A Pointe-à-Pitre du 10 au 31 mars 2017.
— par Sarlett Jesus —
Il expose une production d’œuvres d’une grande diversité qui va de 2012 pour l’une, à 2016 et même 2017 pour beaucoup. Des acryliques de très grand format aux couleurs très vives, des collages de papiers Canson découpés, associant les trois couleurs que sont le rouge, le noir et le blanc, des dessins au feutre et crayon de couleur, des œuvres utilisant au besoin le bombage sur papier photo Ilford
Ronald Cyrille ne s’interdit aucun domaine, aucune expérimentation. Il est un créateur touche-à-tout, un enragé d’activité, un poète qui inlassablement aborde le même sujet sous des angles et éclairages différents. Celui d’un monde imaginaire peuplé d’êtres étranges. Un univers fantastique qui emprunte ses personnages et symboles aux contes de l’enfance. Un univers fantastique dans lequel le bizarre est roi. Ronald Cyrille nous transmet sa nostalgie des « verts paradis » de l’enfance.
Ses œuvres nous racontent des histoires fabuleuses renvoyant à un univers hybride qui fait exploser les frontières entre l’humain, le monde animal et le végétal. L’homme devient un lycanthrope, ou c’est le chien-loup qui est hominisé. Des branches peuvent pousser aux extrémités des cheveux. On y croise des cyclopes, des loups garous bicéphales et tout un bestiaire d’animaux volants, rampants ou nageant, abeille, rat, lézard, poisson, dont la dimension est proportionnelle aux rôles qu’ils sont appelés à jouer. Dans le creux de mains larges comme des battoirs s’imprime la représentation d’un cri, celui peut-être de la peur d’une taloche. Certains symboles, tout droit sortis du monde des rêves, se retrouvent de façon récurrente d’un tableau à l’autre : une clé, une barque, une bouée ou encore des masques…
Dans cet univers onirique, souvent nocturne, le loup garou est doté de pouvoirs surnaturels. Comme le chat d’Alice au pays des merveille, il peut apparaître et disparaître à volonté, ne laissant subsister que son seul sourire. Ou plus souvent une bouche aux dents acérées de carnassier prête à dévorer et qui peut se glisser jusque dans le tibia d’un personnage. Quand la palette du peintre quitte le monde de la nuit et celui des eaux stagnantes pour nous entraîner au grand jour, nous nous retrouvons dans des paysages étranges où les végétaux sont démesurés et où les cieux semblent bien inquiétants.
Concentrant son intérêt sur l’hybride, la métamorphose et la double nature, Ronald Cyrille compose ses tableaux sous la forme de diptyques, voire même de triptyques ou de quadriptyques. Le féminin appelle le masculin, une composition en noir peut se retourner en blanc. Mais peut aussi s’associer au rouge, comme dans ce diptyque qui accueille les visiteurs. Un diptyque hautement symbolique dans lequel le corps, est contraint à rentrer dans l’espace du cadre. Un corps souvent déformé et démembré, renvoyant à une identité qui aurait du mal à se construire.
Ronald Cyrille nous ouvre son imaginaire, un imaginaire très personnel bien que nourri des oeuvres d’autres peintres, que ceux-ci soient surréalistes ou contemporains. Un imaginaire qui garde son mystère et qui, en cela, est fondamentalement poétique. Conscient comme l’affirmait Baudelaire que « le beau est toujours bizarre », c’est-à-dire surprenant, et que l’imagination loin d’être la « folle du logis » est « la reine des facultés », il nous invite à le suivre dans un voyage vers l’inconnu et l’étrange. Afin de désamorcer nos peurs en passant « de l’autre côté du miroir ».
Scarlett Jesus, critique d’art, membre d’AICA sc, 15 mars 2017.