L’éphéméride du 3 mars

Création de l’opéra Carmen de Georges Bizet à l’Opéra-Comique le 3 mars 1875.

Carmen est un opéra-comique en quatre actes de Georges Bizet, sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, d’après la nouvelle Carmen, de Prosper Mérimée. Créée le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique sous la direction d’Adolphe Deloffre, l’œuvre ne rencontra pas le succès escompté, ce qui affecta beaucoup le compositeur. Ce dernier a pris une revanche posthume éclatante, puisque aujourd’hui Carmen est l’un des opéras les plus joués dans le monde.

Argument
L’action se passe à Séville (ville du Sud de l’Espagne) et dans les environs, au début du XIXe siècle.

Acte I – La place
Le prélude est l’un des plus célèbres de l’histoire de la musique : c’est un Allegro giocoso débordant au rythme joyeux et bondissant correspondant au motif de la corrida, entrecoupé d’abord par un petit thème du quatrième acte (où l’alguazil se fait copieusement huer) puis par le motif de la chanson d’Escamillo. Il est suivi immédiatement par un sombre Andante moderato dont le caractère inquiétant et frissonnant marque le thème du destin funeste, il sera joué aux moments clefs de l’opéra (Carmen jette la fleur à José, Micaëla convainc José de partir…) et résonnera à toute volée à la fin du duo final.

Une place à Séville, entre la caserne des dragons d’Alcala et une manufacture de tabac. Des soldats montent la garde. Leur brigadier, Moralès, voit arriver une jeune fille aux nattes blondes : c’est Micaëla qui cherche son fiancé, le brigadier Don José. Les sollicitations des dragons se faisant trop pressantes, elle s’éclipse. On entend les clairons de la garde montante suivie d’un petit groupe de gamins qui jouent aux soldats : « avec la garde montante, nous arrivons, nous voilà… sonne, trompette éclatante, ta ra ta, ta ra ta ta ; nous marchons la tête haute, comme de petits soldats ». Moralès annonce à Don José qu’une « jolie fille est venue le demander » et qu’elle reviendrait… Don José lui répond que c’est sûrement Micaëla. Le capitaine Zuniga, nouveau dans la province, demande à Don José s’il sait ce qu’est ce bâtiment que l’on voit de l’autre côté de la place. C’est, répond le brigadier, une manufacture de tabac où ne travaillent que des femmes. Sont-elles jolies, demande le capitaine. Don José répond qu’il l’ignore, car, étant navarrais, il estime que « ces Andalouses lui font peur », qu’il « préfère éviter le regard brûlant des Andalouses et de notre jouissante Carmen », et il raconte comment il est devenu soldat.

Manuscrit de la Habanera
La cloche sonne. C’est l’heure de la pause pour les cigarières de la manufacture qui font l’éloge de la fumée du tabac :

« Dans l’air, nous suivons des yeux
la fumée
qui vers les cieux
monte, monte parfumée […] »

Une ouvrière, la plus attendue de toutes, ne tarde pas à apparaître ; c’est Carmen. Les jeunes gens assemblés lui demandent quand elle les aimera. En guise de réponse Carmen expose sa philosophie de l’amour, quelque peu pessimiste, dans la célébrissime habanera « L’amour est un oiseau rebelle », pour laquelle Bizet s’est fortement inspiré de la habanera El Arreglito (« Le petit arrangement ») du compositeur basque espagnol Sebastián Iradier :

« L’amour est un oiseau rebelle
que nul ne peut apprivoiser
et c’est bien en vain qu’on l’appelle
s’il lui convient de refuser
[…]
L’amour est enfant de bohème
Il n’a jamais jamais connu de loi
Si tu ne m’aimes pas je t’aime
si je t’aime prends garde à toi. »

Alors qu’elle chantait sa chanson, Carmen a repéré Don José ; elle l’aborde et engage avec lui une conversation sur un ton un peu moqueur, puis arrache de son corsage une fleur qu’elle lance au jeune homme. Cette fleur signifie qu’elle le choisit. « Quelle effronterie », dit le destinataire, qui après quelque hésitation ramasse la fleur qui est tombée à terre, il la respire mais dit : « certainement, s’il y a des sorcières, cette fille-là en est une ».

Arrive Micaëla qui annonce à Don José qu’elle vient de la part de sa mère ; elle lui remet une lettre qui conseille au jeune homme d’épouser… la porteuse de la lettre, car « il n’y en a pas de plus sage et de plus gentille ». Don José relit la lettre : « il n’y en a pas de plus sage ni de plus gentille. »

Un vif tumulte se produit. On apprend que Carmen, « railleuse à son ordinaire », s’est moquée d’une ouvrière, qu’il en est résulté une bagarre et que Carmen a marqué une croix de saint André au couteau sur le visage de son adversaire. Zuniga interroge Carmen, qui fredonne pour toute réponse. Zuniga fait arrêter la bohémienne et lui promet la prison. Ce sera Don José qui sera chargé de l’y conduire. Carmen commence à embobiner son aimable gardien et chante la séguédille :

« Près des remparts de Séville
chez mon ami Lillas Pastia
j’irai danser la séguédille
et boire du Manzanilla
[…]
j’emmènerai mon amoureux
mon amoureux ? Il est au diable
je l’ai mis à la porte hier
mon pauvre cœur est très consolable
mon cœur est libre comme l’air
j’ai des galants à la douzaine
(…)
qui veut m’aimer, je l’aimerai. »

Et elle dit qu’elle pense à « certain officier qui n’est que brigadier ». Il n’en faut pas plus pour que le trop sensible geôlier délie la corde et laisse s’échapper sa prisonnière.

Acte II – La taverne
Deux mois plus tard, des officiers se trouvent dans la taverne de Lillas Pastia, repaire notoire de contrebandiers. Carmen chante la « chanson bohème », accompagnée des deux autres bohémiennes, ses amies Mercedes et Frasquita. Lillas Pastia déclare que l’heure de la fermeture a sonné ; le capitaine Zuniga lui répond qu’il n’est pas dupe de ce qui se passe dans l’établissement après la fermeture.

Zuniga invite les bohémiennes au théâtre ; le beau père crie, elles refusent. Il invite Carmen qui refuse également ; il lui demande si c’est parce qu’elle lui en veut de l’avoir envoyée en prison. Carmen feint de ne pas s’en souvenir, et Zuniga lui annonce que le jeune brigadier chargé de la conduire s’est fait dégrader et emprisonner pour l’avoir laissé échapper. Mais le soldat vient de terminer de purger sa peine.

On entend des exclamations qui viennent de l’extérieur de la taverne : « Vivat le torero, vivat Escamillo. »

Le chœur loue l’intrépidité d’Escamillo, qui s’est couvert de gloire aux dernières courses de Grenade. À l’invitation de Moralès, il entre dans l’auberge, et aussitôt s’adresse aux officiers.

Escamillo aperçoit Carmen et lui fait des avances qu’elle rejette avec une certaine coquetterie.

Les contrebandiers Le Dancaïre et Le Remendado essayent d’embringuer Carmen et ses deux amies dans une opération de déchargement de marchandise sur la côte. Carmen refuse de les accompagner. La raison ? « Je suis amoureuse. » Le Dancaïre : « Voyons, Carmen, sois sérieuse. »

De qui Carmen est-elle amoureuse ? Certainement, dit Frasquita, de ce prisonnier à qui Carmen a fait remettre une lime et une pièce d’or pour qu’il puisse s’échapper, mais il ne s’en est pas servi. Don José, tout juste sorti de prison, fait son entrée au moment où tous les autres, sauf Carmen, partent. Elle lui demande pourquoi il ne s’est pas servi de cette lime. Le brigadier répond que son honneur de soldat lui interdit de déserter et proclame son amour à celle qu’il retrouve.

Carmen s’amuse à rendre jaloux son amoureux en disant qu’elle a dansé pour les soldats, puis elle le calme en disant qu’elle dansera pour lui seul cette fois, ce qu’elle fait au cours d’une danse très suggestive et ensorcelante. Cependant le clairon sonne et Don José doit rejoindre son unité, ce que n’accepte pas Carmen qui le chasse avec mépris :

« Il court, il perd la tête
et voilà son amour. »
Don José proteste de toute sa force :
« la fleur que tu m’avais jetée
dans la prison était restée
flétrie et sèche
cette fleur gardait toujours sa douce odeur. »

Carmen demande à Don José, pour lui prouver son amour, de la suivre dans la montagne « là-bas si tu m’aimais » avec les contrebandiers. Mais, pour Don José, c’est la honte et l’infamie que de déserter. « Non, je ne t’aime plus » lui dit Carmen. « Adieu, adieu pour toujours » dit Don José.

Survient le capitaine Zuniga, qui entre en faisant sauter la porte et qui prétend user de l’autorité que lui confère son grade pour chasser le brigadier et courtiser Carmen. Don José saute sur son sabre, les contrebandiers désarment le capitaine et le retiennent quelque temps. Zuniga admet son impuissance et tient des propos menaçants à l’égard de Don José.

« Es-tu des nôtres maintenant ? », demande Carmen à Don José, qui piteusement répond : « Il le faut bien ». Carmen, les bohémiennes et les contrebandiers promettent à Don José : « Pour pays l’univers et pour loi ta volonté ! Et surtout, la chose enivrante : la liberté ! »

Acte III – La montagne
Un site pittoresque et sauvage dans la montagne ; c’est le repaire des contrebandiers.

Les contrebandiers évoquent la grandeur de leur métier, font une halte et discutent des détails de l’opération. Carmen et Don José se querellent, Carmen dit que son amour n’est plus ce qu’il était, Don José pense à sa vieille mère ; Carmen lui conseille d’aller la retrouver, car « décidément, tu n’es pas fait pour vivre avec nous, chiens et loups ne font pas longtemps bon ménage ».

Frasquita et Mercédès tirent les cartes et y lisent un avenir très prometteur, amour, châteaux, bijoux ; la bohémienne n’y voit que la mort, toujours la mort, pour elle et pour son amant. Carmen dit qu’elle est sûre d’obtenir la bienveillance d’un douanier, ce qui suscite chez Don José une vive réaction de jalousie. Les trois bohémiennes n’ont pas le moindre doute sur les chances qu’elles ont de faire passer la marchandise :

« S’il faut aller jusqu’au sourire
que voulez-vous, on sourira,
et d’avance, je puis vous le dire,
la contrebande passera. »

Accompagnée d’un guide, Micaëla pénètre dans le camp. Elle dit qu’elle n’a pas peur, mais en fait, « j’ai beau faire la vaillante, au fond du cœur je meurs d’effroi. »

Don José, qui surveille le camp, tire sur un inconnu mais le manque. Cet inconnu n’est autre qu’Escamillo qui explique à l’apprenti contrebandier les raisons de sa venue. C’est pour obtenir les faveurs d’une belle bohémienne du nom de Carmen, car, il le suppose, elle n’aime plus le soldat qui avait déserté pour elle. « Les amours de Carmen ne durent pas six mois. » Les deux hommes ne tardent pas à s’affronter. Escamillo, un professionnel est sûr de l’emporter ; il l’emporte effectivement mais, comme il a pour habitude de tuer les taureaux mais pas les hommes, il épargne son rival, mais glisse et tombe. Don José veut le frapper ; à ce moment, entre Carmen qui l’en empêche. Escamillo invite Carmen aux courses de Séville et, quand il est parti, Don José lance à Carmen : « Prends garde à toi, Carmen, je suis las de souffrir ! »

Les contrebandiers découvrent Micaëla qui est venue chercher Don José. Sa mère, dit-elle, est au désespoir. Carmen encourage Don José à partir, mais l’idée de laisser la place à un nouvel amant est insupportable à celui-ci. Micaëla annonce : « Ta mère se meurt, et ne voudrait pas mourir sans t’avoir pardonné. »

Au moment de partir, Don José s’adresse à Carmen : « Sois contente, je pars, mais nous nous reverrons. » On entend au loin Escamillo entonner son chant de combat. Il est sûr maintenant de sa victoire amoureuse.

Acte IV – La corrida

Une place à Séville, devant les murs et l’entrée des arènes. Les marchands s’affairent et proposent eau, éventails, lorgnettes, oranges, vin, cigarettes, etc. Le capitaine Zuniga s’étonne de ne pas voir la Carmencita. Frasquita lui dit qu’elle ne doit pas être bien loin, car elle ne quitte plus Escamillo. Frasquita s’enquiert de Don José ; il a été vu dans son village, mais a disparu depuis. Frasquita dit qu’à la place de Carmen, elle s’inquiéterait.

Avant le combat, Carmen dit à Escamillo que, s’il gagne, elle sera à lui.

Entrées successives de la quadrille des toreros, de l’alguazil, des chulos et des banderilleros et des picadors. Arrive enfin Escamillo, accompagné de Carmen, radieuse dans un costume éclatant. Il entre dans l’arène après avoir chanté avec elle un bref mais magnifique duetto d’amour.

Frasquita et Mercédès, qui ont aperçu Don José dans la foule, mettent en garde Carmen, qui leur répond : « Je ne suis pas femme à trembler devant lui. » Toute la foule pénètre dans l’amphithéâtre, à l’exception de Carmen. Don José apparaît ; il la supplie de lui pardonner et de le suivre pour « commencer une autre vie, loin d’ici, sous d’autres cieux ». Devant son refus obstiné, il en vient à la menacer. La jeune femme lui répond : « Jamais Carmen ne cédera : libre elle est née, et libre elle mourra. » Dans l’arène retentissent les cris de joie du public qui salue le triomphe d’Escamillo. Pressée de rejoindre celui-ci, Carmen défie Don José et jette la bague que celui-ci lui avait offerte à l’époque où elle l’aimait. Don José, fou de désespoir, la frappe à mort avec un poignard, alors qu’Escamillo apparaît sur les marches du cirque, entouré de la foule qui l’acclame.

La partition
Après la mort de Bizet, son ami le compositeur Ernest Guiraud a remplacé les passages parlés originaux, caractéristiques de l’opéra-comique, par des récitatifs. Cette révision a peut-être contribué au succès de l’œuvre en facilitant sa diffusion, notamment à l’étranger et dans les théâtres peu habitués à pratiquer l’alternance entre dialogues et musique dans une œuvre lyrique. Cependant cette adaptation est souvent contestée par les musicologues, et de nos jours, les deux versions sont jouées.

Quoi qu’il en soit, cet opéra a rapidement bénéficié d’une très grande popularité qui ne s’est jamais démentie. Il est généralement considéré comme l’opéra français le plus joué dans le monde.

Ceci peut s’expliquer, en partie, par les nombreuses oppositions qui jalonnent le livret, les scènes tragiques contrastant avec des passages plus légers, voire comiques (rôles de Frasquita, de Mercédès, du Dancaïre, du Remendado, etc.), équilibre entre scènes de foule et scènes plus intimes dans lesquelles les solistes passent au premier plan. Mais la musique de Bizet, expressive et colorée, son orchestration souvent raffinée, ses mélodies faciles à mémoriser, ne sont certainement pas étrangères à ce succès.

Parmi les pages les plus célèbres de Carmen, on peut citer :

le prélude
à l’acte I : le chœur des gamins « Avec la garde montante » ; le chœur des cigarières « Dans l’air, nous suivons des yeux » ; la habanera « L’amour est un oiseau rebelle » ; le duo « Parle-moi de ma mère » ; la séguedille « Près des remparts de Séville » ;
à l’acte II : la chanson bohème « Les tringles des sistres tintaient » ; les couplets du toréador ; le quintette « Nous avons en tête une affaire » ; l’air « La fleur que tu m’avais jetée » ;
Le prélude de l’acte III, un élégiaque duo pour flûte et harpe, un des sommets de la poésie du compositeur, et évoquant le paysage des hautes montagnes.
à l’acte III : le sextuor avec chœur « Écoute, compagnon, écoute » ; le trio des cartes ; l’air de Micaëla « Je dis que rien ne m’épouvante » ;
l’intermezzo entre les actes III et IV ;
à l’acte IV : la quadrille des toreros ; le bref duo Escamillo-Carmen « Si tu m’aimes Carmen », le duo avec chœur final « C’est toi ? — C’est moi ».
Bizet et Guiraud ont composé deux suites pour orchestre à partir des thèmes principaux.

Le chœur à bouche fermée[Lequel ?] est souvent supprimé de l’orchestration dans les créations modernes.

Source : Wikipedia