— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Aux Antilles , nous vivons actuellement un tournant sociétal. La crise sanitaire du Coronavirus ne nous laisse pas le choix : Nous allons devoir nous interroger sur un nouveau modèle de société de production . Nous vivons une démondialisation accélérée qui était déjà engagée en réalité, car notre économie est construite autour du libre échange. L’économie martiniquaise et guadeloupéenne a besoin de fonctionner avec le crédit, et donc le système repose pleinement sur la capacité du système bancaire et financier à financer la croissance par la création monétaire.
Malheureusement, nous sommes à présent dans une crise de l’offre et de la demande. Les entreprises de production ont besoin de faire des prêts pour investir ou produire davantage ; Les entreprises ont besoin de l’épargne des martiniquais et des guadeloupéens . Alors que la crise du Covid 19 met à nouveau en difficulté bon nombre d’entreprises , l’épargne des particuliers abonde sur les comptes courants et autres livrets d’épargne, représentant plus 60% du PIB. La tentation est grande de penser que la solution au problème est simple : orienter cette épargne vers le financement des entreprises en Martinique et en Guadeloupe ! Mais alors, pourquoi cet argent reste-t-il sur les livrets ? Pourquoi les épargnants « gèrent-ils si mal » leur épargne ? Pourquoi les dirigeants ne parviennent-ils pas à convaincre les particuliers d’investir dans leurs entreprises ?
L’appel à diriger l’épargne des martiniquais et guadeloupéens vers le financement des PME est un véritable serpent de mer de la politique économique de ces vingt dernières années. Mais les responsables ont toujours privilégié l’intermédiation en passant par les assurances et les banques. Avec, au final, des mesures incapables de faire grandir nos TPE pour ensuite les transformer en PME . Nos PME, quant à elles, restent encore trop peu financées au démarrage et ont du mal à grandir.
Pour l’orientation de l’épargne vers les TPE-PME qui ont cruellement besoin de trésorerie depuis la survenance de la crise du Covid 19 , une incitation fiscale serait la bienvenue tant pour l’apport en capital qu’en apport en compte courant. La famille, les amis seraient souvent prêts à donner un coup de main main nous n’avons pas grand chose d’attractif à leurs proposer. Seulement une prise de risque pour nous être agréable, donc avec un engagement minimum. Le hic c’est que l’épargne des martiniquais et guadeloupéens ne s’oriente pas vers les entreprises locales, car étant captée par les investissements dans l’immobilier ou par les produits financiers des banques et des assureurs de l’Hexagone . Le total de l’épargne collectée en 2019 dépasse les 2,4 Milliards d’euros en Guadeloupe , somme largement suffisante pour couvrir les besoins de financement des TPE-PME . Le surcroît d’épargne accumulée des ménages guadeloupéens pendant la seule crise du Covid 19 est estimé à 240 millions d’euros fin 2020. Cette croissance de l’épargne s’est matérialisée particulièrement par une augmentation des soldes des comptes courants et des comptes d’épargne. C’est notamment le cas de la forte augmentation de l’épargne des ménages durant cette période . Un levier qui pourrait constituer un solide relais de croissance, dit l’institut d’émission.
Cet afflux d’épargne cette année s’est en particulier retrouvé sur des supports qu’on appelle l’épargne de précaution. C’est-à-dire que cet argent se retrouve notamment sur les comptes courants et des livrets d’épargne liquides, c’est-à-dire de l’argent disponible immédiatement. Certains dès lors pensent que cet argent est dans les « starting block » pour servir à une consommation effrénée dès lors que la crise sera terminée . Plus encore, Noël et le jour de l’an étant tous les ans une période au cours de laquelle la consommation atteint des sommets, cette épargne se retrouvera très vite dans les caisses de nos commerces de centre-ville ou autres hypermarchés . Malheureusement, cette fois, même si apparemment, ce phénomène est de nature à relancer la consommation qui est un des piliers de la croissance, ce n’est assurément pas la bonne solution de nature à renforcer les fonds propres des entreprises en Martinique et Guadeloupe.
Mais delà de cette épargne contrainte, celle à long terme ne saurait être négligée. Après avoir enregistré une baisse en 2018 (-0,8 %), elle a cru de 3,6 % en 2019 pour atteindre 2,4 milliards €. Les ménages sont les principaux détenteurs de l’épargne à long terme (97,0 % du total). Leur épargne longue progresse de 3,4 % à fin 2019 (contre -0,9 % l’année précédente).
Cet intérêt pour les livrets A et LDDS a pourtant de quoi interroger. S’ils ne sont pas soumis à l’impôt, leurs rendements sont particulièrement faibles : 0,5% depuis février. Zéro en tenant compte de l’inflation. Compte tenu de cette situation, le moment est venu de flécher l’épargne des martiniquais et guadeloupéens vers des supports censés favoriser les investissements dans l’économie réelle. Parce que les banques sont conduites à réduire sensiblement leurs concours aux TPE-PME qui composent l’essentiel du tissu économique de nos territoires , placés sous la double contrainte de taux de risque plus élevé en Martinique et Guadeloupe et des nouvelles normes imposées par leurs tutelles.
La relance de l’économie souhaitée par le gouvernement, la CTM et la région Guadeloupe , pourrait être l’occasion de creuser la question d’une incitation des épargnants Antillais à acquérir, dans une logique de diversification de leur épargne, des actions d’autres entreprises, via une ouverture des Plans d’Epargne Entreprise, à la détention directe d’actions, et non seulement à la détention de fonds financiers dormants.
A moyen terme , Internet, Numérique, Algorithmes sophistiqués, intelligence artificielle vont bousculer toute l’économie traditionnelle aux Antilles. Le développement des nouvelles technologies, à la vitesse éclair, va profondément métamorphoser bon nombre de secteurs d’activité. Le gouvernement le répète à l’envi: 50 % des emplois seront transformés au cours de dix prochaines années. Et, selon une étude de l’OCDE, la robotisation menace 35 % des emplois actuels.
Alors, dans ce contexte, les DROM vont-ils vers une révision douloureuse du modèle économique qui est actuellement le leur ?…. De la réponse à cette question découlent des politiques publiques différentes. A la question, l’économiste Nicolas Bouzou déclare que le modèle économique et social actuel des Antilles française est d’ores et déjà condamné à muter, car la France n’a plus de marge budgétaire pour financer le coûteux système du modèle social en vigueur aux Antilles. Et Nicolas Bouzou d’ajouter : « Ce qu’il est important de bien comprendre, c’est que la crise actuelle des finances publiques est très grave. La France engrange les déficits budgétaire depuis 1974 et le montant actuel de sa dette publique est de l’ordre de 2640 milliards d’euros . Elle va donc amener tôt ou tard le gouvernement à réduire les dépenses publiques partout. En conséquence, la croissance économique des DROM dans les prochaines années devra être portée par les entreprises. Le modèle économique des DROM n’a d’autre choix que de se remettre en cause, car bientôt la Martinique et la Guadeloupe bénéficieront moins des aides publiques, des dispositifs fiscaux dérogatoires et des aides sociales. Il y aura moins de fonctionnaires et, pour de basses raisons financières, des avantages tels que la surrémunération risquent d’être amenés à disparaître. Ces changements peuvent sembler brutaux, mais ils représentent une chance pour la Martinique et la Guadeloupe d’évoluer vers un autre modèle basé non plus sur la consommation mais sur la production .
La Martinique et la Guadeloupe disposent d’une capacité de production très en deçà des potentialités de leurs territoires .
La difficulté à trouver de bons projets et la faiblesse de l’environnement institutionnel ne peuvent plus raisonnablement justifier une telle situation. Mobiliser les « bas de laine » des martiniquais et des guadeloupéens , résidents ou non-résidents, devient une urgence.
Réveiller ces ressources suppose avant tout de renforcer les circuits de captation de l’épargne locale .
L’enjeu ? Faire de chaque citoyen un investisseur à part entière contribuant au développement de son pays.
Les outils d’accompagnement locaux existent, mais sont partiellement inadaptés ou insuffisants (Initiative Guadeloupe et Martinique , BPI, Sagipar, FIRG, Caraïbes Angels, Feedelios,clubs Cigales, etc.)
Pour l’heure, la tendance en Martinique et Guadeloupe à privilégier la pierre doit cesser de se renforcer avec les années post crise qui viennent. Pour cela, une refonte en profondeur de la fiscalité devra être entreprise ,et ce en concomitance ou non avec l’éventualité de la saisine par les politiques de la question statutaire .
Au-delà des soucis de défiance des épargnants pour investir dans les filières d’avenir, l’épargne est un moyen pour irriguer un peu plus le tissu local, participer à la création d’emplois et faire du citoyen un acteur engagé de son nouvel environnement économique.
Jean-Marie Nol économiste