Le prix Nobel 2001 vient de s’éteindre. Il était vigoureusement haï dans le milieu littéraire, mais le méritait-t-il ? Réponses dans une grande enquête du « New Yorker » traduite par « BoOks ».
Prix Nobel de littérature en 2001, l’écrivain britannique V.S. Naipaul vient de mourir. A cette occasion nous republions les extraits de cette grande enquête du « New Yorker », qui avait été traduite par nos épatants confrères de « BoOks » en 2013.
Le snob public, le salaud magnifique était très en vue lorsque j’ai interviewé V.S. Naipaul en 1994, et tout se passa exactement comme je m’y attendais. Une femme au teint pâle, sa secrétaire, m’a fait entrer dans le salon de son appartement londonien. Naipaul m’a scruté, tendu la main, puis corrigé avec mépris une heure durant.
Je ne savais rien, déclara-t-il, de son lieu de naissance, l’île de Trinidad. Je possédais une sentimentalité progressiste caractéristique. C’était une société de plantation. Connaissais-je quoi que ce soit à son œuvre ? Il en doutait. Sa vie d’écrivain avait été extrêmement pénible. Mais son grand roman, «Une maison pour Monsieur Biswas», n’avait-il pas été unanimement salué à sa sortie?, risquai-je. «Prenez la liste des meilleurs livres des années 1960 établie par les lecteurs, m’a-t-il répondu. Biswas n’y figure pas.»
Sa secrétaire apporta du café et se retira. Naipaul déclara que le livre n’avait même pas été publié aux États-Unis avant les années 1970 et «les critiques furent alors atroces: illettrées, analphabètes, ignorantes». Le téléphone s’est mis à sonner, sonner interminablement. «Je suis désolé, lâcha Naipaul, exaspéré. Le service laisse à désirer ici.» C’est seulement lorsque la secrétaire me raccompagna à la porte, échangeant quelques mots dans l’entrée avec le romancier, que je compris qu’il s’agissait de sa femme.
« Être un rebelle est un idéal respectable » : grand entretien avec V. S. Naipaul
Le blesseur et le blessé
Quelques jours plus tard, mon téléphone sonna: «C’est Vidia Naipaul. Je viens de lire votre… article soigné dans le « Guardian ». Nous pourrions peut-être déjeuner? Vous connaissez la Brasserie de Bombay ? Que diriez-vous de 13 heures, demain ?» Le Naipaul qui m’emmena déjeuner ce jour-là était bien différent de l’épouvantable interviewé. Le père Fouettard s’était transformé en tonton gâteau. «C’est un buffet. N’entassez pas tout sur une seule assiette, c’est vulgaire. Prenez une petite portion. Quand vous aurez fini, ils débarrasseront.»…
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