— Par Yves-Léopold Monthieux —
Les récents incidents survenus au collège des Trois-Ilets ramènent au sujet récurrent de l’affectation de professeurs blancs en Martinique. Leur nombre ainsi que leurs lieux d’affectation sont source de débats infinis dont je retrouve l’écho dans une chronique de votre serviteur, parue le 21 mai 2007, Le recrutement des enseignants à la Martinique : quel beau sujet de réflexion pour le Congrès !
Les problèmes que rencontre l’encadrement scolaire dans notre département se ramènent toujours à la formule souvent galvaudée de Césaire : « génocide par substitution ». En effet, l’emprise mémorielle et coloriste constitue le fonds de sauce de tout débat en Martinique. Cette réalité est à ce point affirmée qu’on ne prend plus la peine d’étudier le fond des problèmes qui se posent. On sent bien que pour certains, la solution immédiate serait d’interdire la venue des professeurs français en Martinique, ce que pourrait traduire un slogan qui en rappelle un autre, qui fut révolutionnaire en son temps1 : « l’enseignement martiniquais aux enseignants martiniquais ! ». Cependant, peut-on se priver de cet apport d’effectifs ?
En réalité, la Martinique se retrouve dans la situation d’un pays développé qui, comme la Grande-Bretagne ou les USA, fait appel à des agents étrangers pour les aider à remplir leur mission éducative. Sauf que ces pays recrutent les personnels qui leur manquent dans les pays du Sud, notamment aux Antilles non françaises. S’agissant de l’enseignement en Martinique, le rapport Nord – Sud est inversé : censé faire partie du Sud, la Martinique recrute en France (Nord). C’est la situation d’un pays qui n’est pas à un paradoxe près, dont celui-ci : être économiquement sous-développé et posséder un niveau de vie de pays développé.
Quand le mouvement s’effectue du Sud vers le Nord, les postulants ne sont pas exigeants ; généralement, la seule possibilité de travailler dans pays riche leur suffit. Alors que dans le cadre du mouvement inverse (le Nord vers le Sud) il y a besoin d’attirer ces candidats par des avantages concrets. S’agissant des enseignants hexagonaux, ces mesures d’appel comprennent la majoration de salaire de 40%, les primes d’éloignement ainsi qu’une majoration d’ancienneté pour les droits à la retraite (tous avantages qui ont été étendus aux autochtones). Leur suppression conduirait à tarir les candidatures de professeurs venant de l’Hexagone et même des fonctionnaires martiniquais qui, par ailleurs, pourraient à leur tour trouver motif à quitter l’île. Faudrait-il en revenir à la mesure de discrimination positive qui avait consisté, au début de la départementalisation, à abaisser le niveau de recrutement des enseignants ? Quel syndicat d’enseignants ou quel parti politique accepteraient le retour à une pratique qui avait pourtant donné satisfaction ?
Reste la solution conforme à l’idée d’autonomie et qui consisterait à confier la responsabilité de l’Education territoriale à la collectivité de Martinique (CTM), notamment en ce qui concerne la carrière des enseignants, de leur recrutement à leur mise à la retraite. Il appartiendrait alors à cette autorité politique de gérer les éventuels apports humains venant de l’extérieur. La dévolution à la Martinique du pouvoir de recruter les enseignants et de gérer leur carrière : quel beau sujet de débat pour le Congrès !
Fort-de-France, le 12 mars 2024
Yves-Léopold MONTHIEUX
1« La Martinique aux martiniquais » : slogan de l’OJAM (1961).