— Par Julien Sartre —
Sols, embouchures de rivières, plages : aux Antilles françaises, tout a été dévasté par le pesticide cancérogène utilisé pour éradiquer un ravageur qui menaçait les bananeraies. L’administration en a autorisé l’épandage, préférant la survie de l’économie de plantation à celle de la population.
Réunion, Mayotte, Guadeloupe, Martinique (France).– Parfois, la machine économique s’enraye : les chiffres et les statistiques qui forment son carburant cessent d’être ceux du « développement », du profit, de l’emploi, de la consommation, des importations, pour devenir les indicateurs froids et macabres d’une crise sanitaire. Aux Antilles françaises, la catastrophe due à l’épandage de pesticides à base de chlordécone est toujours en cours. Elle présente même parfois de troublantes similitudes avec la crise du Covid-19, qui secoue la planète entière depuis le début de l’année 2020.
« Venez vous faire dépister », « se dépister, c’est se protéger », « les tests sont gratuits pour votre tranche d’âge » : depuis février 2021, les autorités sanitaires martiniquaises ont lancé une grande campagne de prévention à propos de l’empoisonnement des terres et des sols. Les chiffres sont affolants : on estime que 92 % des Guadeloupéens et des Martiniquais sont aujourd’hui contaminés. Les deux îles françaises des Petites Antilles détiennent le record mondial de cancers de la prostate par habitant.
Plusieurs documents produits par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais aussi une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), une structure publique française, établissent clairement le lien entre exposition au chlordécone, la molécule d’un pesticide utilisé massivement dans les archipels entre 1972 et 1993, et cancer.
« Parmi les pesticides, ceux appartenant à la famille des insecticides organochlorés ont donné lieu à un grand nombre d’études mécanistiques, non seulement parce que certains ont été associés à un risque augmenté de survenue de divers cancers, dont celui de la prostate, ou classés comme agents cancérogènes par diverses institutions d’évaluation, mais aussi parce que plusieurs d’entre eux possèdent des propriétés hormonales (perturbateurs endocriniens), focalisant ainsi leur intérêt vis-à-vis des pathologies tumorales hormono-dépendantes, dont le cancer de la prostate, écrivent les scientifiques de l’Inserm dans leur rapport de 2019. En Guadeloupe et en Martinique, le taux d’incidence du cancer de la prostate (standardisé sur l’âge de la population mondiale) est respectivement de 173 et de 164 pour 100 000 personnes-années sur la période 2007-2014 (Deloumeaux et coll., 2019 ; Joachim-Contaret et coll., 2019). Ce taux d’incidence aux Antilles est près de deux fois supérieur au taux d’incidence estimé en France métropolitaine sur la même période (88,8 pour 100 000 personnes-années). » Pour les femmes, c’est le cancer du sang, la leucémie, qui affole les compteurs.
Tout le monde savait pour la dangerosité du produit depuis 1968. Les gens qui ont dit que l’eau était polluée, on leur a fait fermer leur gueule.
Élie Domota
En Martinique, comme en Guadeloupe, l’économie coloniale a…
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