— Par Pierre Ivorra —
« Vers une économie «humaine« ? Desroche, Lebret, Lefebvre, Mounier, Perroux au prisme de notre temps, sous la direction de Laurent Loty, Jean-Louis Perrault et Ràmon Tortajada. Éditions Hermann, 616 pages, 34 euros. L’ouvrage collectif entend révéler l’actualité des débats entre des pensées économiques issues des cultures religieuse et philosophique.
L’ouvrage rassemble les contributions de trente-huit intervenants, universitaires pour la plupart, à l’occasion d’un colloque international qui a eu lieu en 2012. Les recherches et l’action de cinq intellectuels du XXe siècle – Henri Desroche, Louis-Joseph Lebret, Emmanuel Mounier, François Perroux, Henri Lefebvre – sont ainsi mises en perspective, et en débat. Leur modernité, leur dissidence par rapport aux pensées officielles sont interrogées. Si les quatre premiers de ce club des cinq « participent d’une logique issue de la catholicité », Henri Lefebvre, lui, inscrit son action en tant que militant et philosophe dans le cadre d’un Parti communiste français dont il a été longtemps membre et qui l’a « suspendu » en 1958 après la révélation du rapport Khrouchtchev avant qu’il en parte de lui-même. La démarche de tous ces intellectuels, les étudiés et les « étudiants », ne peut évidemment laisser indifférents ceux-là mêmes qui proclament « l’humain d’abord » et au-delà tous ceux qui se réclament d’une pensée hétérodoxe en économie et en philosophie. « Un siècle après la Première Guerre mondiale, notent les trois universitaires qui ont coordonné l’ouvrage, soixante-quinze ans après la Seconde Guerre mondiale, et près de quatre générations après Desroche, Lebret, Lefebvre, Mounier et Perroux, qui ont tous appelé d’une manière ou d’une autre à humaniser l’économie, la question est à nouveau si urgente que l’expression “économie humaine” resurgit au sein des sciences économiques. » Le renouveau de la pensée économique du PCF, l’action d’Attac et des Économistes atterrés en témoignent. Mais que pourrait être une économie humaine ? L’introduction de l’ouvrage assure qu’une économie humaine « serait d’abord une économie qui considérerait que le bon fonctionnement de l’ensemble s’évalue au bien-être des êtres humains qui forment ce tout ». Évidemment, à une cinquantaine d’années de distance, les intervenants se heurtent à la même difficulté que celle rencontrée par certains philosophes au milieu des années soixante. Qu’est-ce que l’humanisme ? La question et surtout la réponse peuvent, évidemment, donner le vertige. Les trois coordinateurs tentent de s’en prémunir en affirmant : « Le mot suggère que, s’il n’est pas possible de clairement définir ce que doit être l’humanisme, en revanche, c’est probablement par la pluralité des humanismes et leur interaction que l’on parvient à éviter le dogmatisme et finalement l’anti- humanisme. » C’est ce souci de « l’humanité » qui, de leur aveu, a conduit les organisateurs du colloque à privilégier un intellectuel marxiste de cette période parmi d’autres. Pourquoi donc Lefebvre ? Parce que « interpréter la vision marxiste de l’économie dans une perspective humaniste, c’est aussi ce que fera Lefebvre, en cela le principal philosophe communiste adversaire d’Althusser », répondent-ils. Chacun pourra faire le tri parmi ces contributions variées, contradictoires parfois. Mais l’ouvrage aide à comprendre ce qu’une certaine pensée chrétienne qui s’est illustrée par une réflexion et une action novatrices dans des domaines aussi divers que la formation tout au long de la vie, la propriété sociale et coopérative, la démocratie, a pu apporter à une pensée marxiste au travail.
L’Humanité
http://www.humanite.fr/leconomie-entre-catholicisme-et-marxisme-561521