Par Victor Lina
« Quelques mots écrits pour dire psy »
L’enfant comme énigme était le thème de notre propos précédant.
En considérant l’enfant comme objet d’étude, c’est un artifice qui consiste à faire de l’enfant un objet isolable voire à s’y intéresser « morceau » par « morceau », élément par élément.
C’est par exemple privilégier, l’aspect cognitif, les capacités motrices ou décrire plus largement, les conduites, leur évolution dans le temps.
Parler de l’enfant aujourd’hui implique de considérer les parents, d’évoquer une génération, un lien, voire une relation.
Dans la langue créole, ti anmay désigne de manière impersonnelle cet autre comme destinataire d’une parole. Ainsi même un familier voire un parent peut interpeller l’enfant de la façon suivante : « ti manmay, sòti anba soley la ! » ou « sòti anba soley la, tjanmay !». Bien entendu, l’enfant est aussi nommé. Il est appelé par son prénom.
Il y a une trentaine d’année, il était courant qu’il le soit par l’intermédiaire de son « nom de savanne ». Seulement, une fois arrivée à l’école, c’était son patronyme qui était utilisé prioritairement.
Habituellement, l’enfant est renommé, on lui attribue un surnom, construit à partir d’un redoublement de syllabes comme bibi, bèbè, bèbèn’, bébé, chichi, toto, mimi, yaya, momo, sisi, …etc. Ce surnom souvent formé à partir des débris phonétiques du véritable prénom de l’enfant appartient à l’intime, il a ou il est sensé avoir, une valeur affective et est parfois utilisé bien au-delà de l’enfance. Mais il peut-être renommé encore par le voisinage, il reçoit le sobriquet de ti-coq, fayo, caca-sec, boyo, wap, sonson, kèkèt, etc. On en trouvera bien d’autres dans les romans, nouvelles, et les contes de la littérature antillaise.
Dans nombre de circonstances l’enfant peut être interpelé selon une forme impersonnelle. Parmi les représentations qui le concernent, on finit par trouver un manque, un défaut, un tchak.
Il n’est pas toujours appelé comme une personne. De même quand un adulte n’est pas appelé comme une personne, il perçoit chez l’interlocuteur une intention de l’infantiliser. « Ki manniè ou ka palé ba mwen la, man pa ti an may ou ! »
Le dit-enfant est autorisé, aujourd’hui, à regarder l’adulte droit dans les yeux, il prend la parole au milieu d’adultes qui lui répondent. Certains espaces se sont décloisonnés, il y a moins d’étanchéité entre cercles d’adultes et cercles d’enfants, ce qui ne va pas sans induire quelques conséquences dont la mesure est à considérer.
Dans la langue française le mot enfant se réfère étymologiquement au terme d’infans d’origine latine qui signifie : qui ne parle pas, petit enfant…
L’absence de parole, voire de droit à la parole a été pendant longtemps et est encore dans une certaine mesure, associée à l’enfance.
L’enfant est juridiquement mineur.
L’enfant est, pour ainsi dire, le nom d’une quasi béance. Ne vient-il pas parfois combler fantasmatiquement une espèce de trou dans l’existence ?
Ces diverses remarques nous conduisent à repérer que l’enfant occupe une place à part. Enfin une place qui n’est pas fixe si on considère les espaces décloisonnés. Il est attendu à une place.
Mais comment les places sont-elles déterminées ? Il arrive que l’on rappelle à l’enfant la place que l’on souhaite qu’il occupe : Aprann rété an plas ou ! C’est une marque d’éducation. Pour lui intimer la nécessité de revenir à sa place, il peut recevoir de la part des adultes, an kout zyé, une injonction du regard quand ce n’est pas une menace ou une réelle taloche.
Cela arrive quand l’enfant a pris la parole – de nos jours, il est encouragé à s’exprimer par ses parents – et que ce faisant, il vient occuper une nouvelle place d’où il s’autorise à dire quelque chose qui relève du toupet.
« Non mais regarde- moi l’enfant ! I ka kwè koy ! »
Traditionnellement, dirons-nous, – mais de quelle tradition parlons-nous ? – l’enfant à l’instar de la femme, mais aussi de… l’esclave, est sommé d’occuper une place au sein d’une organisation sociale donnée.
Chez les Congo dans l’Afrique d’avant la traite, l’esclave est mwana gata « enfant du village », chez les Romains, il est dit puer, terme dont dérivent les mots comme puéril ou puéricultrice.
Les esclaves selon ces acceptions antiques sont des enfants, mais surtout des enfants à vie. Cependant, ils ne sont pas ne sont pas fils de leur père. Fils ou fille de qui alors ?
Victor LINA
* Le titre est de Madinin’Art