sur la déchéance de nationalité que comprend le projet de réforme constitutionnelle auquel elle s’est opposée.
«Nous ne livrerons pas le monde aux assassins d’aube»
Des divergences qui n’ont pas empêché Christiane Taubira d’exprimer sa fierté d’avoir servi au sein du gouvernement, «en particulier sous l’autorité de ce président de la République, François Hollande». La ministre sortante a poursuivi, affirmant sa conviction dans le fait «que ce pays regorge de forces d’énergie, de volonté, d’imagination». «Son destin collectif repose sur des fondations solides. Et parmi ces fondations, il y a la construction de son identité républicaine, de son identité civique. Et ces fondations sont assez robustes, elles sont assez profondes pour résister au temps, aux accidents et aux tragédies», a-t-elle poursuivi, en écho aux nombreux responsables de gauche qui s’inquiètent de voir la Constitution modifiée en période d’état d’urgence.
«Voilà pourquoi, fidèle à Aimé Césaire, nous ne livrerons pas le monde aux assassins d’aube», a conclu la ministre, dans un dernier hommage à son poète favori, qui peut également sonner comme une critique cinglante du pouvoir en place.
Taubira tire sa révérence à bicyclette
La ministre sortante a également mis en scène sa singularité à l’occasion du discours, officiel celui-ci, de passation de pouvoir avec Jean-Jacques Urvoas, intervenu ce mercredi vers 16h45. L’arrivée de Christiane Taubira sur le perron du ministère a été précédée par celle de son fameux vélo jaune, applaudie par le personnel rassemblé dans la cour. La ministre a ensuite livré une allocution très personnelle, adressée aux fonctionnaires du ministère et à son cabinet, saluant leur abnégation. Elle s’est encore félicitée de leur avoir ouvert l’accès aux jardins, pour ensuite «confier la maison» à son successeur. Acclamée à son départ par un personnel ému aux larmes, la ministre a ensuite créé une impressionnante cohue en remontant la rue de Rivoli, suivie par son importante escorte d’agents de sécurité. Un final à l’image de son passage place Vendôme: il restera dans les mémoires.