— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Déjà en préambule, on peut dire que l’économie française affiche les premiers stigmates de la grave crise économique du coronavirus, et que la Martinique ne sera pas épargnée !
Face à la crise du Covid-19, le gouvernement a ouvert les vannes de l’argent public pour éviter notamment la faillite de nombreuses entreprises. La facture des aides s’élève à 134 milliards d’euros, selon les prévisions du gouvernement. Mais néanmoins les entreprises les plus touchées par la crise ne résisteront pas au choc, et cela engendrera des faillites et par voie de conséquence un chômage de masse . Les entreprises perdent maintenant plus d’argent que jamais, licencient à tour de bras, et voient leurs espoirs de profits à la baisse en raison de l’incertitude économique.
Des milliers de plans sociaux, avec des cortèges de suppressions d’emplois à la clé, sont annoncés ces derniers jours. Ainsi, Airbus a annoncé hier mardi la suppression d’environ 15.000 postes, soit 11% de ses effectifs, et n’exclut pas des licenciements secs pour faire face à la «crise sans précédent» subie par le secteur du transport aérien terrassé par le Covid-19, un plan aussitôt jugé «excessif» par le gouvernement français. Air France annoncera vendredi un plan de suppressions de postes portant sur 6.560 postes à Air France (16% des effectifs) et 1.025 chez sa filiale régionale HOP (37% des effectifs). le secteur du bâtiment prévoit une hécatombe sur le front de l’emploi avec 120.000 emplois en moins et 18% de recul de l’activité en 2020, c’est la dernière estimation de l’impact de la crise du coronavirus faite par le secteur du bâtiment. Les plans sociaux se multiplient dans le secteur de l’habillement et du textile.
Quant au secteur touristique de l’hôtellerie restauration, il est actuellement sous perfusion de l’Etat.
C’est sûr, l’économie risque de dépérir dès la rentrée de septembre, mais le gros sujet, c’est que toutes les générations ne soient pas sacrifiées, sinon on se trouverait avec un important problème de société en France.
En ce qui concerne la Martinique, il va y avoir deux chocs, un sur le chômage et un pour les jeunes.
En Martinique , la situation inédite de confinement de la population visant à lutter contre la propagation du virus Covid-19, est à l’origine d’un recul de l’activité économique de 20 % par rapport à une situation dite « normale », sans confinement. Cette crise économique est essentiellement dû à la baisse drastique de la consommation des ménages (-27 %). Grâce aux mesures d’aides mises en place par l’État, 2 230 entreprises ont obtenu un prêt garanti par l’État et 7 730 entreprises ont demandé un recours au chômage partiel .
Les entreprises Martiniquaises ont été mises, « sous anesthésie » après plusieurs mois d’inactivité, grâce à des mesures de transition (Prêt garanti par l’Etat, activité partielle, fonds de solidarité etc…).
Elles ne ressentent, pour l’instant que les prémices d’une crise économique sans précédent qui s’annonce.
Les conséquences économiques du confinement en outre-mer « se feront probablement sentir pendant les dix prochaines années », alerte l’Association des CCI d’outre-mer (ACCIOM), qui évalue à « 60.000 » le nombre d’emplois menacés dans ces territoires.
« Les entreprises ultramarines devraient être plus affectées par la crise que leurs homologues métropolitaines », analyse l’ACCIOM .
« Il faut tout faire pour accélérer la reprise », juge l’association, qui considère cela comme « un véritable coup dur », et appelle à « des actions volontaristes [et d’ampleur] en faveur de la consommation des ménages ».
La situation économique est alarmante. Les entreprises Martiniquaises , déjà sous capitalisées avant la crise, sortent extrêmement fragilisées de ces longs mois de faible activité.
La fatalité inéluctable de disparition, d’un certain nombre de TPE , annoncée par certains responsables d’institutions économiques ne doit pas être traitée à la légère, même si l’on sait que l’économie de la Martinique peut être résiliente.
Le « LIVRE BLANC POUR LA RELANCE DE L’ÉCONOMIE, LA SAUVEGARDE DES TPE/PME ET UNE CROISSANCE DURABLE » publié par ECF, syndicat d’experts comptables, comporte des mesures intéressantes de soutien durable, et complémentaires à celles déjà prises :
Ainsi « Structurellement endettées, les entreprises Martiniquaises ont globalement une faiblesse au niveau de leurs fonds propres. Or, elles ont aujourd’hui besoin d’être mieux capitalisées pour assurer leur survie et leur développement et être plus résistantes aux aléas économiques.
On pourrait exonérer d’impôts (IRPP et IS) les bénéfices mis en réserve et conservés pendant 5 ans, et permettre aussi une comptabilisation du Prêt Garanti par l’État (PGE) en quasi-fonds propres, et non en dettes financières, avec une durée de remboursement des titres pouvant s’étaler de 10 à 20 ans.
L’investissement serait le premier moteur de la relance de l’économie de la Martinique, et il faut saluer la décision de la CTM d’envisager un emprunt de 210 millions d’euros pour la reprise de l’économie Martiniquaise .
– Mettre en place un suramortissement de 100 % sur les investissements digitaux innovants et des investissements éco-responsables. (Digitalisation des TPE, mise en place de bornes de recharges électriques dans les entreprises…)
– Pour relancer le secteur automobile, mettre en place la récupération de la totalité de la TVA et autoriser l’amortissement sur l’intégralité du prix d’acquisition pour les véhicules propres.
-Pour relancer le secteur du bâtiment, proposer un dispositif véritablement incitatif (type Girardin).
– Favoriser la consommation locale en attribuant des chèques-vacances et titres-restaurants abondés par les Collectivités et l’Etat.
La confiance des différents acteurs économiques de la Martinique sera cruciale pour la suite, puisque le lent retour à la normale sera notamment conditionné par une reprise de l’investissement et de la consommation des ménages. Mais les craintes sur le chômage pourraient favoriser l’attentisme et les inciter à épargner plutôt qu’à consommer, d’où la confirmation du scénario en L que nous avions prévu lors d’un précédent article.
Imaginons ce qui se passerait si les entreprises n’étaient pas assez aidées.
Il y aurait des destructions d’emplois en plus grand nombre. Pas assez de création de nouveaux emplois. Moins de cotisations sociales, donc de plus grandes difficultés à financer la solidarité, au moment où les besoins seront plus vifs. Moins de revenus pour les ménages, donc de nouvelles difficultés sur de nombreux fronts.
La crainte se situe aujourd’hui sur le front social. En effet, l’Insee nous apprend dans son dernier bulletin que 29 % des Martiniquais vivent sous le seuil de pauvreté, soit deux fois plus qu’en France métropolitaine mais moins que dans les territoires d’outre-mer. Les jeunes et les familles monoparentales sont les plus concernés par la pauvreté. Les inégalités sont fortes et plus marquées qu’en France métropolitaine : les 10 % les plus aisés gagnent au moins 4,2 fois plus que le plafond des 10 % les plus modestes. Les inégalités sont également territoriales : les ménages du centre de l’île, ainsi que du Diamant, des Trois-îlets et de Sainte-Luce, concentrent les richesses. L’essentiel du revenu des Martiniquais provient des salaires (60 %). Néanmoins, les ménages les plus modestes vivent en majorité des revenus sociaux.
La situation sur le marché de l’emploi est la principale cause de pauvreté. En effet, le taux de chômage s’élève à 17 % en 2017, deux fois plus élevé qu’en France métropolitaine. À cela s’ajoute un nombre important de Martiniquais (12 % de la population) se situant à la frontière entre le chômage et l’inactivité. Le taux d’emploi, qui indique la proportion de personnes disposant d’un emploi parmi celles ayant entre 15 et 64 ans, est plus faible en Martinique : 54 % contre 65 % en France métropolitaine en 2017. Autre facteur, le sous-emploi, qui induit des salaires plus faibles, est plus fréquent en Martinique qu’en France métropolitaine (11 % contre 6 % en France métropolitaine). A titre de comparaison, le taux de pauvreté est plus élevé dans les autres DOM : à source comparable , le taux de pauvreté est supérieur en Guadeloupe, à La Réunion, en Guyane et à Mayotte (de respectivement 1 point, 9 points, 20 points et 49 points).
Pour conclure, l’on peut déjà trouver une certaine faiblesse sur le plan social en Martinique par rapport à la France hexagonale, mais force est de constater qu’elle dispose de plus d’atouts que les autres DROM pour affronter cette crise du Covid 19. Nonobstant les problèmes politiques qui empêchent un fonctionnement optimal de la CTM, l’on peut tout de même être optimiste sur la capacité de l’économie Martiniquaise à affronter les enjeux de demain. Toutefois, il faudra faire attention à ce que la soudaineté et la violence du choc causée par le Covid 19, ne risquent pas de paralyser la réflexion sur l’urgence sociale . Or il est plus important que jamais de bien anticiper les risques sociaux à venir pour les Martiniquais .
Jean-Marie Nol, économiste