… à l’épreuve de la « pédagogie interactive » et de l’« aprantisaj aktif » de l’Inisyativ MIT-Ayiti
— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —
« (…) il n’est pas de production de connaissance robuste et fiable hors du collectif de scientifiques qui s’intéressent aux mêmes objets, faits et questions. La connaissance scientifique doit être mise à l’épreuve et vérifiée par des collègues ou pairs compétents, à savoir ceux qui sont préoccupés par les mêmes questions ou sont pour le moins familiers de la démarche scientifique concernant la matière spécifique (…). » (« Les sciences et leurs problèmes : la fraude scientifique, un moyen de diversion ? », par Serge Gutwirth et Jenneke Christiaens, Revue interdisciplinaire d’études juridiques 2015/1 (volume 74).
Paru en Haïti dans Le Nouvelliste daté du 16 mai 2024, l’article « Ansèyman ak aprantisaj matematik vin pi fasil gras ak bourad Inisyativ MIT-Ayiti », que signe le Biwo kominikasyon MIT-Ayiti, a médusé nombre d’enseignants préoccupés par la didactique du créole ainsi que des professeurs de créole soucieux d’intégrer à leur enseignement les apports de la lexicographie créole. Cet article a également médusé des rédacteurs de manuels scolaires créoles et des lexicographes de métier en raison principalement des errements lexicographiques avérés caractérisant le « produit phare » de l’Inisyativ MIT-Ayiti, le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative ». Étant donné que l’enseignement-apprentissage des mathématiques en créole tel que promu par l’Inisyativ MIT-Ayiti est en lien —sur le registre de la didactisation en créole des savoirs et des connaissances transmis par l’École–, avec son unique outil lexicographique, le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », il est nécessaire de réactualiser le bilan analytique de ce « Glossary » faussement appelé « glossaire » alors qu’en réalité il s’agit d’un lexique d’environ 800 termes anglais accompagnés d’équivalents « créoles ».
Dans le présent article nous proposons un éclairage analytique sur le « modèle » préconisé par l’Inisyativ MIT-Ayiti, à savoir la « pédagogie interactive » basée sur l’emploi du créole langue maternelle. Au regard de cette « pédagogie interactive », nous faisons également la démonstration que –contrairement aux aventureuses allégations du Biwo kominikasyon MIT-Ayiti « sou fondasyon pedagoji entèraktif ak lang matènèl kòm zouti ki djanm pou ansèyman ak aprantisaj »–, l’unique outil lexicographique du MIT Haiti Initiative a été (1) élaboré en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle et que (2) à ce titre et pour d’autres motifs il n’a jamais pu s’implanter en Haïti dans l’apprentissage, en créole, des sciences et des mathématiques. Il s’agira aussi d’analyser les motifs politiques expliquant l’échec de l’implantation en Haïti, de 2010 à 2024, de la « pédagogie interactive » basée sur l’emploi du créole langue maternelle en dépit des liens avérés de l’Inisyativ MIT-Ayiti avec le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste.
« Pédagogie interactive » et langue maternelle, « pédagogie interactive » et didactisation du créole
Règle générale, les chercheurs font remonter aux années 1970 l’apparition de la notion de « pédagogie interactive » dans le champ éducatif. Le chercheur canadien Gabriel Racle définit comme suit la « pédagogie interactive » : « Le potentiel de tout être humain, enfant aussi bien qu’adulte, est prodigieux, variable selon des données génétiques certes, mais prodigieux. Prisonniers de la routine, du conformisme, des structures en place, de la peur du changement, on a tendance à l’ou- blier. C’est pourtant le point de départ d’un renouvellement pédagogique qui, désormais, n’est plus une utopie et qui non seulement peut mais doit trouver sa place dans nos sociétés modernes. La pédagogie interactive est au cœur de ce renouvellement, puisqu’elle synthétise les résultats, les données, les principes provenant des travaux et recherches en psychopédagogie et neuropédagogie et dont nous avons donné quelques exemples. Dans une telle perspective pédagogique, l’apprentissage est vu comme le résultat d’une interaction ou d’une somme d’interactions, entre la personne de l’apprenant et son milieu. (…) La pédagogie interactive, en intégrant dans l’enseignement les interrelations externes (environnement physique, psychologique, social et apprenant), et les interrelations internes (hémisphère droit et hémisphère gauche, cerveau limbique et zones tertiaires du cortex, rythmes circadiens et rythmes ultradiens) crée une nouvelle psychocommunication éducative aux effets bénéfiques à court et à long termes » (Gabriel Racle : « La pédagogie interactive, pourquoi ? », revue Communication & langages, no 54, 1982, p. 26-32 ; le souligné en gras est de RBO). Pour sa part, dans un texte daté du 17 juillet 2017, Alexis Roche, maître de conférences en management – recherche-intervention en entreprise, « La pédagogie interactive, source d’efficacité pour les organisations apprenantes et d’épanouissement pour les individus », expose une définition plutôt large de la « pédagogie interactive ». Il précise en effet que « La pédagogie interactive est un renversement de la perspective pédagogique classique : on part de ce que l’ « autre sait » et non pas de « la bonne pratique à transmettre ». Elle fait suite aux réflexions de différents courants comme les idées de Maria Montessori qui se focalise plus sur l’apprentissage individuel [et] surtout [sur la] dynamique pédagogique d’apprentissage collectif de Célestin Freinet ».
Marianne Hardy (Université Paris 13) est l’auteure de plusieurs articles scientifiques relatifs à la « pédagogie interactive », notamment « Naissance d’une pédagogie interactive » (Paris, INRP – Institut national de recherche pédagogique, 1991), et de « Vers une pédagogie interactive : on n’apprend pas tout seul » (Paris, INRP, 1992). Elle a également publié, avec F. Platone, « Pédagogie interactive de la langue écrite à l’école maternelle », paru dans « Lire et écrire à l’école primaire » (Paris, INRP, 1994). Elle est l’auteure, avec C. Royon et M. Bréauté, de « Pédagogie interactive et premiers apprentissages », paru dans Rayna S., Laevers F., Deleau M. (éds), « L’éducation préscolaire : quels objectifs pédagogiques ? » (Paris, Nathan/INRP, 1996). Dans la Revue française de pédagogie (no 129, octobre 1999), Marianne Hardy a fait paraître l’article « Pratiquer à l’école une pédagogie interactive ». Elle expose que « L’article précédent présente notre approche psychopédagogique dite « pédagogie interactive » qui, en ajustant les contextes et les pratiques aux intérêts et démarches des enfants, permet de susciter l’implication de tous dans les processus d’apprentissage ». De manière générale, il y a communauté de vue entre différents théoriciens et praticiens de la « pédagogie interactive » : celle-ci est un construit en contexte d’apprentissage scolaire, elle est un savoir centré non pas sur le discours normatif et prescriptif de l’enseignant mais plutôt sur l’apprenant qui co-construit les savoirs et les connaissances.
L’article « Ansèyman ak aprantisaj matematik vin pi fasil gras ak bourad Inisyativ MIT-Ayiti » expose qu’il existerait un « modèle » préconisé par l’Inisyativ MIT-Ayiti, à savoir la « pédagogie interactive » / « pedagoji entèraktif » basée sur l’emploi du créole langue maternelle. Cette assertion se donne à lire dès la première phrase de l’article : « Depi lè Inisyativ MIT-Ayiti kòmanse feraye nan lane 2010, objektif li se kore mouvman pou amelyore kalite edikasyon ann Ayiti sou fondasyon pedagoji entèraktif ak lang matènèl kòm zouti ki djanm pou ansèyman ak aprantisaj »… Cette accroche introductive se précise comme suit : « Se kon sa MIT-Ayiti toujou ankouraje itilizasyon teknoloji nan sal klas epi bay gwo bourad nan pwodiksyon ak difizyon materyèl nimerik an kreyòl nan tout matyè e nan tout nivo. Objektif la se bay anseyan yo bèl kalite resous pou yo ede aprenan yo patisipe nan bati konesans pi fasilman ak kè kontan ». [Le souligné en italiques et gras est de RBO]
Avant d’examiner de plus près en quoi consiste la « pédagogie interactive » basée sur l’emploi du créole langue maternelle tel que préconisé par l’Inisyativ MIT-Ayiti, il est utile de préciser dans quel contexte « infrastructurel », en Haïti, ses promoteurs entendent élaborer la « (…) pwodiksyon ak difizyon materyèl nimerik an kreyòl nan tout matyè e nan tout nivo ». Autrement dit, l’objectif de la « production et la diffusion de matériel numérique en créole dans toutes les matières et à tous les niveaux » est-il un véritable objectif pédagogique auquel l’État haïtien devrait souscrire ? Constitue-t-il un objectif que l’on peut mettre en œuvre à l’échelle nationale ou est-il un OVNI, une séduisante chimère, un discours-argumentaire à l’appui de demandes de subventions auprès de riches institutions américaines ? L’atteinte de cet objectif est-il garanti en amont et à toutes ses étapes par l’existence en Haïti, à l’échelle nationale, d’infrastructures communicationnelles adéquates (électricité, couverture et accès généralisé à Internet sur le plan technique, coûts réels de l’abonnement à Internet, accessibilité et possession de matériel informatique, maîtrise des protocoles de recherche sur Internet) ?
Dans l’article que nous avons publié en Haïti dans le journal Le National daté du 28 avril 2020, « ‘’PRATIC’’, la plateforme numérique officielle pour l’enseignement à distance en Haïti par temps de Covid 19 : signalétique d’un échec programmé », nous avons exposé un ensemble de données de terrain relatives à la problématique de l’accès à Internet en Haïti –mais les responsables de l’Inisyativ MIT-Ayiti ignorent de fait une telle problématique alors même qu’ils prônent une… « pédagogie interactive » en lien avec « la production et la diffusion de matériel numérique en créole ». Le rappel de ces données de terrain est essentiel pour bien comprendre et mettre en perspective tout projet de « production et [de] diffusion de matériel numérique en créole dans toutes les matières et à tous les niveaux ». Ainsi, l’usager en Haïti est soumis à des restrictions drastiques de l’alimentation électrique : 70 % du pays n’est pas couvert par l’EdH (la compagnie nationale Électricité d’Haïti), et le rationnement qu’elle impose dans la capitale et dans les zones urbaines de province constitue un obstacle majeur d’accès aux médias et à Internet. En clair, la majorité des élèves théoriquement visés par le dispositif PRATIC n’a pas accès au courant électrique fourni de manière erratique par l’EdH et seules les familles disposant d’une source alternative d’alimentation électrique (génératrices, batteries, « Inverter », panneaux solaires) pourraient s’en prévaloir. Mais ces systèmes alternatifs demeurent très onéreux et l’on ne dispose pas de données d’enquête chiffrant le nombre de familles ayant installé ces sources alternatives d’alimentation électrique. Il y a lieu ici de rappeler que la majorité des familles haïtiennes est classée « à faibles revenus », le revenu mensuel moyen par habitant en Haïti s’élevant à 65 $, soit 780 $ par habitant et par an selon différentes sources en lien avec les données de la Banque mondiale pour 2016. Mais en réalité, la plupart des observateurs estiment que plus de la moitié des familles haïtiennes vit sous le seuil de pauvreté… Un dossier de Radio Canada (récent mais non daté) consigne que « Haïti est caractérisé par sa pauvreté de masse, surtout dans le nord du pays. En tout, 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. En 2000, Haïti est classé au 150e rang sur 174, selon l’indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le développement. (…) À Port-au-Prince, deux habitants sur trois vivent avec moins de 56 $ par mois ».
En ce qui a trait à l’accès à Internet, Haïti n’est pas mieux logée. Aujourd’hui, (…) « la majorité des étudiantes et étudiants, des écolières et écoliers, non seulement n’ont pas accès à Internet, mais encore et surtout à l’électricité, sur le territoire national, en Haïti. » (voir l’article « Technologie / Covid-19 : la mauvaise connexion Internet, un obstacle à la formation à distance en Haïti, selon le professeur d’université Samuel Pierre », Alterpresse, 7 avril 2020.) Le coût de l’abonnement mensuel à Internet demeure très élevé puisqu’il se situe entre 50 et 150 $ US. Pour une famille, le coût moyen d’un ordinateur portable est de 500 $ US et l’accès résidentiel à Internet coûte environ 1 800 $ US l’an, alors même qu’en 2018 le taux de pénétration d’Internet était de 12% au pays selon haititechnews.com citant une évaluation datée de 2016. Dans le même ordre d’idées, « On peut considérer que la pénétration de l’Internet en Haïti est d’environ 13%, c’est-à-dire environ 1 500 000 utilisateurs » (Jean Marie Guillaume, directeur général du Conatel : « Plus d’un Haïtien sur deux a un téléphone portable », Le Nouvelliste, 22 novembre 2013). Dans le document « Présentation synoptique sur la situation des TIC en Haïti » préparé pour l’Atelier mondial sur les indicateurs d’accès communautaire aux TIC (Mexico, 16 – 19 novembre 2004), il est précisé que « L’enquête sur l’interconnexion, menée par le RDDH [Réseau de développement durable en Haïti], a révélé les faits suivants : –clientèle académique 23%, –industrielle 22%, –commerciale (cybercafeś) 19%, –commerciale (petits ISP) 13%. Regroupés à près de 85% à Port-au-Prince (…) les cybercafés sont au nombre de 187 à travers le pays dont 156 dans l’aire métropolitaine (…), 18 dans la région Sud du pays et 13 dans la région Nord. La pénétration des villes de province par les cybercafés est donc faible. Cap-Haïtien (deuxième ville) et Jacmel (cinquième ville) sont les deux villes où il y en a le plus de cybercafés, respectivement neuf et huit. »
Il ressort de ces données et observations que –privée d’électricité et de connexion à Internet–, l’écrasante majorité des trois millions d’élèves scolarisés dans les secteurs public et privé de l’éducation en Haïti n’a pas accès à PRATIC, la plateforme numérique officielle pour l’enseignement à distance en Haïti. La signature, le 6 mai 2020, entre la NATCOM et le ministère de l’Éducation, d’un contrat de réduction des coûts des SMS visant les élèves n’y changera rien puisque la majorité des familles des écoliers n’a pas de pouvoir d’achat permettant de faire l’acquisition d’un ordinateur portable ni de bénéficier du courant électrique et de l’abonnement à Internet. Ces données et observations sont connues des responsables politiques et administratifs du ministère de l’Éducation, mais contre toute évidence, ils ont choisi de lancer PRATIC sans véritablement se soucier de son accessibilité chez les trois millions d’élèves du pays.
Dans l’hypothèse où la « pédagogie interactive » basée sur l’emploi du créole langue maternelle tel que préconisé par l’Inisyativ MIT-Ayiti devrait reposer principalement sur une partie des 100 000 enseignants que compte le système éducatif national (écoles privées et publiques confondues), il y a lieu de se demander si ces enseignants –en plus des difficultés d’accès à Internet que nous venons de décrire–, disposent de ressources financières suffisantes pour acquérir du matériel informatique, payer un abonnement fort onéreux à Internet et installer un dispositif alternatif de courant électrique les habilitant à être des partenaires de la « pédagogie interactive » basée sur l’emploi du créole langue maternelle tel que préconisé par l’Inisyativ MIT-Ayiti. La réponse à ce questionnement est certainement « non » et l’on peut déjà entrevoir le caractère irréaliste sinon fantaisiste de la perspective défendue par l’Inisyativ MIT-Ayiti. Cette dimension de l’effectivité de la « pédagogie interactive » en Haïti est lourdement ignorée des responsables de l’Inisyativ MIT-Ayiti qui, dans l’article du Nouvelliste daté du 16 mai 2024, « Ansèyman ak aprantisaj matematik vin pi fasil gras ak bourad Inisyativ MIT-Ayiti », n’ont même pas pris la peine de l’aborder. L’article de Samuel Céliné paru sur le site Ayibopost et daté du 19 septembre 2020, « Combien touchent réellement les professeurs des écoles publiques en Haïti ? », fournit d’éclairantes données sur le salaire moyen des enseignants et il mentionne la sombre réalité des grandes disparités salariales existant dans le secteur public de l’éducation. Ainsi, « Le salaire [mensuel] brut de Saint Juste Noelzil, un professeur qui travaille de 8 h à 13 h, est de 17 200 gourdes [129 $ US]. Après le prélèvement des taxes, [il lui reste]13 958 gourdes [105 $ US] ». (…) Kensone Délice est lui aussi professeur, au 3e cycle fondamental du lycée Louis Joseph Janvier à Carrefour. Son statut de professeur à temps plein l’oblige à fournir entre 18 et 24 heures de travail par semaine. Il reçoit un salaire mensuel brut de 35 000 gourdes [263 $ US], qui deviennent 28 000 gourdes [210 $ US] après le prélèvement des taxes » [taux de 133,33 Gdes = 1 $ US]. Pour mémoire, le salaire de Jean Ronald Joseph, l’actuel directeur du Fonds national de l’éducation, s’élève à 650 000 gourdes par mois (4 875 $ US mensuels)… Selon les données récemment fournies par le site Hebdo24 qui a consulté des documents internes du Fonds national de l’éducation, « (…) les dépenses salariales au sein du bureau du Monsieur Joseph totalisent 24 millions de gourdes par an pour sept personnes, tandis que son cabinet, composé de dix-sept membres, représente une dépense annuelle de 49 millions de gourdes » (voir l’article « Au Fonds national de l’éducation, l’argent se gaspille par « millions de gourdes », Hebdo24, 1er avril 2024); voir aussi notre article paru en Martinique, « La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024 », Madinin’Art, 3 mai 2024).
En lien avec les données de terrain relatives au faible taux d’accès à Internet en Haïti, il est hautement significatif de ne trouver dans l’article de l’Inisyativ MIT-Ayiti, « Ansèyman ak aprantisaj matematik vin pi fasil gras ak bourad Inisyativ MIT-Ayiti » (Nouvelliste, 16 mai 2024), aucune exploration des liens entre la « pédagogie interactive » et la didactisation du créole. Nous reviendrons plus loin sur ce point capital en examinant très brièvement, au niveau didactique, les prétentions programmatiques de l’Inisyativ MIT-Ayiti. Il est nécessaire, à cette étape du déroulé de notre analyse, de préciser que la dimension centrale de la didactisation du créole est totalement absente de la vision et des préoccupations « pédagogiques » de l’Inisyativ MIT-Ayiti (sur la problématique de la didactisation du créole, voir le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti », par Robert Berrouët-Oriol et alii, Éditions Zémès, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, Montréal, 382 pages, 2021). L’article « Ansèyman ak aprantisaj matematik vin pi fasil gras ak bourad Inisyativ MIT-Ayiti », loin de toute approche de la didactisation du créole, énumère en ensemble d’initiatives purement « techniques » traitant notamment de la traduction en créole du matériel d’une firme spécialisée dans la production d’outils de formation à distance du type « Massive Open Online Course (MOOC) » inaccessibles à l’immense majorité des enseignants haïtiens. De surcroît, l’article « Ansèyman ak aprantisaj matematik vin pi fasil gras ak bourad Inisyativ MIT-Ayiti » révèle qu’en 2017 les responsables de l’Inisyativ MIT-Ayiti ont rencontré le directeur de la firme MITx Online qui leur a adressé une demande précise : « Mesye Chang te mande MIT-Ayiti nan ki fason Inisyativ la te ka kontribye pou tradui an kreyòl plizyè resous ki disponib sou platfòm MITx Online la. Direktè a te montre anpil enterè pou tout materyèl sa yo vin disponib nan lòt lang tou, tankou kreyòl. Se depi lè sa a MIT-Ayiti tanmen feraye nan tradiksyon materyèl MITx pou ansèyman matematik an kreyòl » (le souligné en italiques et gras est de RBO). Loin d’être anecdotique, cet énoncé est hautement révélateur et significatif de la vision ayant présidé à l’élaboration du projet « pédagogique » de l’Inisyativ MIT-Ayiti de mettre sur pied une « pédagogie interactive » basée sur l’emploi du créole langue maternelle : un projet d’une telle ampleur n’a pas été élaboré en réponse aux besoins formulés par les enseignants haïtiens ou par le ministère de l’Éducation nationale : il répond aux préoccupations techniques –et sans doute financières–, d’une grande firme américaine, la « MITx Online [ki] se yon platfòm lajman laj sou entènèt pou fòmasyon a distans ».
Sur un registre apparenté, l’article « Ansèyman ak aprantisaj matematik vin pi fasil gras ak bourad Inisyativ MIT-Ayiti » est particulièrement instructif de la vision archaïque et pré-scientifique de la traduction créole véhiculée par l’Inisyativ MIT-Ayiti : la traduction vers le créole n’est pas instituée au titre d’une activité scientifique et professionnelle soumise à sa méthodologie et au protocole de rédaction scientifique et technique créole et encore moins dans ses liens complémentaires avec la lexicographie créole. Ainsi, « Inisyativ la te chwazi yon kou sou kalkil ki rele 18.01x Calculus. Direktè MITx Online la te pataje ak MIT-Ayiti yon platfòm ki rele Transifex ki fasilite tradiksyon nan divès lang. MIT-Ayiti te chache yon moun ki te ka tradui materyèl matematik sa yo an kreyòl ak sipò finansye MITx Online [NOTE : le montant de ce support financier n’est pas révélé…] Enjenyè Charlot de Gracia se youn nan moun ki te patisipe nan tradiksyon resous sa yo. Paul Belony, pwofesè fizik nan Kean University, te sipèvize kèk aspè nan tradiksyon yo. Tradiksyon sa yo fèt nan yon fason pou rann tèks kreyòl yo aksesib pou tout moun k ap aprann matematik — egal : nan yon nivo lang ki senp e enteresan. Nan vèsyon orijinal ki ann angle a, pwofesè a te bay esplikasyon l yo nan yon nivo lang ki fasil pou etidyan yo konprann. Chwa lengwistik sa a se yon diferans ki enpòtan pa rapò ak pedagoji tradisyonèl an franse kote nivo lang lan pi fòmèl pase nivo lang angle nan kad ansèyman. Kidonk, nou te deside fè jefò sa a pou nivo lang nan tradiksyon kreyòl la fasilite konpreyansyon tèks an kreyòl ki parèt pi enfòmèl pase manyèl matematik nan tradisyon frankofòn lan ». Cette séquence de l’article illustre fort bien le constat qu’à l’Inisyativ MIT-Ayiti la traduction créole est instituée au titre d’une activité sans lien avec la méthodologie de la traduction scientifique et technique, au creux d’un amateurisme décomplexé qui tend à se donner des allures « scientifiques » avec la complaisante bénédiction et sous l’étiquette « prestigieuse » du Département de linguistique du Massachusetts Institute of Technology.
En effet il ne suffit pas de « déclarer » à tout-va que l’on promeut une « pédagogie interactive » –notion également désignée par le vocable « aprantisaj aktif » dans le vocabulaire promotionnel du MIT Haiti Initiative–, basée sur l’emploi du créole langue maternelle pour que cette « inédite » posture déclarative, même enrobée d’un vernis de scientificité, se traduise en une véritable activité scientifique identifiable, mesurable et fondée au plan méthodologique comme à celui de ses objectifs. Il faut prendre toute la mesure que l’Inisyativ MIT-Ayiti est dépourvue de la moindre compétence avérée en traduction scientifique et technique créole comme d’ailleurs en lexicographie créole. Cela explique pour l’essentiel le caractère fantaisiste et préscientifique de la vision de l’activité traductionnelle véhiculée par l’Inisyativ MIT-Ayiti : loin de la méthodologie de la traduction scientifique et technique créole, elle expose ingénument et assène un pseudo « cadre méthodologique » qui se résume à cette extraordinaire doxa inconnue de la traduction professionnelle : « Tradiksyon sa yo fèt nan yon fason pou rann tèks kreyòl yo aksesib pou tout moun k ap aprann matematik — egal : nan yon nivo lang ki senp e enteresan »… En quoi les traductions créoles –conduites par des personnes n’ayant aucune qualification avérée en traduction scientifique et technique créole–, sont-elles « aksesib pou tout moun k ap aprann matematik » ? Quels sont les critères linguistiques, traductionnels et didactiques qui définissent et permettent de mesurer la présumée « accessibilité » des textes créoles traduits par des non professionnels de la traduction créole ? Également, quels sont les critères linguistiques, traductionnels et didactiques qui définissent et permettent de mesurer le présumé « nivo lang ki senp e enteresan » ? Quel est donc ce présumé « niveau de langue » et en quoi est-il « senp e enteresan » ? Cette fantaisiste et pré-scientifique vision de la traduction scientifique et technique créole est aventureusement étiquetée « chwa lengwistik » par l’Inisyativ MIT-Ayiti sans que les critères scientifiques de ces présumés « choix linguistiques » ne soient explicités. Nous sommes ici en présence d’une supercherie sinon d’une manipulation conceptuelle d’autant plus évidente que l’Inisyativ MIT-Ayiti assène doctement que « Chwa lengwistik sa a se yon diferans ki enpòtan pa rapò ak pedagoji tradisyonèl an franse kote nivo lang lan pi fòmèl pase nivo lang angle nan kad ansèyman »… Nulle part sur le site officiel du MIT Haiti Initiative nous n’avons trouvé trace d’un énoncé méthodologique attestant et éclairant ce présumé « chwa lengwistik » qui aurait été établi « par rapport à la pédagogie traditionnelle en français ».
Il ressort de l’éclairage des différents volets que nous venons d’exposer que l’article « Ansèyman ak aprantisaj matematik vin pi fasil gras ak bourad Inisyativ MIT-Ayiti » ne fournit aucune approche crédible capable d’emporter l’adhésion des professeurs devant enseigner les mathématiques en créole. Plus largement, les enseignants de créole et les didacticiens du créole ne peuvent en aucun cas trouver dans l’approche de l’Inisyativ MIT-Ayiti un cadre méthodologique de référence crédible et utile à la transmission des savoirs et des connaissances en créole dans l’École haïtienne. La notion de « pédagogie interactive » –également désignée par le vocable « aprantisaj aktif » dans le vocabulaire promotionnel du MIT Haiti Initiative–, basée sur l’emploi de la langue maternelle créole, n’a pas été élaborée dans l’article « Ansèyman ak aprantisaj matematik vin pi fasil gras ak bourad Inisyativ MIT-Ayiti » (Le Nouvelliste, 16 mai 2024). En lieu et place de l’exposé des fondements théoriques du couple bipolaire « pédagogie interactive »/« aprantisaj aktif » et sans faire la démonstration de son éventuel « opérationnabilité », le MIT Haiti Initiative s’est contenté d’indiquer que « Soti 2012 rive 2016, Inisyativ MIT-Ayiti òganize plizyè atelye pou anseyan ann Ayiti epi, ann oktòb 2015, nou te envite kèk nan anseyan ki te patisipe nan atelye sa yo vwayaje Etazini pou yo aprann pi plis sou fason yo ka kreye zouti pou ansèyman syans ak matematik an kreyòl. Anpil nan materyèl ki te pwodui nan kad atelye sa yo disponib sou sit sa a : http://haiti.mit.edu ». Lorsque l’on clique sur cette adresse, l’on aboutit au site officiel du MIT Haiti Initiative qui comprend plusieurs rubriques, notamment la rubrique « Ressources ». PRINCIPALEMENT RÉDIGÉ EN LANGUE ANGLAISE –le MIT Haiti Initiative ne mentionne pas, dans la présentation générale consignée à la rubrique « Mission », les aticles 5, 32 et 40 de la Constitution haïtienne de 1987–, le site comprend toutefois de l’information rédigée en créole. Exemple 1 : la rubrique «Chache resous » ou encore l’annonce d’une « Leson optik Pwòf Abd Augustin sou Platfòm MIT-Ayiti ». Datée du 20 avril 2020, cette « leson optik » s’étend sur 7 pages et elle est rédigée en créole. Exemple 2 : « Fwi ak legim – Plan leson ak egzèsis », un document de 11 pages rédigé en créole. Toutefois, au creux d’une longue recherche sur le site officiel du MIT Haiti Initiative, nous n’avons pas trouvé une présentation méthodique du couple bipolaire « pédagogie interactive »/« aprantisaj aktif » : ces notions, qui semblent pourtant occuper une place centrale dans l’approche pédagogique du MIT Haiti Initiative « nan kreyasyon yon lekòl tèt an wo » , ne sont nulle part définies ni mises en perspective. L’inexistence d’une présentation explicitant les fondements théoriques du couple bipolaire « pédagogie interactive »/« aprantisaj aktif » dans la vision du MIT Haiti Initiative accrédite l’idée qu’il s’agit là d’un slogan publicitaire plutôt que d’un dispositif conceptuel devant éclairer et guider ses interventions… Ainsi, sur le site officiel du MIT Haiti Initiative, nous n’avons trouvé nulle trace de l’« opérationnabilité » du couple bipolaire « pédagogie interactive »/« aprantisaj aktif », ce qui porte à poser le constat de son inexistence de fait dans les interventions pédagogiques mentionnées sur ce site. Ce volet est de toute première importance : alors même que le MIT Haiti Initiative soutient que « Soti 2012 rive 2016, Inisyativ MIT-Ayiti òganize plizyè atelye pou anseyan ann Ayiti epi », à aucun moment il ne présente sur son site officiel le moindre bilan analytique attestant qu’il aurait (1) procédé à une enquête de terrain auprès d’un échantillon représentatif d’enseignants ciblant (2) la problématique de la « pédagogie interactive »/« aprantisaj aktif » et (3) attestant l’éventuelle adhésion de ces enseignants à sa démarche qui serait basée sur l’emploi du créole langue maternelle. Ce constat est fort révélateur des errements scientifiques de l’Inisyativ MIT-Ayiti qui revendique un discours et des pratiques scientifiques mais qui en fait peu de cas sur plusieurs registres, notamment dans le domaine de la lexicographie créole. Et comme nous le verrons dans le déroulé du présent article au chapitre de l’évaluation de son « Glossary », les critères de scientificité du MIT Haiti Initiative semblent être à géométrie variable selon qu’il s’adresse en créole, par la voix de ses « grenadye/grenadyèz », à des interlocuteurs haïtiens ou en anglais à des institutions américaines en vue de l’obtention de financements divers…
Un lourd tribut à l’amateurisme pré-scientifique dans les « Documents scientifiques créoles » du MIT Haiti Initiative
Dans l’article « L’aménagement et la didactique du créole dans les « Documents scientifiques créoles » du MIT Haiti Initiative » (Le National, Port-au-Prince, 18 avril 2023), nous avons procédé à une première exploration de l’approche didactique et traductionnelle des « Documents scientifiques créoles » du MIT Haiti Initiative. En effet dans ce texte nous avons précisé que la direction du MIT – Haiti Initiative, dans un document daté du 1er décembre 2021 conservé dans nos archives, prétend que « Nou gen yon ekip solid ki maton nan pwodiksyon dokiman syantifik an kreyòl ». Pareille « profession de foi » ne résiste pas à la réalité des faits observables : nous venons d’exposer les caractéristiques institutionnelles de la traduction « créole » à l’Inisyativ MIT-Ayiti et rappelé que cette institution est dépourvue de la moindre compétence avérée en traduction scientifique et technique créole comme d’ailleurs en lexicographie créole. À la rubrique « Ressources », le site du MIT Haiti Initiative énumère 4 documents-guides, des « dokiman syantifik an kreyòl » également présentés comme des « fiches de travail » : « GeoGebra in kreyòl », « Mathlets in Kreyòl », « PhETs in Kreyòl » et « Star in Kreyòl ». La présentation générale de ces « dokiman syantifik an kreyòl » ne permet pas de confirmer hors de tout doute qu’ils ont été produits et/ou encadrés par des didacticiens du créole ou par des traducteurs scientifiques vers le créole ayant auparavant élaboré du matériel pédagogique ou didactique en créole. La présentation générale de ces « dokiman syantifik an kreyòl » ne permet pas non plus de savoir s’ils ont été validés, à toutes les étapes de leur fabrication, par des enseignants créolophones et, en particulier, par des didacticiens du créole. Il faut prendre toute la mesure que la « profession de foi » selon laquelle « Nou gen yon ekip solid ki maton nan pwodiksyon dokiman syantifik an kreyòl » ne constitue en rien un critère méthodologique de crédibilité et de qualité des documents étiquetés « scientifiques », et ce n’est certainement pas leur appellation « GeoGebra in kreyòl », « Mathlets in Kreyòl », « PhETs in Kreyòl » et « Star in Kreyòl » qui en font des documents de référence crédibles, au plan scientifique, dans ces différentes disciplines. Et dans l’hypothèse où ces présumés « dokiman syantifik an kreyòl » auraient été élaborés dans un contexte similaire à celui évoqué plus haut –celui de la « platfòm MITx Online », celui de son apport financier (« Se depi lè sa a MIT-Ayiti tanmen feraye nan tradiksyon materyèl MITx pou ansèyman matematik an kreyòl »)–, nous sommes en présence d’un dispositif où se télescopent de lourdes questions éthiques… Nous sommes une fois de plus en présence d’une activité qui n’a pas été sollicitée par les enseignants de créole et les didacticiens du créole et qui n’a été ni conceptualisée ni mise en route en réponse à des besoins formulés par les enseignants de créole et les didacticiens du créole. Ce constat éclaire en grande partie les liens politiques troubles établis entre l’Inisyativ MIT-Ayiti et le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste (nous reviendrons plus loin sur ce point).
Bref aperçu du « Mathlets in Kreyòl » sur le site du MIT Haiti Initiative
Sur le site du MIT Haiti Initiative, lorsque l’on clique sur la rubrique « Ressources », l’on aboutit entre autres à « Mathlets in Kreyòl » ainsi présenté :
« Enhance selected university level STEM classes.
Here you will find a suite of dynamic Javascript “Mathlets” in Kreyòl, for use in learning about differential equations and other mathematical subjects, along with examples of how to use them in homework, group work, or lecture demonstration, and some of the underlying theory. There are also voice-over animated demos. »
[Traduction de RBO] / « Mathlets en kreyòl — Améliorez certains cours de STEM au niveau universitaire. Vous trouverez ici une série de « Mathlets » Javascript dynamiques en kreyòl, à utiliser pour l’apprentissage des équations différentielles et d’autres sujets mathématiques, ainsi que des exemples d’utilisation dans le cadre de devoirs, de travaux de groupe ou de démonstrations de cours, et une partie de la théorie sous-jacente. Il existe également des démonstrations animées en voix off ».
OBSERVATION MÉTHODOLOGIQUE MAJEURE / Lors de la rédaction de l’article « L’aménagement et la didactique du créole dans les « Documents scientifiques créoles » du MIT Haiti Initiative » (Le National, Port-au-Prince, 18 avril 2023), nous n’avons retracé sur le site du MIT Haiti Initiative aucune présentation EN CRÉOLE du « Mathlets in Kreyòl ». Lorsque l’on clique sur la mention « download all Mathlets in Kreyòl », l’on aboutit à l’énoncé « Mathlets kreyòl zip » qui énumère ceci : APWOKSIMASYON SEKANT + èd, BATMAN + èd, DISTRIBISYON BÈTA + èd, SIBL SOLISYON YO + èd, DISTRIBISYON T + èd, VEKTÈ MATRIS + èd, KREYE DERIVE A + èd, KOYEFISYAN FOURIER + èd, POLINÒM TAYLOR + èd, ESPONANSYÈL KONPLÈKS + èd, CHAN VEKTORYÈL + èd, IZOKLIN + èd, PÒTRÈ FAZ LINEYÈ : ANTRE KLIKÈ + èd, KARAKTERISTIK GRAF YO + èd, PWOGRAMASYON LINEYÈ + èd, GRAF FONKSYON RASYONÈL + èd, TRAJEKTWA BALISTIK + èd ». La mention « + èd » qui figure à la suite de ces énoncés ne mène pas à une rubrique du type « Aide » ou « Explication de la notion ». Ces énoncés conduisent à de magnifiques illustrations sur fond bleu et à ce niveau, les notions, identifiées uniquement en anglais, sont toutes définies en anglais : nous n’avons pas retracé de définitions notionnelles en créole. Toutefois, et comme il est attesté à la rubrique « Resous » ou encore à l’annonce d’une « Leson optik Pwòf Abd Augustin sou Platfòm MIT-Ayiti », l’usager aboutit à des documents rédigés en créole –mais la consultation de ces documents n’éclaire en rien la présumée mise en œuvre du couple bipolaire « pédagogie interactive »/« aprantisaj aktif » dans ce que le MIT Haiti Initiative considère être des acticités de terrain attestant la présumée « fondasyon pedagoji entèraktif ak lang matènèl kòm zouti ki djanm pou ansèyman ak aprantisaj »…
Voici deux exemples de notions définies uniquement en anglais :
Damped Vibrations
The decay from initial condition to equilibrium of an unforced second order system can be understood using the roots of the characteristic polynomial and the phase diagram.
Amplitude and Phase Second Order I
A spring drives sinusoidally a spring/dashpot/mass system. The predictable amplitude and phase lag of the sinusoidal system response can be understood using Bode and Nyquist plots.
L’observation attentive de la rubrique « Ressources » sur le site du MIT Haiti Initiative est fort instructive. Elle exemplifie la réalité qu’il n’existe aucun guide méthodologique, aucun énoncé d’orientation didactique et pédagogique, aucune référence documentaire RÉDIGÉS EN CRÉOLE dans le « Mathlets in Kreyòl ». L’énoncé selon lequel « Mathlets en kreyòl » est également un outil de création de fiches de travail interactives pour les enseignants » est donc fort douteux. De surcroît, dans le « Mathlets in Kreyòl » présenté comme un « dokiman syantifik AN KREYÒL », nous n’avons retracé aucun des pseudos équivalents « créoles » bricolés dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » et par lesquels le MIT Haiti Initiative prétend pourtant « [enrichir] la langue d’un nouveau vocabulaire scientifique qui peut servir de ressource indispensable aux enseignants et aux étudiants » tout en contribuant au « développement lexical de la langue » créole ».
Quels enseignements tirer du constat que nos interlocuteurs –enseignants de différentes matières, enseignants de créole et didacticiens du créole oeuvrant en Haïti et auxquels nous avons soumis les « dokiman syantifik an kreyòl » du MIT Haiti Initiative–, n’ont pas une seule fois retracé ces documents dans les écoles haïtiennes… ? Avant de répondre à cette question de premier plan en revisitant la production « lexicographique » du MIT Haiti Initiative –très précisément son « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative »–, il y a lieu de mentionner qu’à notre connaissance aucune association professionnelle d’enseignants haïtiens n’a recommandé l’usage du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » en salle de classe alors même que le Biwo kominikasyon MIT-Ayiti soutient aventureusement que « Depi lè Inisyativ MIT-Ayiti kòmanse feraye nan lane 2010, objektif li se kore mouvman pou amelyore kalite edikasyon ann Ayiti sou fondasyon pedagoji entèraktif ak lang matènèl kòm zouti ki djanm pou ansèyman ak aprantisaj » (le souligné en italiques et gras est de RBO).
Avant de rédiger le présent article, nous avons une fois de plus interrogé des enseignants oeuvrant en Haïti, aussi bien à Port-au-Prince qu’en province. Ils sont unanimes : aucun d’entre eux, de 2015 à 2024, n’a recommandé ou utilisé le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » en salle de classe. Ce « produit phare » de l’Inisyativ MIT-Ayiti leur est tout à fait inconnu… Selon les professeurs avec lesquels nous échangeons depuis plusieurs années, aucune association professionnelle d’enseignants haïtiens, de 2015 à 2024, n’a publié un document d’orientation préconisant l’utilisation du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » au titre d’un outil crédible d’aide à l’apprentissage scolaire en salle de classe… À la question de savoir si les rédacteurs de manuels scolaires créoles, en Haïti, utilisent le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », nos interlocuteurs ont tous répondu « non »… Il y a donc lieu, sur le registre de l’emploi du créole dans l’enseignement des mathématiques, d’interroger la « publicité » du Biwo kominikasyon MIT-Ayiti dans Le Nouvelliste au creux de l’article « Ansèyman ak aprantisaj matematik vin pi fasil gras ak bourad Inisyativ MIT-Ayiti ». Au chapitre des données observables, il est significatif de constater que dans l’article « Ansèyman ak aprantisaj matematik vin pi fasil gras ak bourad Inisyativ MIT-Ayiti » du Biwo kominikasyon MIT-Ayiti, l’on ne trouve aucune donnée statistique vérifiable attestant : (1) que l’approche pédagogique qu’il promeut aurait été adoptée et mise en œuvre dans les écoles haïtiennes ; (2) que l’unique outil lexicographique du MIT Haiti Initiative, le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », aurait été utilisé en salle de classe dans les écoles haïtiennes pour l’apprentissage en créole des sciences et des mathématiques de 2015 à 2024 ; (3) que le ministère de l’Éducation nationale, de 2015 à 2024, aurait publié un document officiel dans lequel il aurait recommandé l’usage de l’approche pédagogique et celle du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » dans les écoles du pays; (4) que le ministère de l’Éducation nationale aurait publié un document officiel dans lequel il aurait recommandé aux rédacteurs et éditeurs de manuels scolaires créoles d’utiliser l’approche pédagogique du MIT Haiti Initiative et celle du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » dans l’élaboration du LIV INIK AN KREYÒL. Le LIV INIK AN KREYÒL a été qualifié de « véritable révolution sur le chemin de l’équité et de l’inclusion en Haïti » par le ministre de facto de l’Éducation nationale Nesmy Manigat et il a été publiquement soutenu –pour des motifs d’accointance politique avec le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste–, par la direction de l’Inisyativ MIT-Ayiti en dehors de la moindre évaluation didactique et lexicographique. La saga du LIV INIK AN KREYÒL se décline en sept versions différentes élaborées par sept différents éditeurs de manuels scolaires (voir entre autres notre article « Le LIV INIK AN KREYÒL et la problématique des outils didactiques en langue créole dans l’École haïtienne » (revue et site Éducation en marche, Port-au-Prince, 1er novembre 2023). L’on a bien noté qu’en dépit des liens politiques existant entre l’Inisyativ MIT-Ayiti et le PHTK néo-macoute à travers son appui public au PSUGO de Martelly/Lamothe, le ministère de l’Éducation nationale n’a pas fait appel à la présumée « expertise » didactique et lexicographique de l’Inisyativ MIT-Ayiti dans l’élaboration du LIV INIK AN KREYÒL.
NOTE 1 — Sur la vaste escroquerie du PSUGO mis sur pied par les grands caïds néo-duvaliéristes Martelly/Lamothe, voir les articles fort bien documentés « Le Psugo, une menace à l’enseignement en Haïti ? (parties I, II et III) – Un processus d’affaiblissement du système éducatif », Ayiti kale je (Akj), AlterPresse, 16 juillet 2014 ; voir aussi sur le même site, « Le PSUGO, une catastrophe programmée » (parties I à IV), 4 août 2016 ; voir également l’ample étude « Le Psugo, une des plus grandes arnaques de l’histoire de l’éducation en Haïti », par Charles Tardieu, Port-au-Prince, 30 juin 2016 ; voir aussi notre article « Le système éducatif haïtien à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO », Le National, Port-au-Prince, 24 mars 2022.
NOTE 2 – Le PSUGO des caïds mafieux Martelly/Lamothe a été publiquement et aveuglément soutenu par le linguiste Michel Degraff, directeur de l’Inisyativ MIT-Ayiti, dans la Revue transatlantique d’études suisses, 6/7, 2016/17 : « La langue maternelle comme fondement du savoir : l’initiative MIT-Haïti : vers une éducation en créole efficace et inclusive ». Dans cet article, Michel DeGraff prétend frauduleusement qu’« Il existe déjà de louables efforts pour améliorer la situation en Haïti, où une éducation de qualité a traditionnellement été réservée au petit nombre. Un exemple récent est le Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO) lancé par le gouvernement haïtien en 2011 dans le but de garantir à tous les enfants une scolarité libre et obligatoire ». Et dans une vidéo mise en ligne sur YouTube au cours du mois de juin 2014, Michel Degraff soutient, sans révéler ses sources ni fournir de preuve irréfutable, que 88 % des enfants vont à l’école grâce au PSUGO : « Gras a program Psugo a 88 pousan timoun ale lekòl »… Les lecteurs du présent article peuvent en tout temps, à l’aide des références que nous venons de citer, vérifier la véracité de l’appui public de Michel Degraff au PHTK néo-macoute à travers sa propagande en faveur du PSUGO de Martelly/Lamothe. L’on a bien noté qu’il n’est pas fortuit que l’« aura» du Département de linguistique du MIT soit instrumentalisée sur le mode d’un faire-valoir, celui inscrit dans l’appellation même du projet mis sur pied par Michel Degraff : la mention du prestigieux Massachusetts Institute of Technology dans l’intitulé MIT Haiti Initiative…
Sur le registre du soutien public au PHTK néo-macoute, il y a lieu de rappeler la décision gouvernementale stipulant qu’« À partir de l’année académique 2022-2023, l’État haïtien ne financera pas, ni ne supportera aucun matériel didactique [en] langue française qui doit servir dans l’apprentissage des élèves des quatre premières années du Fondamental » (voir l’article « Suspension du financement des matériels didactiques en langue française pour les 4 premières années du cycle fondamental en Haïti », AlterPresse, 22 février 2022). Précédant toute évaluation de cette mesure gouvernementale par les enseignants, les directeurs d’écoles, les rédacteurs et éditeurs de manuels scolaires, Michel DeGraff s’est empressé de saluer « une journée historique » dans l’histoire du pays : « Vreman vre, jounen 22/2/2022 sa a se te yon jounen istorik nan istwa peyi nou e nan istwa mouvman kreyòl la » (cf. courriel de Michel DeGraff daté du 27 février 2022 intitulé « Liv ki ekri oubyen tradwi nan kreyòl »). Cet appui public et empressé à une mesure gouvernementale, dont la justification et l’efficience n’ont toujours pas été démontrées, obéit à la logique du donnant-donnant, la logique selon laquelle le soutien public aux politiques du PHTK dans le secteur de l’éducation ouvrirait la porte à l’implantation sur le territoire national des activités de l’Inisyativ MIT-Ayiti. Cela explique le fait que –comme pour la promotion du PSUGO–, pareil soutien politique est constant et permanent : le MIT Haiti Initiative étant dépourvu depuis sa création de la moindre crédibilité avérée parmi les enseignants et leurs associations en Haïti, il doit disposer d’une sorte de « partenariat » stratégique avec le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste dans l’optique de son implantation en Haïti (voir notre article « « Financement des manuels scolaires en créole en Haïti : confusion et démagogie au plus haut niveau de l’État », Fondas kreyòl, 15 mars 2022).
Le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative
En amont de la rédaction du présent article, il est utile de rappeler au lecteur que ces dernières années nous avons publié, en Haïti et en outre-mer, une trentaine d’articles traitant de divers aspects de la lexicographie créole. Ces textes sont tous accessibles sur le Web ; en voici une liste indicative : (1) « Konprann sa leksikografi kreyòl la ye, kote l sòti, kote l prale, ki misyon li dwe akonpli », Fondas kreyòl, Martinique, 5 avril 2024 ; (2) « Prolégomènes à l’élaboration de la Base de données lexicographiques du créole haïtien », Rezonòdwès, États-Unis, 16 avril 2024 ; (3) « La lexicographie créole en Haïti : retour-synthèse sur ses origines historiques, sa méthodologie et ses défis contemporains », Rezonòdwès, 11 décembre 2023 ; (4) « La « lexicographie borlette » du MIT Haiti Initiative n’a jamais pu s’implanter en Haïti dans l’enseignement en créole des sciences et des techniques », Rezonòdwès, 4 juillet 2023 ; (5) « Plaidoyer pour une lexicographie créole de haute qualité scientifique, citoyenne et rassembleuse », AlterPresse, Port-au-Prince, 25 juillet 2023 ; (6) « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 », Le National, Port-au-Prince, 21 juillet 2022. Dans cet essai –le seul à avoir été élaboré pour l’ensemble de la lexicographie créole de 1958 à 2022–, nous avons répertorié 64 dictionnaires et 11 lexiques, soit un total de 75 ouvrages édités pour la plupart au format livre imprimé.
Le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » se situe-t-il dans le prolongement de la tradition et des acquis scientifiques de la lexicographie créole inaugurée en 1958 par l’éminent linguiste haïtien Pradel Pompilus ? Qu’est-ce qui caractérise le lexique anglais – « créole » de l’Inisyativ MIT-Ayiti, en particulier sur le plan de la méthodologie de la lexicographie professionnelle et quant au critère de l’exactitude de l’équivalence lexicale conjoint à celui de l’équivalence notionnelle, critère majeur placé au centre de toute rigoureuse démarche lexicographique et terminologique ?
Dans plusieurs publications antérieures et en particulier dans les articles « Les dictionnaires et lexiques créoles, des outils pédagogiques de premier plan dans l’enseignement en Haïti » (Le National, 19 août 2020) et « La « lexicographie borlette » du MIT Haiti Initiative n’a jamais pu s’implanter en Haïti dans l’enseignement en créole des sciences et des techniques » (Rezonòdwès, 4 juillet 2023), nous avons procédé à une rigoureuse évaluation lexicographique du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » selon les critères habituels de la lexicographie professionnelle.
Ces critères sont les suivants : (1) exposé du projet éditorial, public-cible visé, méthodologie d’élaboration, « Préface » ou « Guide d’utilisation ; (2) critères d’établissement du corpus de référence et sources documentaires ; (3) critères d’établissement de la nomenclature des termes retenus à l’étape du dépouillement du corpus de référence ; (4) analyse et traitement des unités lexicales de la nomenclature.
L’examen attentif du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haïti Initiative » à l’aide de ces critères lexicographiques atteste que cette production est en réalité une œuvre pré-lexicographique plutôt qu’un travail scientifique. En raison de ses lourdes lacunes conceptuelles, méthodologiques et lexicologiques, il ne répond pas aux normes de la lexicographie professionnelle et il ne peut être recommandé par les linguistes comme outil dans l’apprentissage en créole des mathématiques, des sciences et des technologies. Ce « Glossary », pour l’essentiel, est un bricolage fantaisiste de nombreux équivalents donnés pour des termes « créoles » mais qui à l’analyse sont des mots « habillés » d’une douteuse « enveloppe sonore créole » et qui sont dépourvus de rigueur d’équivalence notionnelle. La plupart du temps les équivalents « créoles » sont faux, inadéquats, erratiques, hasardeux, handicapants et non opérationnels car ils sont nombreux à ne pas respecter le système morphosyntaxique du créole. De tels équivalents « créoles » ne peuvent être compris par les locuteurs créolophones, les élèves comme les enseignants dans une salle de classe. Et dans de nombreux cas, les pseudos équivalents « créoles » ne sont pas des unités lexicales : ils sont constitués d’une « phraséologie définitoire » ou d’une « phraséologie traductionnelle » en lieu et place des unités lexicales (exemple : « analiz pou yon makonnay regresyon ». Cette lourde déficience conceptuelle et méthodologique illustre de manière irréfutable le fait que les bricoleurs du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » –dépourvus de la moindre compétence avérée en lexicographie créole et en traduction scientifique et technique créole–, se sont révélés incapables d’élaborer autre chose qu’un sous-produit fantaisiste et erratique caractéristique de la « lexicographie borlette ». Le tableau 1 en est une éclairante illustration.
TABLEAU 1/ Échantillon de pseudo équivalents « créoles » provenant du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative »
Termes anglais | Termes créoles ** |
bar graph | grafik ti baton [1,2,3] |
accumulation | antipilasyon [1,2,3] |
atomic packing | makonn atomik [1,2,3] |
air resistance | rezistans lè [1,3,4] |
air track | pis kout lè // pis ayere [1,2,3,4] |
and replica plate on | epi plak pou replik sou [1,2,3,4] |
escape velocity | vitès chape poul [1,3,4] |
multiple regression analysis | analiz pou yon makonnay regresyon |
center of mass | sant mas yo [1,2,3,4] |
checkbox | bwat tchèk [1,2,3,4] |
flux meter | flimèt [1,3,4] |
line integral | entegral sou liy [1,2,3,4] |
how many more matings would you like to perform ? | konbyen kwazman ou vle reyalize ? [1,4] |
peer instruction | enstriksyon ant kanmarad [1,3,4] |
prior (conjugate) | konpayèl o pa [1,2,3,4] |
seasaw prinsiple | prensip balanswa baskil [1,2,3,4] |
spin angular momentum | moman angilè piwèt [1,2,3,4] |
** [Remarques analytiques sur les équivalents « créoles »] : 1 = équivalent faux et/ou fantaisiste et/ou qui ne constitue pas une unité lexicale ; 2 = équivalent non conforme à la syntaxe du créole ; 3 = équivalent présentant une totale opacité sémantique ; 4 = équivalent dont la catégorie lexicale n’est pas précisée. Tel que précisé plus haut, le critère de l’exactitude de l’équivalence lexicale conjoint à celui de l’équivalence notionnelle » est un critère central de toute rigoureuse démarche lexicographique. Il est la plupart du temps absent dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » pour une évidente raison : les rédacteurs de ce lexique ne disposent d’aucune compétence universitaire et professionnelle avérée et vérifiable en lexicographie générale et encore moins en lexicographie créole, et certainement pas en rédaction scientifique et technique créole. Aucun des rédacteurs de ce « Glossary » n’a publié, au cours des trente dernières années, un quelconque texte en lien avec la lexicographie créole, et la lexicographie en tant que discipline spécifique de la linguistique appliquée n’est même pas enseignée au Département de linguistique du MIT qui pourtant abrite le MIT Haiti Initiative…
TABLEAU 2 / Échantillon comparatif de quelques termes anglais suivis d’équivalents « créoles » provenant du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » suivis des équivalents français relevés dans le Grand dictionnaire terminologique (GDT*) de l’Office québécois de la langue française
Terme anglais | Équivalents « créoles » | Termes français | Domaine d’emploi du terme |
bar graph | grafik ti baton | diagramme de barres [GDT*] | chimie, chromatographie |
air track | pis kout lè ; pis ayere | rail à coussin d’air [GDT*] | chemin de fer |
escape velocity | vitès chape poul | vitesse de libération [GDT*] | astronautique ; mécanique du vol dans l’espace |
multiple regression analysis | analiz pou yon makonnay regresyon | analyse de régression multiple [GDT*] | statistique |
Remarques analytiques / Les équivalents français relevés dans le Grand dictionnaire terminologique (*GDT) de l’Office québécois de la langue française indiquent bien que l’aire sémantique et les domaines d’emploi des termes anglais et français ne correspondent pas du tout à ceux des équivalents « créoles » bricolés par les rédacteurs du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » qui, il faut encore le rappeler, ne sont dépositaires d’aucune compétence connue en lexicographie créole. L’amateurisme qui caractérise cette production lexicographique, élaborée au « temple de la science » qu’est le prestigieux MIT, est pourvoyeur d’un lexique en très grande partie opaque et incompréhensible du locuteur créolophone. Cela s’explique principalement par l’ignorance totale des règles de base de l’équivalence notionnelle et lexicale (voir Annaïch Le Serrec et Janine Pimentel, « Équivalence en terminologie : repérage et validation en corpus parallèle et en corpus comparable » (Observatoire de linguistique sens-texte Lexterm, Université de Montréal, 2010).
Cela s’explique en très grande partie par la promotion d’un pseudo « modèle » lexicographique essentiellement rachitique et pré-scientifique, de type Wikipedia, ouvertement assumé au sein du MIT Haiti Initiative. En effet, sur le site du MIT-Haiti Initiative, le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » est présenté en ces termes : « Kreyòl-English glosses for creating and translating materials in Science, Technology, Engineering & Mathematics (STEM) fields in the MIT-Haiti Initiative » / « Glossaires kreyòl-anglais pour la création et la traduction de matériel dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM) dans le cadre de l’initiative MIT-Haïti ». En dehors du socle méthodologique de la lexicographie professionnelle, le MIT-Haiti Initiative soutient aventureusement que « (…) l’un des effets secondaires positifs des activités du MIT-Haïti (ateliers sur les STEM, production de matériel en kreyòl de haute qualité, etc.) est que nous enrichissons la langue d’un nouveau vocabulaire scientifique qui peut servir de ressource indispensable aux enseignants et aux étudiants. Ces activités contribuent au « développement lexical de la langue » créole ». [Traduction de RBO]
Il s’agit là d’une véritable « arnaque lexicographique » car aucun enseignant créolophone haïtien, aucun élève créolophone ne peut comprendre le sens nouveau attribué, dans les domaines scientifiques et techniques, aux équivalents « créoles » aussi opaques, a-sémantiques et fantaisistes que « palavire », « makonn atomik », « grafik ti baton », « entèferans fabrikatif », « an pwotonasyon », « pis kout lè », « pis ayere », « epi plak pou replik sou », « vitès chape poul », « analiz pou yon makonnay regresyon », « entegral sou liy »… Et comme nous l’avons auparavant précisé dans un autre article plus haut cité en référence, le soi-disant « nouveau vocabulaire scientifique » dont se réclame aventureusement le MIT Haiti Initiative a été bricolé en dehors de la méthodologie d’élaboration des néologismes dans le champ fortement normé de la néologie scientifique et technique. (NOTE — Sur la néologie, ses concepts et sa méthode, voir Jean-Claude Boulanger (1989), « L’évolution du concept de néologie de la linguistique aux industries de la langue », paru dans Caroline De Schaetzen, dir., « Terminologie diachronique » (colloque « Terminologie diachronique », Bruxelles, 25-26 mars 1988), Paris : Conseil international de la langue française/Ministère de la communauté française de Belgique ; voir aussi « Présentation : néologie, nouveaux modèles théoriques et NTIC », par Salah Mejri et Jean-François Sablayrolles, revue Langages 2011/3, no 183 ; voir en complément « Problématique d’une méthodologie d’identification des néologismes en terminologie », par Jean-Claude Boulanger, paru dans « Néologie et lexicologie : hommage à Louis Guilbert », coll. « Langue et langage », Paris, Librairie Larousse, 1979 ; voir enfin les « Fondements théoriques des difficultés pratiques du traitement des néologismes », par Jean-François Sablayrolles, paru dans la Revue française de linguistique appliquée 2002/1 (vol. VII).
De l’inaboutie et lacunaire réforme Bernard de 1979 au « Plan décennal d’éducation et de formation (PDEF) » de décembre 2020 jusqu’aux différentes et contradictoires « directives » de l’ex-ministre de facto de l’Éducation nationale Nesmy Manigat, la problématique de l’usage du créole langue de scolarisation demeure centrale dans le système éducatif national. Elle est centrale dans toutes ses composantes –en sociolinguistique, en didactique et en didactisation, en pédagogie, en lexicographie, alors même que plusieurs études précisent que les trois quarts des enseignants ne sont pas qualifiés et que l’offre de manuels scolaires créoles de qualité est encore insuffisante. Les réponses apportées à la problématique de l’usage du créole langue de scolarisation sont différentes et souvent erratiques, notamment parmi les « créolistes » fondamentalistes parmi le Ayatollahs du créole promoteurs d’une rageuse et conflictuelle « fatwa » contre le français, l’une des deux langues de notre patrimoine linguistique historique. L’aménagement du créole langue de scolarisation dans l’École haïtienne, aux côtés du français, exige de tenir à une claire distance critique les dérives idéologiques qui emprisonnent le créole dans l’univers de la subjectivité, des slogans et des rituels répétitifs. Le recours constant aux sciences du langage est rigoureusement garant de la nécessaire mise à distance des dérives idéologiques, et la didactisation du créole constitue l’un des axes majeurs de l’aménagement du créole. Le linguiste Renaud Govain en fait une éclairante analyse, sur le registre de la lexicographie/terminologie créole, lorsqu’il aborde l’idée plus ou moins courante de l’« indisponibilité » de nombre de concepts en créole. Il y a donc lieu de revisiter avec la meilleure attention son article intitulé « De l’expression vernaculaire à l’élaboration scientifique : le créole haïtien à l’épreuve des représentations méta-épilinguistiques » (revue Contextes et didactiques 17 | 2021). Il nous enseigne ceci : « Par ailleurs, considérant cette disponibilité croit-on lacunaire des concepts en CH [créole haïtien], l’emprunt et l’adaptation des concepts représentent un passage obligé pour l’expression de toutes les formes de réalités scientifiques dans la langue. Cette lacune tiendrait au fait que la langue n’est pas assez investie dans l’expression de ce type de réalités. Pour pallier le problème (si problème il y a) et faire exister les concepts, on pourrait recourir à trois opérations, dont les deux dernières renvoient à ce que nous appelons ici adaptation du concept :
- faire des emprunts lexicaux directs à une langue dans laquelle lesdits concepts existent. Celle-ci, ne l’oublions pas, pourrait les avoir empruntés à un moment donné à une autre langue, ou probablement au grec ou au latin ;
- créer ou inventer un concept nouveau (procédé néologique) dans la langue en vue d’exprimer la même réalité pour laquelle elle affiche une lacune conceptuelle ;
- recourir à un terme vernaculaire pour exprimer la réalité en se basant notamment sur une logique d’analogie. À force d’être employé dans le champ de l’expression scientifique, ce terme vernaculaire va finir par acquérir un statut de concept scientifique ».
En définitive, l’enseignement-apprentissage des mathématiques en créole à l’aune de la « pédagogie interactive » ou de l’« aprantisaj aktif » doit se prémunir du cul-de-sac didactique et lexicographique institué par le MIT Haiti Initiative. Cette perspective passe nécessairement par la formation universitaire et professionnelle en lexicographie générale et en lexicographie créole ainsi que par la professionnalisation du métier de traducteur et de celui de lexicographe. Il s’agit là incontestablement de l’un des défis majeurs que doit relever la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti en conformité avec sa mission statutaire.
À contre-courant de l’amateurisme pré-scientifique promu au MIT Haiti Initiative par sa vision wikipédienne d’un « modèle » lexicographique inconnu de la lexicographie professionnelle, à contre-courant de la « lexicographie borlette » qu’il a instituée dans l’élaboration de son « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », il est impératif que la réflexion la plus rigoureuse sur la production d’outils lexicographiques créoles prenne appui sur les études de premier plan du linguiste-lexicographe Albert Valdman, notamment (1) « L’évolution du lexique dans les créoles à base lexicale française » paru dans L’information grammaticale no 85, mars 2000), (2) « Vers la standardisation du créole haïtien » (Revue française de linguistique appliquée, 2005/1 (vol. X) et (3) « Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le créole haïtien ? (revue La linguistique, 2005/1 (vol. 41). Dans l’un de ses livres majeurs, « Haitian Creole. Structure, Variation, Status, Origin » (Equinox Publishing Ltd, 2015), Albert Valdman effectue une description détaillée des stratégies productives de développement du vocabulaire et traite de l’origine du lexique du créole haïtien (chapitres 5 et 6, pages 139 à 188 : « The Structure of the Haitian Creole Lexicon »). La réflexion la plus rigoureuse sur la production d’outils lexicographiques créoles devra également prendre appui sur les études amples et fort bien documentées de la linguiste Marie-Christine Hazaël-Massieux,
notamment (1) « Les corpus créoles », Revue française de linguistique appliquée 1996/2 (vol. I) ; (2) « Prolégomènes à une néologie créole », Revue française de linguistique appliquée 2002/1 (vol. VII) ; (3) « Les créoles à base française : une introduction », paru dans Travaux interdisciplinaires du Laboratoire parole et langage, vol. 21, 2002 ; (4) « De l’intérêt du Dictionnaire du créole de Marie-Galante de Maurice Barbotin », paru dans Créolica, septembre 2004 ; (5) « Théories de la genèse ou histoire des créoles : l’exemple du développement des créoles de la Caraïbe », dans La linguistique 2005/1 (vol. 41) ; (6) « Textes anciens en créole français de la Caraïbe. Histoire et analyse » (Paris, Publibook, 2008). (Oeuvre érudite, ce livre identifie (pages 471 à 480) des textes anciens en créole produits entre 1640 et 1822.) Marie-Christine Hazaël-Massieux a (7) publié « Les créoles à base lexicale française » (Paris, Ophrys, 2011). Elle est également l’auteure d’une imposante « Bibliographie des études créoles. Langues, cultures, sociétés » (Institut d’Études créoles et francophones, Université d’Aix-en-Provence, 1991). Enfin pareille réflexion devra avec profit intégrer les apports érudits du linguiste Renaul Govain, en particulier dans les études suivantes : (1) « Enseignement du créole à l’école en Haïti : entre pratiques didactiques, contextes linguistiques et réalités de terrain », in Frédéric Anciaux, Thomas Forissier et Lambert-Félix : voir Prudent (dir.), Contextualisations didactiques. Approches théoriques, Paris, L’Harmattan, 2013 ; (2) « L’état des lieux du créole dans les établissements scolaires en Haïti », revue Contextes et didactiques, 4, 2014 ; (3) « Le créole haïtien : description et analyse » (sous la direction de Renauld Govain, Paris, Éditions L’Harmattan, 2018 ; (4) « Enseignement/apprentissage formel du créole à l’école en Haïti : un parcours à construire », revue Kreolistika, mars 2021 ; (5) « Pour une didactique du créole langue maternelle », dans « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti », par Berrouët-Oriol et al., Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021.
L’enseignement-apprentissage des sciences en langue maternelle créole, selon la « pédagogie participative » ou toute autre approche pédagogique, devra être conduite avec les enseignants et prendre le chemin d’une réflexion pluridisciplinaire à la croisée de la didactique, de la lexicographie et des sciences cognitives. Pareille réflexion doit également prendre en compte les besoins formulés par les professeurs dans la perspective, incontournable, d’un enseignement de qualité en langue maternelle créole. L’observation de terrain nous indique que les enseignants sont encore largement dépourvus de matériel didactique créole de qualité dans tous les domaines du curriculum de l’École haïtienne, et ce constat demeure d’actualité en dépit des efforts appréciables consentis ces dernières années par plusieurs éditeurs de manuels scolaires (Zémès, Henri Deschamps, Pédagogie nouvelle, Canapé-Vert, Éditions Université caraïbes). L’enseignement-apprentissage des sciences en langue maternelle créole doit aussi pouvoir prendre appui sur des outils didactiques créoles de grande qualité, à savoir des lexiques et des dictionnaires créoles élaborés selon la méthodologie de la lexicographie professionnelle. Le fait qu’il n’existe pas encore un dictionnaire unilingue créole de grande qualité et qu’un dictionnaire scolaire bilingue français-créole, déjà élaboré mais pas encore édité, permet d’anticiper le long chemin à parcourir pour parvenir à instituer un enseignement de qualité en créole à tous les niveaux de l’École haïtienne (voir nos articles « Les dictionnaires et lexiques créoles, des outils pédagogiques de premier plan dans l’enseignement en Haïti » (Potomitan, 18 août 2020), et « Enseigner en langue maternelle créole les sciences et les techniques : un défi aux multiples facettes » (Potomitan, 21 juiin 2021).