« Massacre » de Lachine, où 97 colons français furent tués par des Iroquois à Lachine le 5 août 1689
Le massacre de Lachine est l’événement durant lequel des colons de la Nouvelle-France furent massacrés par des Iroquois, le 5 août 1689 à Lachine. Le nombre de victimes est incertain. Louis de Buade de Frontenac rapporte 200 personnes tuées et 120 enlevées; des recherches historiques confirment 97 morts.
Contexte
Le déploiement des Français vers l’Ouest au cours des années 1670 et 1680 empêche la confédération des Iroquois d’avoir accès à de nouvelles sources de castors et menace la traite des fourrures de New York. À cette époque, la France et l’Angleterre sont en paix, mais les colonies des deux puissances se méfient.
Du côté des Français, en « 1688, Callière va exposer à la Cour les plans qu’il a élaborés en vue de l’invasion de la Nouvelle-York ». En avril 1689, Frontenac est nommé Gouverneur de la Nouvelle-France. Le 25 juin 1689, le roi Louis XIV déclare la guerre à l’Angleterre après que Guillaume III eût « usurpé » le trône de Jacques II. « …aidé par la tournure que prennent les événements d’Angleterre, le Gouverneur de Montréal a réussi à convaincre le ministre qu’il faut envahir New York. Frontenac revient en Amérique avec l’ordre de diriger l’opération, assisté de Callière, auteur des plans de campagne. »
Du côté des Anglais, pendant ce temps, les autorités de New York choisissent de pousser les Iroquois, dont les relations avec la France sont déjà tendues, sur le sentier de la guerre.
Guerre ou paix avec les Iroquois?
Les dirigeants la Nouvelle-France hésitent entre la guerre totale avec les Iroquois ou négocier une paix. Le gouverneur général est le marquis de Denonville. « Le 12 novembre 1685, M. de Denonville envoie un mémoire au roi, « concernant l’état présent du Canada, et les mesures que l’on doit prendre pour la sûreté du pays », dans lequel il représente, qu’il faut exterminer les Iroquois ; qu’il est impossible de se fier à leur parole ; […] que la guerre ne doit être déclarée que lorsque tout sera prêt, et qu’il s’y prépare secrètement, sans éveiller les soupçons des Iroquois; »
Jacques-René de Brisay (Denonville) a mené une expédition contre les Tsonnontouans en 1687.
Dès son retour à Québec, Denonville s’empressa d’envoyer en France trente-six Iroquois, choisis parmi les cinquante-huit de ses captifs. Lui et son prédécesseur La Barre avaient reçu l’ordre du Roi de faire autant de prisonniers Iroquois que possible pour fournir les galères avec de robustes rameurs. Leur sort n’était pas aussi sévère que l’on puisse imaginer, il est comparable à celui des soldats dans une armée. Le ministre avait aussi ordonné que les Iroquois reçoivent un enseignement religieux, des rations supplémentaires, et qu’ils ne soient ni enchaînés ni rasés. Denonville aurait préféré garder ces prisonniers comme otages à échanger lors d’un éventuel traité de paix.
En 1688, alors que la colonie du Canada ne comporte que onze mille habitants, mille quatre cents soldats et habitants, succombent à la variole et la rougeole apportées par navire. Pour aggraver la situation, la guérilla iroquoise continue. Incapable d’obtenir des renforts suffisants pour écraser les Iroquois, Denonville décide que la seule solution est de tenter de faire la paix. Pour ouvrir les négociations, Denonville retourne quatre prisonniers Iroquois à leurs villages pour inviter leurs chefs à une conférence.
Les New-Yorkais soutiennent activement les Iroquois dans leur guerre aux Français et leurs alliés. Le roi Jacques II, qui avait succédé à son frère Charles, a déclaré que les Iroquois étaient sujets anglais et ceux-ci s’étaient reconnus comme tels devant les gouverneurs de Virginie et de New York en juillet 1684. « Dès le 27 février 1688, Thomas Dongan, gouverneur de la Nouvelle-York, demandait au marquis la remise des Iroquois prisonniers aux galères de France. » Denonville décide d’envoyer Callière à Versailles pour obtenir des forces pour contrer les politiques agressives des dirigeants de New-York, qui vocifèrent que les Iroquois sont des sujets britanniques sous la protection de la Couronne.
Le cinquième gouverneur de New-York (et premier gouverneur royal) Thomas Dongan, prétend que les Iroquois, en tant que sujets britanniques, ne peuvent s’engager dans des traités sans son consentement. Bien que Dongan ait tout fait pour empêcher cette conférence, le père Jacques de Lamberville persuade les Onondagas, les Cayugas et les Onneiouts d’envoyer leurs chefs à Montréal. Les ambassadeurs arrivent le 8 juin 1688; les Français leur demandent s’ils sont habilités à faire des traités, car les Anglais prétendent le contraire. Leur porte-parole Hotreouati répond que les Iroquois, ayant reçu leurs terres du Grand Esprit, ne reconnaissent aucun maître, ni Anglais ni Français. La conférence aboutit sur une entente pour négocier une grande paix qui inclurait non seulement les Cinq Nations iroquoises, mais aussi les Mohicans et les Sénécas. Denonville promet de faire revenir les Iroquois envoyés en France comme galériens, et une trêve est déclarée. Deux mois après la cessation des hostilités, les Onondagas, Onneiouts et Cayugas envoient des ambassadeurs à Montréal pour arranger une date de ratification et annoncer que les Mohicans et Sénécas sont d’accord pour signer la paix. En route vers Montréal, les ambassadeurs sont pris dans une embuscade des Hurons commandés par Kondiaronk. Celui-ci craint que la paix entre Iroquois et Français libère des guerriers qui s’en prendraient maintenant aux Hurons. Un ambassadeur Iroquois est tué. Une balle de mousquet en atteint un autre, lui cassant le bras. Kondiaronk est astucieux ; il prétend ne rien savoir des négociations de paix qui se déroulent. Il déclare que c’est Denonville qui lui a demandé d’embusquer les Iroquois. L’ambassadeur blessé réussit à s’enfuir et se fait repérer par la garnison du Fort Frontenac. Après avoir entendu le récit de l’ambassadeur, la garnison parvient à le convaincre que les Français n’y sont pour rien. Ils pansent sa blessure, puis le renvoient chez les Onondagas avec escorte. Il arrive juste à temps pour empêcher les unités de guerre de partir. Il communique avec les Cinq Nations pour préparer un voyage à Montréal afin de ratifier le traité de paix.
Pendant ce temps, un nouveau gouverneur arrive à New York: Sir Edmund Andros. Il fait convoquer les Iroquois pour discuter avec lui ; ceux-ci partent non pas vers Montréal, mais à destination d’Albany.
Denonville l’apprend et s’en inquiète. Il avait demandé le retour des galériens, et que ceux-ci soient traités avec les meilleurs égards. Il attend avec impatience le retour des bateaux pour prouver aux Iroquois la bonne foi des Français, en leur montrant que leurs semblables n’étaient pas morts enchaînés comme le prétendent les Anglais. L’hiver, puis le printemps, puis l’été passent, sans que les bateaux arrivent. En juin, trois navires marchands de Bordeaux et La Rochelle arrivent à Québec, mais n’apportent pas de dépêches de la Cour, et apparemment pas un mot sur la guerre. Au Canada, personne ne sait qu’il y eut révolution en Angleterre et que la guerre avec la France est déclarée3.
Lorsque les Iroquois apprennent que l’Angleterre et la France sont en guerre, plus rien ne les arrête pour lancer toutes leurs forces sur le Canada. Auparavant, ils se battaient seuls; maintenant ils savent qu’ils peuvent compter sur le soutien de leurs alliés anglais3. Selon l’historien Eccles, l’étincelle qui a mis le feu aux poudres et déclenché le massacre de Lachine est la saisie du trône d’Angleterre par Guillaume III d’Orange-Nassau.
Vaudreuil relâche la garde
« En l’absence des sieurs comte de Frontenac et de chevalier de Callière », le « sieur chevalier de Vaudreuil » est élevé au troisième rang parmi les officiers supérieurs de la Nouvelle-France, sur ordre du roi, pour commander « au pays de Canada ». Ne percevant aucun signe d’hostilité de la part des Iroquois depuis plusieurs mois, Vaudreuil relâche la garde : il permet aux habitants de rester sur leurs domaines le long des cours d’eau et non à l’abri dans des forts. Le 5 août 1689 on est toujours sans nouvelles de la France et tout semble sans histoire.
Attaque et contre-attaque
L’attaque
Le matin du 5 août 1689, tôt au matin, durant une violente tempête de grêle, quelque 1 500 guerriers traversent le lac Saint-Louis sans être vus, et se dispersent le long des domaines dans le canton de Lachine à l’ouest de Montréal. Ils attaquent la petite colonie, et, selon des comptes rendus fiables, tuent 24 colons sur place et en capturent de 70 à 90 autres. La férocité de l’attaque terrorise les habitants de la région de Montréal. En effet, des tortures sont infligées aux villageois et des rumeurs courent à propos de cannibalisme. Durant la décennie qui suivra, les oppositions entre Français et Amérindiens deviendront de plus en plus violentes et les villages de la région de Montréal subiront plusieurs autres massacres du genre.
La contre-attaque
Vaudreuil est chargé par Jacques-René de Brisay, sieur de Denonville de lancer une contre-attaque sur l’ennemi retranché en haut de l’île de Montréal. Ils partent en campagne avec trois-cents hommes. Daniel Auger sieur de Subercase, un officier supérieur en position avancée sur le terrain, donne l’ordre de tomber sur l’ennemi. Vaudreuil qui était à l’arrière donne l’ordre contraire, déclarant qu’il avait pour mission de faire rentrer tout le monde dans les forts. Il « retient ses troupes au moment où elles vont traverser un bois pour déboucher sur le camp des Iroquois; les trois quarts de ceux-ci dorment pourtant, « morts yvres des eaux de vie qu’ils avoient pris chez les habitans », l’occasion s’offre d’en « tuer cinq ou six cents », pendant que Subercase, méprisant, en vient avec lui aux gros mots. »
Vaudreuil rentre à Fort Rolland, des renforts tombent, et les Iroquois célèbrent
Revenu à Fort Rolland à Lachine, Vaudreuil demande des renforts à Denonville. Il lui envoie un détachement de 80 hommes commandés par le sieur de Rabeyre. Lorsqu’ils arrivent à portée de vue de Fort Rolland, ils tombent dans une embuscade des Iroquois, auxquels ils offrent une forte résistance. Les officiers du fort demandent à Vaudreuil la permission de sortir pour attraper les Iroquois entre deux feux. Vaudreuil refuse de désobéir à ses ordres de rester dans le fort. Du détachement de La Rabeyre, seuls un officier et une poignée d’hommes atteignent une zone sûre. La plupart des autres furent capturés, et quelques-uns tués, mais la plupart des captifs ont pu s’échapper par la suite. Les Iroquois se retirent avant la soirée sur la rive sud du lac Saint-Louis. Lorsque la nuit fut tombée, les garnisons stationnées dans les forts de Lachine pouvaient voir de faibles lueurs de feux sur l’autre rive du lac, et ils savaient que les Iroquois célébraient leur victoire en brûlant vifs certains prisonniers. On apprit par la suite qu’ils avaient cuit puis mangé cinq enfants. On réserva les autres pour un sort semblable, au retour dans les villages des Cinq Nations ; cependant, plusieurs furent épargnés et retournés à la Nouvelle-France.
Le sort des captifs
Sauf de rares exceptions, les captifs ne seront jamais revus. Au moins un des 60 colons enlevés en 1689 est revenu de captivité, près de 10 ans après les faits. Il s’agit de Pierre Gautier dit Saguingoira. Lui et son épouse Charlotte Roussel sont enlevés par les Iroquois et sont longtemps donnés pour morts. Toutefois, un document de janvier 1698 décrit Pierre Gauthier comme « captif chez les Iroquois nos ennemis ». Nous ignorons la date exacte de sa libération, mais il signe comme témoin au mariage de son fils Joseph en août 1699. Charlotte Roussel est morte en captivité en 1698. Pierre Gautier dit Saguingoira meurt à Montréal le 5 décembre 17036,.
Les victimes
En 1886, l’abbé Cyprien Tanguay retrace de nouvelles victimes:
« Quelques victimes des Iroquois inhumées près des bords du lac Saint-Louis, en 1687, retrouvées en 1866. Des squelettes humains ayant été trouvés en 1866 par quelques cultivateurs propriétaires d’un terrain, situé sur les bords du lac Saint-Louis, au haut de l’île de Montréal, […] Les dix personnes inhumées en ce lieu étaient des Français massacrés en 1687 par les Iroquois, et qu’un prêtre missionnaire M. l’abbé d’Urfé, sulpicien, « avaient inhumé proche le lieu destiné pour bâtir l’église Saint-Louis du haut de l’île Montréal ». Ayant reçu cette information, le curé de Sainte-Anne recommanda, le dimanche suivant, aux prières de ses paroissiens les défunts, donnant les noms, les âges, et même la date de sépulture de chacun d’eux, et leurs « cendres réunies dans une même tombe, furent transportées dans l’église Sainte-Anne, où après un service solennel, elles reçurent de nouveau la sépulture ecclésiastique en présence de tous les paroissiens qui comptaient des ancêtres parmi ces infortunées victimes ». C’est dans les registres de Lachine, année 1687, que j’ai trouvé les actes de sépultures dont suivent les noms, savoir : »
Nom âgé de
Claude DelaMothe 40 ans
J.-Bte LeSueur 21 ans
Louis Jets 24 ans
Jean Vincent 45 ans
Jean DeLalonde 47 ans
Pierre Bonneau 35 ans
Pierre Perthuis 24 ans
Henri Fromageau 27 ans
Pierre Petiteau 20 ans
Pierre Camus 21 ans
La Société d’histoire de Lachine a publié un numéro spécial de La Dépêche du fort Rolland, Lachine 16899. On y trouve les noms de victimes confirmées et présumées. Certaines des victimes trouvées en 1886 ne sont pas répertoriées dans la Dépêche du fort Rolland.
Frontenac relate les faits au Ministre
Frontenac accueilli en sauveur par la population inquiète à son retour de France en octobre 1689.
Frontenac, Musée Grévin Montréal
Frontenac et Callière n’accosteront à Québec que le 12 octobre. Frontenac arrive à Montréal le 27 octobre, où il se fait raconter le massacre de Lachine, les alarmes causées par les incursions iroquoises, et constate la consternation des habitants.
Le 15 novembre 1689, Frontenac écrit à Seignelay, Ministre de la Marine :
Il seroit difficile de vous représenter, Monseigneur, la consternation généralle que je trouvay parmy tous les peuples et l’abbattemens qui estois dans les troupes, les premiers n’éstaient pas encore revenus de la frayeur qu’ils avaient eue, de voir à leurs portes brusler touttes les granges et maisons qui étaient en plus de trois Lieue de pais dans le Canton qu’on appelle La Chine y enlever plus de six vingt personnes, tant hommes, femmes qu’enfants, après en avoir massacré plus de 200 dont ils avaient cassé la tête aux Uns, Bruslé, rosty et mangé Les autres, ouvert Le Ventre des femmes grosses pour en arracher Les Enfants et fait des Cruautez inouis et sans Exemple.
« Il serait difficile de vous représenter, Monsieur le Ministre, la consternation générale que je trouvai parmi toutes les agglomérations et la démoralisation des troupes, les premiers n’étaient pas encore revenus de la frayeur qu’ils ont eue, de voir à leur porte brûler toutes les granges et maisons qui étaient à plus de 10 km du canton de Lachine et enlever plus de 120 personnes, tant hommes, femmes qu’enfants, après en avoir massacré plus de 200 dont ils avaient cassé la tête aux uns, brûlé, rôti et mangé les autres, ouvert le ventre des femmes enceintes pour en arracher les enfants et fait des cruautés inouïes et sans pareil. »
Conséquences
Après ce massacre, de nombreuses armes de facture britannique sont retrouvées près des corps des Iroquois tués lors des combats. Un désir de vengeance s’empare de la population, malgré le traumatisme du tragique évènement de Lachine et la crainte de nouvelles attaques iroquoises en ce temps de guerres franco-iroquoises.
Dans le cadre de la Première guerre intercoloniale, un projet d’une expédition sur New York est à l’étude. « En 1689, cependant, loin de pouvoir prendre l’offensive, le Canada se voit terrassé par le massacre de Lachine, paralysé par la terreur. ». Le 13 novembre de la même année, les Iroquois récidivent, cette fois sur la rive nord, à Lachenaie.
Une expédition militaire est en préparation contre les colonies anglaises. Le 8 février 1690 se déroula le raid contre Corlaer qui répondait à celui contre Lachine.
Interprétation
Le contexte historique était celui des successeurs de Frontenac comme gouverneur, alors que les Iroquois se montraient menaçants envers les habitants de la colonie. Le premier successeur, de La Barre, n’a pas été à la hauteur, militairement. Après un an de mandat, il est remplacé par Denonville qui a alors davantage enragé qu’intimidé les tribus iroquoises. Le massacre de Lachine est donc vu comme le résultat de cette administration. « Le 24 septembre 1689, M. de Denonville écrivait que l’envoi des prisonniers en France avait beaucoup contribué à irriter les Iroquois contre les Français. Il parlait en connaissance de cause, puisqu’il avait sous les yeux le massacre de Lachine et tous les ravages des Iroquois sur tout le gouvernement de Montréa. »
Dans un ouvrage publié en 2008, l’historienne Louise Dechêne déplore le peu de place que les historiens ont fait au cycle de violence et de guerre larvée qui s’amorce avec le massacre de Lachine et qui se poursuit au moins jusqu’en 1693. « Personne n’a encore fait le compte des victimes de cette guerre », écrit-elle, « et la tendance actuelle, chez les historiens et démographes québécois est de minimiser les pertes et de rejeter les estimations des contemporains dès qu’elles sont un tant soit peu élevées. Un article récent ramène les 200 morts et blessés du sac de Lachine à quelques dizaines (…) »
Selon l’historienne, les décomptes effectués à partir des documents d’archives sous-estiment la mortalité réelle enregistrée à Montréal et aux alentours à partir de 1689. C’est, dit-elle, que les papiers d’état-civil sont incomplets : « Faut-il rappeler que ceux qui meurent dans les guerres ne sont presque jamais enterrés dans le cimetière paroissial et que les victimes des raids iroquois ne font pas exception ? » Louise Dechêne pense que les pertes humaines chez les hommes – le groupe le plus exposé – auraient pu être de 250 à 300 individus, soit le dixième de la population mâle de la colonie.