Décès d’Alexis Leger, dit Saint-John Perse, le 20 septembre 1975
» S’en aller ! S’en aller! Parole de vivant ! »
Alexis Leger, dit Saint-John Perse, né le 31 mai 1887 à Pointe-à-Pitre et mort le 20 septembre 1975 à Hyères, est un poète, écrivain et diplomate français, lauréat du prix Nobel de littérature en 1960.
En marge des mouvements littéraires de son époque, sa poésie, en versets, est réputée pour son hermétisme, mais aussi pour sa force d’évocation. Il reçoit le prix Nobel de littérature « pour l’envolée altière et la richesse imaginative de sa création poétique, qui donne un reflet visionnaire de l’heure présente ».
Biographie
Jeunesse et débuts diplomatiques
Fils d’Édouard Pierre Amédée Leger, avocat-avoué en Guadeloupe à partir de 1873, et de Marie Pauline Françoise Renée Dormoy, fille d’une famille de planteurs guadeloupéens3, Alexis Leger naît au no 54 rue Achille-René-Boisneuf à Pointe-à-Pitre. Il y passe son enfance, ainsi qu’à l’îlet Feuille où il découvre la nature, et surtout dans les deux importantes demeures familiales que sont « La Joséphine » — une caféière sur les hauteurs de Saint-Claude au sud de Basse Terre — et « Le Bois-Debout » — une exploitation de canne à sucre à Capesterre — qui marqueront son imaginaire. Il fait son entrée en huitième en 1894 au lycée de Pointe-à-Pitre tout récemment créé (futur lycée Carnot) mais suit ses parents partis pour Pau en mars 18997. Il entre en classe de cinquième au lycée de la ville, l’actuel lycée Louis-Barthou (c’est un autre lycée de Pau qui porte aujourd’hui son nom). Il fait ensuite des études de droit à Bordeaux dès 1904, puis effectue son service militaire dans l’infanterie à Pau dès la fin de ses études.
Il rencontre assez tôt le poète Francis Jammes, en 19029, qui habite alors à Orthez, lequel le présente notamment à Paul Claudel, avec qui il entretient des relations mouvementées. Grâce à Jammes encore, il entre en relation avec André Gide et le milieu de la NRF. Gide et Jacques Rivière le poussent à publier ses premiers poèmes. Les poèmes « Images à Crusoé » puis « Éloges » paraissent dans La Nouvelle Revue française en 1909 et 1910, puis en recueil sous le titre Éloges en 1911. Valery Larbaud lui consacre un article très élogieux dans la revue La Phalange.
Carrière diplomatique
Ayant réussi le concours des consulats en 1914, Alexis Leger est affecté au service de presse du ministre Théophile Delcassé, puis à la Maison de la presse du ministère des Affaires étrangères avant d’être nommé secrétaire de la légation française de Pékin où il reste de 1916 à 1921. En mai 1920, il effectue une excursion en Mongolie-Extérieure avec traversée du désert de Gobi, le voyage dit de la « Tête de cheval », pour retrouver la tombe de Gengis Khan en compagnie entre autres du sinologue Gustave-Charles Toussaint, le directeur général des postes chinoises, Henri Picard-Destelan et le docteur Jean-Augustin Bussière. Il en a parlé comme d’une expédition alors que l’aller-retour de Pékin à Ourga (Oulan-Bator) a duré dix jours et s’est fait en train et en voiture. À son retour, remarqué par Aristide Briand, il est nommé à l’administration centrale du ministère en 1922 puis devient, en 1925, directeur du cabinet du ministre. En février 1933, il remplace Philippe Berthelot souffrant, au poste de secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, poste qu’il occupe jusqu’en 1940, avec les rang et dignité d’ambassadeur de France.
Peu de temps après avoir été nommé directeur de cabinet d’Aristide Briand, Alexis Leger, alors germanophile, est l’un des principaux auteurs des accords de Locarno en octobre 1925, plaidant pour une « conciliation franco-allemande pour assurer la sécurité de la France puis de l’Europe ».
En 1929, il rédige pour Aristide Briand le Mémorandum sur l’organisation d’un régime d’union fédérale européenne sur mandat de l’Assemblée générale de la Société des Nations. Aristide Briand a été son mentor et après sa mort en 1932, son disciple prolonge son influence au quai d’Orsay et ce, tout le temps qu’il y reste. Ce que l’on a appelé la « pactomanie » lui a ensuite été reprochée par ses ennemis politiques. Toute sa vie, Alexis Leger a défendu la mémoire de Briand, par exemple, en 1942, dans un discours à sa mémoire à New York.
En tant que secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, il participe en avril 1935 à la conférence de Stresa. À ce poste pendant sept ans, il assure la continuité de la diplomatie française devant la valse des ministres (plus d’un par an en moyenne, dont Pierre Laval).
Ainsi, en mai 1936, au moment de son arrivée au pouvoir, Léon Blum, sur plusieurs sujets, aurait demandé : « Qu’en pense Leger ? » par exemple sur l’attitude à adopter face à la remilitarisation de la rive gauche du Rhin. S’agissant de la guerre d’Espagne et de la politique de non-intervention, le rôle de Leger a peut-être été déterminant. Lors des accords de Munich, il semble moins complaisant que Daladier et surtout que Georges Bonnet, son ministre, devant l’abandon de la Tchécoslovaquie : Hitler le qualifie à cette occasion de « petit Martiniquais sautillant ». En mai 1940, Paul Reynaud le démet brutalement de ses fonctions pour marquer une rupture avec la politique de passivité pratiquée vis-à-vis du Reich depuis sept ans et, accessoirement, pour complaire à sa maîtresse. Objet d’un fort ressentiment général, il est soupçonné d’avoir brûlé des archives diplomatiques, dont notamment la version française des accords de Munich de 1938, pour complaire au régime hitlérien. Leger, remplacé par François Charles-Roux, en est blessé, refuse les affectations qui lui sont proposées en compensation, quitte Bordeaux et la France ; il s’embarque pour l’Angleterre le 16 juin.
Il arrive à Londres, mais tout rapprochement avec de Gaulle est impossible, Leger lui déniant toute légitimité. Dans la France partiellement occupée, le régime de Vichy le déchoit de sa nationalité française, son appartement parisien est mis à sac. Leger est également radié de l’ordre de la Légion d’honneur. Il s’exile alors aux États-Unis, comme de nombreux intellectuels français.
À Washington, il trouve un emploi à la bibliothèque du Congrès grâce à Archibald MacLeish, poète américain, qui en est le bibliothécaire. Il devient, avec Jean Monnet peut-être, le seul Français qu’accepte d’écouter le président Roosevelt, réputé pour avoir été très méfiant à l’égard du général de Gaulle. Le chef de la France libre essaie de rallier Leger à sa cause, qui s’y refuse. De Gaulle ne lui pardonnera pas : ainsi en 1960, à l’occasion de l’attribution de son prix Nobel de littérature, il ne lui adresse aucune félicitation.
Après la publication de ses Œuvres Complètes dans la Bibliothèque de la Pléiade, en 1972, deux anciens diplomates notables du Quai d’Orsay, René Massigli et Léon Noël, le qualifient de « faussaire » qui aurait modifié le contenu de certaines de ses correspondances. Ainsi, dans une lettre datée de février 1917, il prétend avoir écrit : « La marche finale de la communauté chinoise vers un collectivisme proche du communisme léniniste le plus orthodoxe ». Or à l’époque, Lénine vit en Suisse, et la révolution russe n’a pas commencé.
Exil américain et mort
Aux États-Unis, en Argentine et en France, il publie successivement Exil en 1942, Pluies et Poème à l’étrangère en 1943, Neiges en 1944. À la Libération, depuis les États-Unis, il publie Vents chez Gallimard en 1946, puis Amers en 1957. À cette date, il revient chaque été faire de longs séjours en France, sur la presqu’île de Giens où des amis américains ont acquis pour lui une propriété, « Les Vigneaux ». Il se marie avec une Américaine, Dorothy Russel, dédicataire du Poème à l’étrangère, qu’il appelle « Dot »29 et surtout « Diane », de vingt ans plus jeune que lui. Il publie son poème Chronique en 1960, année où lui est attribué, grâce à ses amis américains et à Dag Hammarskjöld30, secrétaire général des Nations unies, le Prix Nobel de littérature. Son allocution au banquet Nobel du 10 décembre 1960 est consacrée aux rapports entre science et poésie. Il publiera encore le recueil Oiseaux, inspiré par Georges Braque en 196233, et encore quelques poèmes dans la Nouvelle Revue Française : Chanté par Celle qui fut là en 1969, Chant pour un équinoxe en 1971, Nocturne en 1973 et Sécheresse en 1974. Il meurt le 20 septembre 1975, sur la presqu’île de Giens, dans le Var, où il repose désormais. Ses quatre derniers poèmes paraissent peu après en recueil sous le titre Chant pour un équinoxe. Peu avant sa mort, il avait légué tous ses manuscrits, papiers et objets personnels, ainsi que les livres de sa bibliothèque, à la ville d’Aix-en-Provence, qui aujourd’hui encore abrite la Fondation Saint-John Perse. Son épouse Dorothy est morte en 1985.
Pseudonyme et noms
Alexis Leger a utilisé d’autres noms de plume comme Saint Leger Leger en trois mots, ou Saintleger Leger en deux, ou St L. Leger, et enfin Saint-John Perse à partir du recueil Anabase paru en 1924 qui a été un temps signé « St-J. Perse ». Il existe de nombreuses interprétations quant à ces pseudonymes, mais, de son aveu même, la nécessité d’un pseudonyme avait pour rôle de séparer sa mission diplomatique de sa fonction plus officieuse de poète. Concernant l’origine du pseudonyme définitif de Saint-John Perse, « il fut librement accueilli tel qu’il s’imposait mystérieusement à l’esprit du poète, pour des raisons inconnues de lui-même ». La concomitance de publication d’Anabase et le sens du mot « anabase » – qui définit aussi la conquête par Alexandre le Grand (à rapprocher du prénom Alexis et du nom Leger du poète) de l’empire Perse – présente également un symbolisme fort. Quant au choix qui aurait pu être lié à une admiration avouée pour le poète latin Perse, il a toujours affirmé qu’il s’agissait d’une simple coïncidence.
Il n’y a pas d’accent à son nom, le diplomate y tenait, de même qu’à la prononciation « Leuger ». De son vivant, il a voulu faire croire que Saint-Leger Leger était son vrai nom et Leger seulement une abréviation. D’ailleurs, dans le volume de ses Œuvres complètes (dans la collection Pléiade), il répète cette fiction. Dans sa vie privée, il s’est fait appeler par bien d’autres « petits noms » tels que Allan, Diego, Pierre Fenestre.
Analyse de l’œuvre
Esthétique littéraire
La poésie de Saint-John Perse est couramment réputée pour sa difficulté d’accès. Il écrit en verset. Le vocabulaire est parfois technique bien que son appréhension ne soit pas indispensable pour une première imprégnation de la puissance des images et de la richesse du rythme qui caractérisent le poème persien. De ce qu’on a pu nommer le « cycle antillais » (Éloges) au « cycle provençal » (les derniers poèmes), l’œuvre de Saint-John Perse institue dans la poésie française du xxe siècle des accents de conciliation entre les avancées de la modernité rimbaldienne et mallarméenne, avec les sources les plus archaïques de la parole poétique. André Breton voyait en 1924 en Perse un « surréaliste à distance », et c’est dire les volontés diverses d’appropriations de cette esthétique singulière, par les écoles de la modernité littéraire. Les premiers poèmes d’Éloges (surtout Images à Crusoé) laissent entrevoir une empreinte encore symboliste, mais ce modèle sera dépassé au gré du recueil et dès Anabase, s’impose un style déclamatoire reconnaissable entre tous, qui pousse souvent l’œuvre vers des accents lyriques prononcés (Exil, Vents et Amers notamment). Pour autant, les rythmes parfois saccadés de certains moments d’Exil, l’écriture souvent resserrée des poèmes provençaux et une certaine tension vers l’autotélisme (déjoué néanmoins) n’en apparaissent pas moins çà et là. Même par le prisme de cette variété stylistique, la parole poétique se déploie chez Saint-John Perse comme une rhapsodie accordée à l’intériorité ainsi qu’à un élan fondamental vers le monde.
« C’est à partir d’une analyse sémantique et sémiologique que l’évidence d’une unicité fondamentale de l’œuvre nous est apparue » souligne Élisabeth Coss-Humbert. « Les récurrences lexicales et les thèmes qu’elles sous-tendent parcourent l’œuvre entière depuis Écrit sur la porte jusqu’à Sécheresse, sans qu’il y ait la moindre rupture dans leur utilisation sémantique et cratylienne. »
Thématiques
Une « histoire de l’âme » semble dessiner, au gré des poèmes, un recours suprême aux éléments du monde (neiges, pluies, grands vents, souffles océaniques), mobilisés pour atteindre le « renouement » de l’homme vers son élan vital. Du souffle épique d’Anabase au style volontairement dépouillé des textes du Grand âge, les poèmes de Saint-John Perse construisent, en une langue somptueuse, un édifice unique dans la littérature française moderne. L’œuvre entière, en une profonde cohérence, propose au lecteur de parcourir le réel humain comme « Une seule et longue phrase sans césure à jamais inintelligible ». Le regard porté sur le « monde entier des choses » y demeure de bout en bout, empreint d’une volonté d’intégralité qui s’accorde à la recherche en tout, d’une plénitude existentielle (« Épouse du monde ma présence ! »), d’une quête de l’unité. C’est sans doute en ce tribut d’une restitution à l’homme certes, mais plus intimement, à tout un chacun, du souffle premier d’une présence exaltante au monde, que l’on peut certainement considérer la richesse de cette œuvre exigeante et rare.
Source :Wikipedia