« En sacralisant le prêtre, l’Église en a fait un être à part, dégenré et désexualisé », relève Josselin Tricou. Dans son livre « Des soutanes et des hommes », le sociologue analyse la masculinité atypique de ceux que l’Eglise catholique place au sommet de sa hiérarchie.
— Propos recueillis par Luc Chatel —
Entretien. Célibat perçu comme toxique, violences sexuelles tues par l’Église, condamnation de l’homosexualité, refus d’ordonner des femmes… Depuis plusieurs décennies, de nombreuses raisons sont avancées pour remettre en question la figure du prêtre, qui ne semble pas être un homme comme les autres.
Maître-assistant en sociologie des religions à l’université de Lausanne (Suisse), docteur en science politique et études de genre, Josselin Tricou est l’auteur du livre Des soutanes et des hommes. Enquête sur la masculinité des prêtres catholiques (PUF, 472 pages, 23 euros). Il analyse cette construction d’une masculinité atypique du clergé par l’Église et ses conséquences, tant d’un point de vue historique et sociologique que politique.
Comment le projet de votre thèse sur la masculinité des prêtres dans l’Église catholique, qui vient d’être publiée, est-il né ?
Comme acteur engagé, j’ai vu monter en puissance au sein du catholicisme, dès avant 2012 et les grandes mobilisations contre le « mariage pour tous », des crispations autour des questions de genre, particulièrement chez les prêtres catholiques.
Comme sociologue, une énigme m’intriguait : le fait que l’Église catholique ait mis en place un système de genre décalé par rapport à celui des sociétés qui l’englobent. En effet, ce système ne comporte pas deux mais trois genres : l’homme laïc, la femme laïque et le clerc. C’est ce que j’ai appelé dans le livre le « bougé » catholique du genre, comme on nomme un flou volontaire en photographie.
Or, ce système est paradoxal. D’une part, l’Église catholique développe un discours naturalisant et binaire, selon lequel il y aurait une nature masculine et une nature féminine, avec une différence infranchissable entre les deux, au fondement de la nécessaire complémentarité des sexes et de l’hétérosexualité obligatoire. D’autre part, elle met en place une organisation interne tout autre. En effet, la masculinité que l’Église place au sommet de sa hiérarchie de genre, celle des prêtres et des religieux, est une construction atypique : en sacralisant le prêtre, l’Église en a fait un être à part, dégenré et désexualisé.
Si la question de la masculinité dans l’Église catholique est incontournable pour en saisir la doctrine et l’organisation, vous relevez qu’elle n’a guère fait l’objet d’études approfondies d’historiens ou de sociologues du catholicisme. Pourquoi cet impensé ?
Dans nos sociétés occidentales, la masculinité a longtemps été un impensé parce qu’elle était la norme. A ce titre, elle était omniprésente, évidente. C’est ce qu’ont très bien montré les chercheuses féministes des années 1970-1980, notamment Nicole-Claude Mathieu (1937-2014). Par ailleurs, tant que les prêtres étaient pris au sérieux par la population – notamment parce qu’ils étaient apparentés à des notables –, leur masculinité atypique, dégenrée et désexualisée n’était pas soupçonnée et donc pas questionnée en tant que telle…