— Par Yves-Léopold Monthieux —
Ainsi donc, Serge Letchimy devient le deuxième président de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) avec une voix de majorité. Il redevient en quelque sorte le Mister Président of Martinique qu’il a pu apparaître aux yeux des pays de la Caraïbe lorsqu’il était président de la Région. En effet, en cette dernière qualité il avait eu, pas seulement à l’étranger, la préséance par rapport à sa collègue du conseil général qu’il avait contribué à faire élire, Josette Manin. Sauf l’estime que j’ai pour Lucien Saliber, il devrait en être de même à l’égard du président de l’Assemblée que Serge Letchimy a choisi. On aura vu l’utilité de la disposition statutaire qui fut la plus contestée de toutes, la bonification de 11 élus accordée à l’équipe gagnante. Sans celle-ci l’assemblée serait peut-être ingouvernable aujourd’hui.
Ce n’est pas la première fois que la majorité l’emporte d’une voix, la plus courte qui soit, laquelle n’a jamais nui, en Martinique, au bon fonctionnement de la collectivité concernée. A l’inverse, les troubles des deux dernières assemblées (Région et CTM) sont la preuve que les fortes majorités ne sont pas des gages de sérénité. Celles-ci donnent plutôt un sentiment d’écrasement de l’opposition !
Un peu d’histoire. En 1983 le Pacte global d’unité construit par Camille Darsières avait mis la Gauche à la tête de la nouvelle collectivité, la Région. Le président s’appelait Aimé Césaire alors que c’est le vice-président sus-nommé qui était aux manettes. Déjà, une voix de majorité avait suffi à la coalition des partis PPM, PCM, FSM et PKLS. Il y eut cependant une absence de taille, le MIM qui, par la voix d’Alfred Marie Jeanne, avait bruyamment condamné le moratoire d’Aimé Césaire. On ne saura jamais s’il s’agissait de la part du patron du MIM d’un sentiment profond ou si l’occasion était bonne pour affronter celui auquel il voulait se mesurer. On a bien dit que Pierre Aliker avait voté contre le moratoire, or ce cacique du PPM s’opposera ensuite, en 2003 et 2010, à toute tentative concrète d’évolution statutaire.
Bref, après que les 2 élus indépendantistes du PKLS eurent quitté la majorité de la Région, la nouvelle équipe de gauche qui fut élue, 3 ans plus tard, fut encore majoritaire d’1 voix. Dans l’intervalle, étant devenue majoritaire de fait au sein de l’assemblée, la Droite n’avait pas profité de ce mauvais pas subi par la gouvernance de la Région pour entraver la bonne marche de cette collectivité.
Puis arriva 1989, le moment de la bascule politique définitive de nos assemblées était arrivé. La Gauche obtenait au Conseil général la majorité avec 1 voix d’avance, dont celle du conseiller général Alfred Marie-Jeanne qui avait décidé de la rejoindre. Il allait faire payer ce ralliement à Darsières et à Georges Elisabeth, le maire-conseiller général de Rivière-Salée, avec lequel il « nourrissait un petit cochon ». Le choix de Claude Lise, dignitaire du parti le plus important de la Gauche paraissait s’imposer. C’est alors que l’animosité entre les deux dirigeants du PPM connut un cap. Sans qu’aucune raison n’ait été avancée, le secrétaire général du PPM avait décidé que son camarade ne serait pas président du conseil général. Il proposa la candidature de Georges Elisabeth à laquelle seul Marie-Jeanne allait s’y opposer. En revanche, celui-ci s’était dit prêt à voter pour Claude Lise et la persistance de leurs choix respectifs avait permis la réélection du président Emile Maurice, au bénéfice de l’âge. Avec son bulletin blanc brandi, recto verso, face à l’assemblée, Alfred Marie-Jeanne avait ainsi dégagé la voie qui devait conduire Claude Lise, 3 ans plus tard, à la présidence du conseil général. Aux dires des intéressés, le couple Maurice – Lise s’entendit fort bien.
Nul ne sait ce qu’il adviendrait de la carrière de Claude Lise en l’absence de ce « blan douvan blan dèyè » qui avait écarté définitivement Georges Elisabeth de sa route vers la présidence. De la part d’Alfred Marie-Jeanne, était-ce déjà une bonne manière faite à la Droite ? Le passage définitif à la Gauche avait connu un bégaiement de 3 ans.
Fort-de-France, le 6 juillet 2021
Yves-Léopold Monthieux