—Par Jean-Marie Nol, économiste —
Il faut toujours en tout prendre des précautions afin d’éviter au maximum les difficultés inhérentes à l’évolution de la société antillaise. Il est en effet plus aisé d’empêcher une situation délicate ou un problème douloureux à venir, que de les résoudre. Cette évolution technologique de la société est inarrêtable, alors autant en prendre bonne note pour le proche avenir !
En clair, il vaut mieux prévenir que de ne pas pouvoir guérir !
Aujourd’hui, personne ne doute que la société antillaise est malade et que l’innovation technologique prend une place de plus en plus illimitée dans notre vie quotidienne… Les innovations technologiques modifient la régulation sociale et déstabilise le socle sociétal. Il faut donc imaginer une évolution de la gestion de notre économie, et c’est bien là la question à laquelle il falloir répondre rapidement !
La Guadeloupe, île emblématique des luttes sociales dans la Caraïbe, se trouve à un tournant crucial de son développement économique, pris en étau entre les avancées de l’intelligence artificielle et les tensions sociales découlant de changements technologiques et démographiques majeurs.
D’une part, l’intelligence artificielle (IA) représente une opportunité et d’autre part un important défi pour l’économie guadeloupéenne. Avec la digitalisation et la numérisation croissante de tous les secteurs, y compris la santé, l’éducation, le commerce et l’industrie, l’adoption des technologies numériques est inévitable pour la Guadeloupe avec tous les risques induits malheureusement pour les nouvelles générations. Cependant, cette transition vers une économie plus verte et numérisée nécessite des investissements massifs dans les technologies propres et l’efficacité énergétique, ce qui cependant n’est pas sans créer des tensions aiguës. La concurrence accrue pour les emplois disponibles, les perceptions de favoritisme, les craintes quant à l’impact sur la culture locale et la perception de colonialisme économique alimentent un climat social tendu. Mais le malaise perceptible dans les sous bassements du modèle économique et social actuel de la départementalisation singularise la sphère entourant la société antillaise, il constitue une représentation collective que la société se donne d’elle-même. Parlez à n’importe qui, dans la rue, du délitement du lien social, de l’individualisme, de la perte du vivre ensemble, etc. Les gens voient de quoi il s’agit. Le malaise actuel de la société antillaise est plus que palpable : absence de croissance, chômage, insécurité, baisse du niveau scolaire et universitaire, politiques publiques en berne ( Eau, déchets, dialogue social, etc…) frustrations politiques avec l’image négative des élus, crise identitaire de plus en plus vivace, alors désormais la peur du lendemain s’invite dans tous les foyers. L’origine de ce malaise palpable au niveau économique et social en Guadeloupe est induit par la mutation de la société et fait suite à la transformation économique et sociale avec le changement des mœurs et les nouvelles technologies pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’automatisation et la numérisation des emplois ont entraîné des pertes d’emplois dans certains secteurs comme l’agriculture,l’industrie sucrière, le tourisme,les services tels que les banques, ce qui a contribué à accroître les inégalités économiques. De plus, la digitalisation a modifié les modes de travail et les conditions de travail, ce qui pu générer des tensions sociales. Enfin, les technologies ont également eu un impact sur les relations interpersonnelles et le tissu social, créant parfois un sentiment de déconnexion et d’isolement. En somme la société antillaise a perdu son caractère ancestral de solidarité collective, et est devenue individualiste. Alors, prédire avec précision l’évolution de l’économie du pays Guadeloupe à long terme, comme jusqu’en 2030, est extrêmement complexe et soumis à de nombreuses variables. Cependant, certaines tendances et projections peuvent être identifiées pour parer aux conséquences délétères des crises à venir.
« Jou malè pa ni pran gad. »
Il n’y a pas de mise garde avant un jour de malheur.
Moralité : le malheur arrive sans prévenir
Ainsi, la Guadeloupe s’engage déjà à réduire ses émissions de gaz à effet de serre et à promouvoir les énergies renouvelables pour pallier les effets du changement climatique. Cette transition vers une économie plus verte devrait se poursuivre, avec des investissements accrus dans les technologies propres et l’efficacité énergétique. Par ailleurs la numérisation de l’économie continuera de s’accélérer, avec une augmentation de l’adoption des technologies numériques dans tous les secteurs, y compris la santé, le tourisme,l’éducation, la finance, le commerce et l’industrie. Mais dans ce contexte il convient de souligner que le vieillissement de la population et les tendances démographiques pourraient avoir un impact sur l’économie, notamment en ce qui concerne les dépenses de santé, les retraites et la demande de biens et services adaptés aux personnes âgées.
En conséquence, l’économie antillaise à l’horizon 2030 devrait être marquée par une transition vers une économie plus verte et numérisée, une forte orientation vers l’innovation et la recherche, ainsi que des efforts continus pour répondre aux défis démographiques et environnementaux. Cependant, ces projections sont sujettes à l’évolution de certains facteurs déjà en place et aussi imprévus. Ainsi, l’arrivée massive de personnes de la France hexagonale ainsi que des étrangers de la région caraïbe aux Antilles, occupant des postes stratégiques au sein des entreprises locales et des administrations publiques, ou encore dans l’agriculture et le bâtiment peut susciter des graves tensions pour plusieurs raisons, et notamment une concurrence pour les trop rares emplois dans l’économie locale. L’arrivée de travailleurs qualifiés de la France hexagonale va créer une concurrence accrue sur le marché du travail local, ce qui entraîne déjà des tensions avec les travailleurs locaux qui se sentent menacés dans leurs emplois ou qui estiment être désavantagés dans le processus de recrutement. Cet élément étant amplifié par la perceptions d’un sentiment de favoritisme. Les habitants originaires des Antilles peuvent percevoir l’arrivée des travailleurs de la France hexagonale comme une forme de favoritisme ou de népotisme, surtout si ces nouveaux arrivants occupent des postes de direction ou de responsabilité au détriment des candidats locaux. Tout cela entraîne un impact sur la culture et l’identité Antillaise que d’aucuns considèrent comme une préoccupation fondamentale car menacées dans ses fondements théoriques et pratiques. Certains habitants de plus en plus nombreux en sont déjà à craindre une dilution de leur culture et une perte de leur identité en raison de l’influence croissante des nouveaux arrivants. Nous sommes bien en présence d’un phénomène d’acmé dans la mesure où il y a une perception de colonialisme économique. Dans certains cas, à l’exemple des récentes tensions syndicales dans un hôtel de la commune de Deshais, ou encore d’un restaurant dans une zone en Martinique, l’arrivée de personnes de la France hexagonale ou de l’étranger ( suédois à l’hôtel Fort Royal maintenant Langley Resort) peut être perçue comme une forme de néo-colonialisme économique, où les intérêts et les besoins des habitants locaux sont relégués au second plan au profit des intérêts économiques et des perspectives des nouveaux arrivants. Cela semble de plus en plus susciter des tensions sociales et ethniques aux Antilles. Les tensions liées à l’arrivée de personnes de la France hexagonale ainsi que de l’étranger ( Caribéens, chinois et israélites)peuvent également avoir des implications sociales et ethniques, en exacerbant les divisions existantes au sein de la société antillaise et en alimentant les sentiments de marginalisation et de frustration parmi les populations locales. Tout cela n’est pas à négliger pour la paix sociale. En somme, l’arrivée massive de personnes n’étant pas du crû peut générer des tensions sociales, économiques et culturelles, nécessitant une gestion prudente et des politiques d’intégration et de diversité efficaces pour favoriser une cohabitation harmonieuse et respectueuse des différents acteurs de la société locale. Et pourtant, dans ce contexte, le pire n’est pas derrière nous mais devant nous et la faute en incombe aux parents en déficits d’une bonne éducation, à l’administration de l’éducation nationale et enfin à la structure déséquilibrée du modèle économique et social actuel de la Guadeloupe. Ainsi l’on peut déjà affirmer que la nouvelle économie du numérique et de l’intelligence artificielle comporte plusieurs risques avérés de déclassement social pour les travailleurs, guadeloupéens, notamment l’automatisation des emplois car l’intelligence artificielle et les technologies numériques permettent l’automatisation de nombreuses tâches, ce qui peut entraîner la disparition d’emplois traditionnels dans certains secteurs notamment les services. La transition vers une économie numérique exige des compétences spécialisées en informatique, en science des données et en technologie des algorithmes et du codage, ce qui peut rendre obsolètes les compétences traditionnelles et entraîner un déclassement pour ceux qui ne parviennent pas à se hisser au niveau et à se former aux nouvelles technologies. D’ailleurs l’on assiste présentement à une précarisation de l’emploi d’où l’exil massif des jeunes diplômés. Les plateformes numériques et l’économie des petits boulots peuvent contribuer à la précarisation de l’emploi, en fragmentant le marché du travail et en offrant des emplois peu rémunérés et sans garanties sociales. Pour autant,les inégalités s’avèrent croissantes en Guadeloupe. Les bénéfices de la nouvelle économie du numérique sont souvent concentrés entre les mains des grandes entreprises Métropolitaine et » békés » Martiniquaise, et des travailleurs hautement qualifiés, ce qui peut accroître les inégalités économiques et sociales et opérer une transformation des modèles d’affaires. La montée en puissance des entreprises numériques et des plateformes de partage peut remettre en question les modèles d’affaires traditionnels et fragiliser les entreprises locales et les travailleurs qui ne parviennent pas à s’adapter aux nouvelles réalités économiques.En réponse à ces défis, il est essentiel de mettre en place des politiques publiques visant à promouvoir l’employabilité prioritaire du personnel local, l’éducation et la formation tout au long de la vie, à garantir la protection sociale des travailleurs et à encourager l’innovation et la création d’emplois dans les secteurs émergents de l’économie numérique. De plus, il faudrait absolument mettre l’accent sur une nouvelle approche de l’enseignement scolaire et de la formation continue en Guadeloupe et Martinique.
En ce sens la toute première classe flexible qui a été inauguré au lycée Schœlcher à Fort-de-France est une très bonne initiative. Le concept créé en Amérique du Nord vise à rendre la salle de classe plus accueillante et plus confortable dans le but d’un apprentissage plus efficace. L’espace de la salle flexible est pensé, organisé et aménagé de manière spécifique afin de répondre aux besoins physiologiques et cognitifs des élèves. Mais attention aux effets pervers en cours lors d’une expérimentation de l’enseignement scolaire considéré comme innovante. C’est dans cet ordre d’idée qu’une enseignante, madame Ophélie Roque lance une sérieuse mise en garde dans une tribune de presse dont nous répercutons ici quelques extraits : » Où commence et où s’arrête l’acte de création ? Qu’est-ce qui relève de la modernité et qu’est-ce qui relève de l’artifice ? La même histoire du syndrome de la grenouille qui revient en boucle.
Pour l’enseignant, l’un des dangers des IA est de saper les fondements qui servent à l’élaboration d’une pensée complexe. Les élèves de lycée peinent de plus en plus à élaborer un commentaire structuré. La certitude de disposer, un jour ou l’autre, de l’intelligence artificielle dans son quotidien n’incite pas aux efforts itératifs de l’apprentissage. Et à force de déléguer ses problèmes aux IA, on en vient à barboter dans le chaos informel d’une pensée jamais démêlée.
Le vrai miracle de ChatGPT, c’est d’avoir ringardisé l’enseignant sans rien proposer en guise de remplacement.La fraude, autrefois marginale, devient monnaie courante, défiant les frontières entre l’authentique et le faux. Si en philosophie l’enseignant peut encore distinguer l’humain de l’artificiel, en mathématiques ou en sciences, la tâche se complexifie. L’élève contemporain, maître de l’art du plagiat technologique, peine à distinguer sa pensée propre de celle engendrée par les IA.
Ce phénomène bouleverse les fondements de l’éducation, mettant en péril la transmission du savoir et la capacité des élèves à élaborer une pensée structurée.
Face à cette révolution silencieuse, l’Éducation nationale reste étrangement silencieuse. Aucune directive n’est donnée pour accompagner cette transition majeure, laissant les enseignants seuls face à cette vague technologique. Certains résistent, mais nombreux sont ceux qui, lassés, abandonnent les devoirs à domicile. Dans ce conflit entre l’humain et la machine, l’enseignant se retrouve dépassé, tiraillé entre son rôle de guide et la réalité de cette nouvelle ère où l’IA s’impose progressivement. » Fin de citation….
C’est là un avertissement à prendre très au sérieux pour l’avenir.
Face à ces défis, la Guadeloupe doit naviguer avec prudence pour assurer une transition économique réussie tout en préservant son identité culturelle, en renforçant considérablement son socle éducatif,et en atténuant les tensions sociales par l’adoption d’un nouveau modèle économique et social.
Des politiques d’intégration et de diversité efficaces, combinées à des initiatives visant à promouvoir l’innovation et la formation professionnelle, pourraient contribuer à forger un avenir plus harmonieux pour tous les acteurs économiques et sociaux de la société guadeloupéenne.
Anlè kouri gouti, ou ké vwè fôs a chyen
(C’est lors de la chasse et quand l’agouti cours, que l’on voit la force du chien.)
Moralité : C’est au pied du mur qu’on voit le maçon !
Jean-Marie Nol, économiste