1er janvier 1804 : Haïti devient la 1ère République noire libre du monde
« Haïti, où la Négritude se mit debout pour la première fois« . Aimé Césaire
En devenant indépendante le 1er janvier 1804, Haïti, l’ancienne colonie française de Saint-Domingue, acquiert un fort statut symbolique. Première guerre perdue par une armée européenne face à des insurgés extra-européens depuis plusieurs décennies, première révolte servile couronnée de succès dans l’Histoire moderne, première République noire libre du monde. Voici ce qu’ont accompli les révolutionnaires haïtiens entre la cérémonie de Bois Caïman du 14 août 1791 et le jour de la proclamation de l’indépendance.
Saint-Domingue : une colonie dont la prospérité est fondée sur la traite négrière
La colonie de Saint-Domingue, installée sur la partie occidentale de l’île d’Hispaniola (la partie orientale étant une colonie espagnole), a été fondée en 1627. Peuplée à l’origine d’Amérindiens Arawaks, la démographie de l’île va être rapidement modifiée. En effet, dès le début de la présence européenne, à force de maladies et de massacres perpétrés par les Espagnols, la population passe de 1,6 million à 60.000 entre 1492 et 1507. Très rapidement et face à l’échec de faire venir massivement des Européens dans cette île, la mise en valeur économique de l’île va se faire par l’importation d’esclaves noirs, pratique utilisée aussi bien par les Espagnols que par les Français.
Saint-Domingue devient pour la France sa colonie la plus prospère, grâce à la production de sucre et de café, dont Saint-Domingue fournit la moitié des productions mondiales durant le 18ème siècle. Mais la situation démographique et politique y est très complexe. Tandis que les esclaves, importés massivement durant tout le 18ème siècle, finissent par constituer la majeure partie de la population (environ 400.000 esclaves pour 450.000 habitants à la veille de la Révolution française), la société blanche est elle-même traversée de tensions, entre les « Grands blancs » (nobles et bourgeois qui sont devenus de grands propriétaires terriens) et les « petits blancs » (employés, ouvriers, petits commerçants,…). A cela s’ajoute la présence de « gens de couleur libres » (mulâtres libres et noirs affranchis) mais dont l’égalité juridique n’est dans les faits pas reconnue par les colons blancs.
La Révolution française : tergiversations parisiennes, tensions locales
La Révolution française est vue comme une opportunité par toutes les factions de la colonie de Saint-Domingue :
– Les colons y voient l’occasion d’instaurer la liberté du commerce en mettant fin au système de l’Exclusif de Colbert (qui impose à la colonie de commercer avec la France).
– Les « gens de couleur libres » y voient l’occasion de gagner l’égalité des droits qui leur est refusée par les colons.
– Quant aux esclaves, ils seront gagnés progressivement par l’idée de conquérir leur liberté dont la Révolution française a fait un étendard.
Les réactions à ces revendications seront diverses et précipiteront la révolution haïtienne :
– Les colons obtiennent initialement gain de cause : ils auto-décrètent, contre Paris, la liberté du commerce et parviennent, appuyés par Paris, à éviter de concéder l’égalité aux gens de couleur libres et aux esclaves.
– Les gens de couleur libres commencèrent à mener des révoltes, durement réprimées (cf. Vincent Ogé et plusieurs centaines de mulâtres insurgés pour l’égalité des droits seront exécutés en février 1791), ce qui poussera les gens de couleur libres à s’allier ultérieurement aux esclaves.
– Les esclaves n’obtiennent rien. Le parti « pro-esclavagiste » parvient à donner un statut constitutionnel à l’esclavage en mai 1791.
La cérémonie du Bois Caïman, début de la révolution haïtienne
Cette situation entraîne une série de soulèvements. Le 14 août 1791, à Bois Caïman, une cérémonie vaudou réunissant des esclaves « marrons » (c’est-à-dire ayant fui leur maître) est considérée comme la date symbolique du début de la révolution haïtienne. Elle décide en effet de la révolte. Dans les jours qui suivent, les plantations sont incendiées et un millier de blancs massacrés. Malgré la répression, la révolution haïtienne ne s’arrêtera plus, d’autant que les mulâtres se révoltent dans le même temps.
Les mois qui suivent sont d’une grande complexité car de nombreuses factions nouent et dénouent des alliances, rendues encore plus complexes par l’intervention des Espagnols. L’affranchi Toussaint-Louverture, un des leaders de la révolution haïtienne, s’allie finalement aux révolutionnaires français qui ont officiellement aboli l’esclavage le 4 février 1794 à Paris.
Toussaint-Louverture, grâce aux renforts venus de métropole, parvient à prendre le contrôle de l’île et à repousser les Espagnols et les Anglais qui avaient profité des troubles pour s’installer dans des parties de Saint-Domingue. Paris le nomme gouverneur de la colonie de Saint-Domingue. En 1798, les envoyés de la métropole constatent que les troupes n’obéissent qu’à Toussaint-Louverture, ce qui les amène à retourner en métropole. En 1800 éclate la « guerre des couteaux ». Aidé de ses adjoints Henri Christophe (un affranchi) et Jean-Jacques Dessalines (juridiquement esclave jusqu’à l’abolition de l’esclavage), Toussaint-Louverture bat les troupes mulâtres menées par le général Rigaud et qui continuaient à contester son autorité. En janvier 1801, il chasse les Espagnols de la partie orientale de l’île d’Hispaniola, alors réunie sous son pouvoir. En juillet de la même année, il fait adopter une Constitution autonomiste qui lui donne par ailleurs les pleins pouvoirs sur l’île.
Napoléon Bonaparte cherche à reconquérir l’île
Bonaparte, qui dirige la France depuis 1799, n’accepte pas la situation face à laquelle Toussaint-Louverture le met. Il décide alors, appuyé en cela par les milieux coloniaux mais également par les dirigeants mulâtres défaits par Toussaint-Louverture lors de la « guerre des couteaux », de reconquérir l’île. Une expédition de 30.000 personnes vogue en bateaux vers Saint-Domingue. Cette opération de reconquête connue comme « l’expédition de Saint-Domingue » est dirigée par le général Charles Leclerc. Face à la puissance de l’armée française, les insurgés haïtiens sont défaits au bout de quelques mois. Toussaint-Louverture doit se rendre en mai 1802 aux autorités françaises, qui l’exileront en France malgré les promesses faites lors de sa reddition. Emprisonné au Fort de Joux (Jura), Toussaint-Louverture mourra le 7 avril 1803, sans avoir connu la fin de la révolution haïtienne dont il était pourtant certain de l’issue victorieuse.
La France doit quitter l’île, Haïti devient indépendante
Mais deux raisons vont à nouveau retourner la situation :
– Désormais dirigée par le cruel général Rochambeau, l’armée française se livre à de sanglantes exactions.
– Les anciens esclaves noirs et les mulâtres prennent conscience que le vrai objectif de l’expédition est le rétablissement de l’esclavage (qui est d’ailleurs rétabli en Guadeloupe à l’automne 1802).
Alors que le camp de Toussaint-Louverture s’était divisé (Dessalines s’était rallié à la France au début 1802 après avoir été défait par l’armée de Leclerc, et avait même participé à l’arrestation de Toussaint-Louverture) et que celui des mulâtres (Pétion, Boyer) était revenu à Saint-Domingue en appui de l’armée française, ces deux camps se coalisent et se révoltent contre la France. Dessalines devient le commandant des insurgés. Le 18 novembre 1803, l’armée française est défaite à Vertières et Rochambeau doit capituler dans la foulée. C’est la fin de l’expédition de Saint-Domingue, dont le bilan humain est très lourd.
Le 1er janvier 1804, la colonie de Saint-Domingue n’est plus. Elle fait place à un nouvel Etat : Haïti (du nom utilisé par les Arawaks pour désigner leur île : Ayiti). Dessalines se proclame gouverneur (puis empereur) et fait massacrer l’essentiel de la population blanche dans les mois qui suivent (environ 5000 victimes), de peur qu’elles n’appellent des puissances étrangères à venir briser la République naissante. La France reconnaîtra l’indépendance d’Haïti en 1825 par la voix du roi Charles X. Le nouveau pays devra en contrepartie payer une indemnité de 90 millions de francs or, qui sera intégralement payée entre 1825 et 1883.
Source : SOS Racisme