Répression anti-ouvrière sanglante le 9 février 1923
Le drame de Bassignac en 1923
— Par André-Marc Belvon —
En 1923, la Martinique venait d’entrer dans un nouveau cycle de la violence. La répression anti-ouvrière se faisait sanglante. C’est dans ce contexte que le vendredi 9 février 1923, une « grève marchante » d’ouvriers agricoles du Nord-Atlantique qui se rendaient à l’habitation Bassignac à Trinité, était brutalement réprimée par des gendarmes.
«La grève des meurt-defaim ». Le député-maire de Fort-de-France Victor Sévère, chef de file des radicaux, parti regroupant surtout la petite bourgeoisie foyalaise, résumait en quelques mots ce qui constituait le fond et la forme de la grève sanglante du NordAtlantique en 1923, marquée par la fusillade de Bassignac, à Trinité.
Les 10 morts tombés sous les balles des gendarmes lors de la grève de février 1900 au François sont encore dans tous les esprits. Mais la misère des populations rurales qui forment la masse des travailleurs agricoles et des usines est restée la même. Les principales revendications n’ont pas changé : la revalorisation des salaires face à un coût de la vie élevé, notamment des prix des denrées alimentaires de base, et l’amélioration des conditions de travail dans les usines et dans les champs.
Une nouvelle forme d’esclavage
En 1923, les ouvriers agricoles et d’usine sont d’autant plus remontés contre les propriétaires des habitations et les usiniers, que ceuxci ont ramassé de gros bénéfices durant la guerre. « La guerre, n’aurait-elle fait que des victimes? ironise Georges Mauvois dans son ouvrage consacré à Louis des Etages (1). Parlons de ces rhummiers, chanceux industriels qui, dès l’an 14, ont vu doubler, tripler puis décupler les cours du rhum! (…). D’énormes quantités d’alcool sont requises pour fabriquer les explosifs utilisés au front. Aussi, la hausse des cours du rhum se révèle-t-elle durable. Elle se poursuit tout au long de la guerre, provoquant un accroissement considérable des revenus des planteurs et usiniers. Voici venue l’heure faste des grandes fortunes martiniquaises (…) et les villas somptueuses de la route de Didier ».
Dans le fin fond des campagnes, les ouvriers agricoles ont le sentiment de vivre une nouvelle forme d’esclavage. Ils restent entièrement dépendants de patrons qui ne respectent aucune des rares lois sociales censées être appliquées, et d’une politique d’oppression et de discrimination menée par le pouvoir en place, au profit des usiniers et de gros propriétaires terriens.
A chaque début de récolte, les mêmes revendications entraînent les mêmes flambées de colère spontanée. « En dépit de leur caractère répétitif, indique Rolande Bosphore dans son ouvrage « La fusillade oubliée »(2), ces mouvements de révolte n’étaient aucunement préparés (…). C’étaient des mouvements de colère non calculés alors que l’organisation syndicale commençait à s’étendre dans les milieux ouvriers à cette époque ». Surtout à Fort-deFrance, sur le port. « Mais les ouvriers de la canne qui représentent la fraction la plus importante des travailleurs martiniquais, vu l’importance de cette culture dans l’économie, ajoute de son côté Cécile Celma dans un mémoire publié en 1972 (3), bien qu’ils soient très sensibilisés par l’action syndicale, ne sont pas organisés ». Une des raisons principales de cette situation selon Armand Nicolas, dans « Histoire de la Martinique » (4), « dans les campagnes, beaucoup craignent d’être mal vus du patronat. D’autant plus qu’avec le chômage et la hausse brutale du coût de la vie, le patronat peut exercer une forte pression ».
En 1923, la pression est plus forte que jamais. Les propriétaires des habitations et les usiniers ont beau jeu de brandir l’instauration du contingentement en 1922 pour justifier les réductions des salaires. Au milieu des bouleversements économiques de l’après-guerre et de la crise, les contingentements sont souvent apparus comme la meilleure protection d’un marché national contre son envahissement par des produits étrangers, y compris par le rhum des colonies de Guadeloupe et de Martinique dont on n’avait plus besoin en grande quantité. D’où les fermetures en continu de petites distilleries en Martinique et leurs cortèges de travailleurs sans emploi.
La journée fatale du 9 février 1923
C’est dans ce contexte de crispations, avec d’un côté les planteurs qui refusent de revaloriser dignement les salaires, et de l’autre les ouvriers agricoles qui refusent les propositions jugées insuffisantes de ceux-ci, que débute la campagne sucrière de 1923. Dans les différentes habitations de SainteMarie, du Marigot et de Trinité, la tension est palpable. Elle va atteindre son apogée lors de la journée fatale du 9 février : « Comme ils le font habituellement, raconte Armand Nicolas (4), c’est la « grève marchante ». Les grévistes vont d’habitation en habitation pour faire cesser le travail. Les usines du Lorrain et de Sainte-Marie sont stoppées.
De Sainte-Marie, ils marchent sur Bassignac à Trinité. En arrivant sur l’habitation Ressource, ils se trouvent face à un écran de gendarmes et de cadres d’usine armés qui tirent, alors que les grévistes sont à plus de 200 mètres. » Il y a deux morts, une jeune ouvrière agricole, Ruffine Laurence Marliacy, 19 ans et Sosthène Clavius Gry, surnommé Dantes, 20 ans, ouvrier agricole, et trois blessés. Pour Rolande Bosphore (2) , « ce fut là une fusillade délibérée (…). Les gendarmes ne se contentèrent pas de tirer en l’air pour disperser les grévistes, ils visèrent les hommes et femmes qui s’enfuyaient après les sommations ». Malgré les tristes événements, la grève continue. « Tout travail est arrêté. Des champs de canne sont en feu, raconte Armand Nicolas (4). Des patrouilles de gendarmes et de fusiliers-marins gardent la maison du directeur de l’usine (…). La grève fut un échec: les patrons refusèrent l’augmentation des salaires ».
(1) « Louis des Etages (1873-1925) Itinéaire d’un homme politique martiniquais, par Georges B. Mauvois. Ed. Karthala (2) « La fusillade oubliée – Bassignac 1923 » – par Rolande Bosphore. 2019 (3) « Le mouvement ouvrier à la Martinique pendant l’entre deux guerres (1919-1939) – par Cécile Celma. Travail d’Etudes et de Recherches. Toulouse. Juin 1972 (4) « Histoire de la Martinique » par Armand Nicolas. Tome 2. Ed. L’Harmattan.
Création d’un CAPES de Créole le 9 février 2001
9 février 1431 : début du procès de Jeanne d’Arc.
9 février 2015 : une double prise d’otage a lieu à Paris et à Dammartin-en-Goële, liée à l’attentat contre Charlie Hebdo deux jours plus tôt…
Un décret intègre le créole dans la section des langues culturelles régionales et crée le CAPES de créole. Force jugulée, la langue créole fut formellement interdite dans les salles de classe jusquèn 1982. L’étranglement culturel combiné à la doxa administrative avait mené à l’internement et à la radiation des cadres de l’enseignant Gérard Lauriette qui avait une méthode consistant à partir du savoir de l’élève créolophone. Le militantisme a pris place notamment en chanson : <<Manman-w voyé-w lékol pou aprann l’ABCD» (…) «poo aprann paléfransé » (…) « Si ou lésé kréyol-la tonbé ou péké sav ki moun ou yé », Linstauration du concours permet d’avoir un « regard neuf» sur la société et contribue à asseoir la créolité dont Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant et Jean Barnabé ont été les premiers ambassadeurs.
Source : « Les Antilles et la Guyane en 365 dates » de Laura Manne, Caraïbeditions