— Par Mireille Jean-Gilles —
Ce n’était pas une usine, pas une prison, pourtant on aurait pu y penser, c’était immense, plein de cellules,plein de salles, en fait, en définitive, il m’a semblé qu’il ne s’agissait banalement que d’une école, ce n’était pas la sortie de l’usine, il ne s’agissait que de la sortie des classes, des classes d’enfants petits et criards ou moyens et goguenards. La prison, pardon l’école, avait en son sein un nombril, un nombril immense qui devait sans doute correspondre à ce que l’on appelle une cour, la cour était enfin muette car en moins dix minutes toute l’école fut désertée, le signal avait été donné pour qu’enfin les lieux fussent évacués, il était cinq heures.
Maintenant que je me retrouvais seule au sein au coeur de cette immense cour qui pouvait bien être le nombril du monde, je pouvais jouir d’une sérénité étrange, les portes des classes étaient ouvertes, les lampes en lumière, les femmes de ménage oeuvraient, quelques bruits ici et là, quelques jeunes dames que je rêvais maîtresses d’école car en les voyant s’affairer et traîner dans les lieux tout en voulant les quitter, je pouvais imaginer mille voix, mille voix d’enfants : « Maîtresse, maîtresse », « Bonjour maîtresse », « Pardon maîtresse », « Je t’aime maîtresse », ces jeunes dames que je rêvais maîtresses d’école avaient le visage ferme, et une ombre de lassitude et de tristesse dans les yeux, la lassitude c’est banal, mais la tristesse, pourquoi ? Elle est non moins banale,mais je pense que c’est ma propre tristesse que je recherchais vainement dans les yeux de ces jeunes dames que je rêvais maîtresses d’école, pourtant, je me questionnais, pourquoi tant et tant de tristesse dans leur regard après une journée toute emplie d’émotions enfantines et pourquoi avais-je eu cette sensation de prison quand l’école était débordante d’enfants, l’espoir de toute humanité même décadente, je ne sais, je sais une partie, mais qu’importe je me questionnais, et maintenant que cinq heures étaient passées et que je me retrouvais seule dans cette cour d’école, j’avais l’impression d’avoir une planète pour moi toute seule, les murs de la cour, une partie était emplie de couleur bleue, un peu de jaune, beaucoup de vert, absolument pas de rouge, outre les couleurs, des formes aussi apparaissaient, une tortue, un jaguar, des oiseaux, la sérénité de la forêt guyanaise plus bleue que verte sur les murs de l’école.Dans un coin de la cour, un manguier, plein, plein de feuilles, on eut dit que sa seule finalité fût de porter des feuilles, plein et plein de feuilles vertes, un petit tronc à peine visible, hauteur un mètre, un mètre cinquante et au moins assurément 15 mètres le long desquels s’étendaient s’étalaient s’empilaient les feuilles vertes. Dans ce nombril du monde, avec le calme retrouvé, je rejetais bien loin cette sensation de prison qui en ce moment devenait scandaleuse pour le cœur, les yeux et même, devrais-je l’avouer, la raison. Mais mes yeux s’en allaient par ailleurs, et scandalisée, je m’apercevais qu’en définitive seuls les bleus verts jaunes du mur d’école et ce manguier qui aurait tant à conter si je pouvais le comprendre, en définitive, scandalisée, je me réveillais et m’apercevais que seuls ces éléments apportaient une âme, une belle âme à l’école, et là, je ne pouvais même plus invoquer ma mélancolie pour justifier ce sentiment de tristesse sans pareille qui se dégageait des lieux. Le préau en particulier, lieu de jeux privilégié par temps de pluie, était terne, aucune couleur, seulement quelques mètres entremêlés pour créer un espace carré ou rectangulaire, en tout cas un espace géométrique sans intérêt, pire encore on pouvait apercevoir des lavabos qui annonçaient d’autres lieux où les vapeurs odeurs n’autorisaient même pas à penser qu’il y fût possible d’entrevoir des couleurs, en réalité, à l’exception des murs de ce nombril du monde et des feuilles follement vertes du manguier, tout n’était que misère et désolation. Néanmoins, quelques signes de bonheur illuminés parvenaient à s’imposer à mon cœur embué d’images monotones, ces signes de bonheur, mes yeux les apercevaient au loin, il s’agissait des classes bien sûr, les portes entrouvertes laissaient paraître quelques traces de tableaux noirs ou verts, je n’arrivais pas vraiment à les distinguer, guère plus que les autres éléments entassés ou constitutifs des classes, mais je pressentais que chaque classe devait être une oasis de bonheur, pleine de couleurs, pleine de dessins d’enfants, des couleurs, du bleu rêveur au pourpre impétueux, mille couleurs enfantines et aussi pleine de papiers collés aux murs par les maîtresses d’école malgré ma mélancolie noire dans leurs yeux, mille feuilles de papier préparées avec lassitude ou par amour et collées sur les murs comme autant d’œuvres d’art pour amplifier la vie et la joie des murs éclatants de couleurs et de formes multiples des classes d’enfants. Alors, je ne savais plus, un vertige, puis un autre, bonheur, tristesse, je ne savais plus, aimer, haïr, nombril du monde, prison, je ne savais plus, magie, désolation, les façades hostiles pour lesquelles il semblerait qu’il ait été adjoint l’ordre aux architectes de se défouler dans le laid, le laid pour le laid, et puis les feuilles follement vertes du manguier, les enfants qui s’émerveillent, l’ivresse du monde, les enfants qui braillent, l’enfer, en ce lieu, tout n’était qu’un et son contraire à la fois, je ne savais plus, alors ne plus chercher, seulement se laisser emporter par le flot des vagues, belles ou hideuses, le flot des vagues de l’école avec en son sein le nombril du monde.
Mireille Jean-Gilles