Louis Delgrès signe et proclame le texte anti-esclavagiste « A l’Univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir » le 10 mai 1802
Louis Delgrès né le 2 août 1766, à Saint-Pierre, Martinique, et mort le 28 mai 1802 (à 35 ans), à Matouba (commune de Saint-Claude) en Guadeloupe, est une personnalité de l’histoire de la Guadeloupe. Colonel d’infanterie des forces armées de la Basse-Terre, abolitionniste, il est connu pour la proclamation anti-esclavagistes signée de son nom, datée du 10 mai 1802, haut fait de la résistance de la Guadeloupe aux troupes napoléoniennes.
Biographie
Juridiquement Louis Delgrès est né « libre de couleur ». Il est, selon l’hypothèse la plus probable, le fils naturel d’Élisabeth Morin (dite Guiby) et de Louis Delgrès, Blanc créole martiniquais de Saint-Pierre qui fut receveur du Roi et directeur des Domaines du Roi à Tobago. Les Archives nationales possèdent les dossiers de Louis Delgrès père, et de Louis Delgrès fils, chef de bataillon. Ces documents établissent avec une grande certitude la filiation entre les deux hommes.
Louis Delgrès fils vit avec ses parents en Martinique puis à Tobago. Un document de septembre 1799 indique qu’il est un excellent militaire et qu’il sait très bien lire, écrire et calculer. Ces indications révèlent la qualité de son éducation.
Carrière militaire
Louis Delgrès commence sa carrière militaire le 10 novembre 1783 dans la milice, aux colonies. Il est bientôt nommé sergent, en garnison à la Martinique. Les conséquences des mouvements révolutionnaires dans les colonies américaines le pousseront à affirmer ses opinions anti-esclavagistes et abolitionnistes tout en favorisant sa progression dans l’armée régulière.
Durant la Révolution
Le 8 septembre 1791, le « patriote » Louis Delgrès s’exile à la Dominique après la prise du pouvoir par les royalistes en Martinique. Le 28 octobre 1792, Louis Delgrès participe à l’élection des députés des îles du Vent à la Convention nationale.
En décembre 1792, Louis Delgrès rejoint les rangs des républicains et monte à bord de la Félicité, navire commandé par Lacrosse. Il est alors élu provisoirement lieutenant par ses concitoyens. Il sert sous les ordres de Rochambeau et est nommé capitaine à titre provisoire. En avril 1794, il est capturé par les Anglais à la suite de leur débarquement pour la prise de la Guadeloupe, emmené en Grande-Bretagne mais il est rapidement libéré et rejoint la France.
À Brest, il reçoit son brevet de lieutenant, lors de la formation du bataillon des Antilles le 27 novembre 1794. Le 6 janvier 1795, Louis Delgrès arrive en Guadeloupe, en compagnie des commissaires de la convention Goyrand et Lebas. Il quitte la Guadeloupe le 21 mars 1795 pour reconquérir Sainte-Lucie sur les Anglais. Il se distingue dans cette campagne et est grièvement blessé le 22 avril 1795.
Le 19 juin 1795, il hisse le drapeau tricolore au morne Rabot. Le 25 juin 1795, il est nommé capitaine par Goyrand. Le lendemain, il embarque pour Saint-Vincent, où il combat aux côtés des Garifunas (métis amérindiens Caraïbes noirs). Le 16 juin 1796, il est fait prisonnier par les Anglais et conduit dans les prisons britanniques.
Le 21 septembre 1797, il fait l’objet d’un échange de prisonniers : parti de Portchester, il débarque au Havre.
Après les prisons anglaises
En janvier 1798, Louis Delgrès est en garnison dans les casernes Martainville à Rouen. Puis, il est envoyé à l’île d’Aix où il retrouve Magloire Pélage. En septembre 1799, il est en congé à Paris. Le 1er octobre 1799, il est nommé chef de bataillon. Destiné à accompagner les agents de la Convention Jeannet, Laveaux et Baco en Guadeloupe, il refuse cette nouvelle affectation car il lui est dû des arriérés de sa solde. Finalement, Victor Hugues lui fait une avance et il embarque le 16 novembre 1799.
À son arrivée en Guadeloupe le 11 décembre 1799, Louis Delgrès est aide de camp de Baco. En octobre 1801, il est aide de camp du capitaine général Jean-Baptiste Raymond de Lacrosse. Ce dernier le qualifie de sans-culotte, ce qui indique son profond engagement révolutionnaire en cette époque du Consulat. Mais, le 1er novembre 1801, lorsque Lacrosse est emprisonné, il se rallie aux officiers rebelles. Il est nommé chef de la place de Basse-Terre par le général Magloire Pélage tandis que Lacrosse est chassé hors de Guadeloupe et se réfugie sur l’île voisine de la Dominique.
Le 5 janvier 1802, Louis Delgrès destitue les fonctionnaires blancs accusés de correspondre avec le général Lacrosse. Deux jours plus tard, il devient chef de l’arrondissement de Basse-Terre. Les 15 et 16 février 1802, en collaboration avec le capitaine Massoteau, Louis Delgrès fait arrêter des officiers blancs.
Proclamation signée Delgrès du 10 mai 1802
À partir du 10 mai 1802, dans la région de Basse-Terre, Louis Delgrès est le chef de la résistance contre les troupes consulaires du général Richepance, envoyées par Bonaparte pour rétablir l’esclavage[réf. nécessaire]. C’est alors qu’il fait afficher sur les murs de Basse-Terre la proclamation À l’Univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir :
« Le lendemain 10, dans la matinée, quelques instants avant que l’escadre française n’eût été signalée, Delgrès fit publier une proclamation qu’avait rédigée le jeune Monnereau, créole de la Martinique, adjudant de place. (Auguste Lacour) »
Le 20 mai 1802, Delgrès et ses troupes sont obligés de se replier au fort de Basse-Terre qu’il doivent ensuite abandonner le 22 mai 1802 (en s’échappant secrètement avec ses hommes par la poterne du Galion à l’arrière du fort) pour se réfugier au pied de la Soufrière à Matouba, vers Saint-Claude.
Le 28 mai 1802, se voyant perdus, Louis Delgrès et ses 300 compagnons se suicident à l’explosif dans leur refuge de l’Habitation Danglemont à Matouba, en vertu de la devise révolutionnaire « Vivre libre ou mourir ».
Hommages
En 2002, le sacrifice de Matouba a été commémoré par la création d’un timbre à l’effigie de Louis Delgrès, et par la mise en place d’une stèle au fort de Basse-Terre qui porte dorénavant le nom de « fort Delgrès ». On peut lire sa proclamation au Champ d’Arbaud à Basse-Terre.
Des rues et des établissements d’enseignement ont été nommés en sa mémoire depuis 2002.
Une inscription en sa mémoire a été placée dans la crypte du Panthéon à Paris :
« Héros de la lutte contre le rétablissement de l’esclavage à la Guadeloupe, mort sans capituler avec trois cents combattants au Matouba en 1802. Pour que vive la liberté. »
En 2008, la Région Guadeloupe a commandé 34 bustes en bronze de Louis Delgrès au sculpteur Didier Audrat sur les recommandations de l’historien guadeloupéen René Bélénus, dont 32 sont offerts gracieusement a chacune des communes de l’Archipel. La première inauguration a eu lieu le 28 mai 2008 à Saint-Claude.
Le groupe de blues Delgrès a choisi son nom en hommage à Louis Delgrès
Source :Wikipedia
À l’univers entier
Le dernier cri de l’innocence et du désespoir
— Louis Delgrès —
C’est dans les plus beaux jours d’un siècle à jamais célèbre par le triomphe des lumières et de la philosophie qu’une classe d’infortunés qu’on veut anéantir se voit obligée de lever la voix vers la postérité, pour lui faire connaître lorsqu’ elle aura disparu, son innocence et ses malheurs.
Victime de quelques individus altérés de sang, qui ont osé tromper le gouvernement français, une foule de citoyens, toujours fidèles à la patrie, se voit enveloppée dans une proscription méditée par l’auteur de tous ses maux. Le général Richepance, dont nous ne savons pas l’étendue des pouvoirs, puisqu’ il ne s’annonce que comme général d’armée, ne nous a encore fait connaître son arrivée que par une proclamation dont les expressions sont si bien mesurées, que, lors même qu’il promet protection, il pourrait nous donner la mort, sans s’écarter des termes dont il se sert. À ce style, nous avons reconnu l’influence du contre-amiral Lacrosse, qui nous a juré une haine éternelle… Oui, nous aimons à croire que le général Richepance, lui aussi, a été trompé par cet homme perfide, qui sait employer également les poignards et la calomnie.
Quels sont les coups d’autorité dont on nous menace ? Veut-on diriger contre nous les baïonnettes de ces braves militaires, dont nous aimions à calculer le moment de l’arrivée, et qui naguère ne les dirigeaient que contre les ennemis de la République ? Ah ! Plutôt, si nous en croyons les coups d’autorité déjà frappés au Port-de-la -Liberté, le système d’une mort lente dans les cachots continue à être suivi. Eh bien ! Nous choisissons de mourir plus promptement.
Osons le dire, les maximes de la tyrannie les plus atroces sont surpassées aujourd’hui. Nos anciens tyrans permettaient à un maître d’affranchir son esclave, et tout nous annonce que, dans le siècle de la philosophie, il existe des hommes malheureusement trop puissants par leur éloignement de l’autorité dont ils émanent, qui ne veulent voir d’hommes noirs ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l’esclavage.
Et vous, Premier consul de la république, vous guerrier philosophe de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi faut -il que nous ayons à déplorer notre éloignement du foyer d’où partent les conceptions sublimes que vous nous avez si souvent fait admirer ! Ah ! sans doute un jour vous connaîtrez notre innocence, mais il ne sera plus temps et des pervers auront déjà profité des calomnies qu’ils ont prodiguées contre nous pour consommer notre ruine.
Citoyens de la Guadeloupe, vous dont la différence de l’épiderme est un titre suffisant pour ne point craindre les vengeances dont on nous menace, – à moins qu’on veuille vous faire le crime de n’avoir pas dirigé vos armes contre nous, – vous avez entendu les motifs qui ont excité notre indignation. La résistance à l’oppression est un droit naturel. La divinité même ne peut être offensée que nous défendions notre cause ; elle est celle de la justice et de l’humanité : nous ne la souillerons pas par l’ombre même du crime. Oui, nous sommes résolus à nous tenir sur une juste défensive ; mais nous ne deviendrons jamais les agresseurs. Pour vous, restez dans vos foyers ; ne craignez rien de notre part. Nous vous jurons solennellement de respecter vos femmes, vos enfants, vos propriétés, et d’employer tous nos moyens à les faire respecter par tous. Et toi, postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits.
Le Commandement de la Basse-Terre Louis DELGRÈS
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