« VISAGES » : Une Exposition du Centre d’Arts Entre Nous & Co jusqu’au 30 Avril 2022
— Par Christian Antourel —
Levinas nous apprend à faire de la philosophie non plus une somme de connaissances et de concepts bien utiles pour se diriger dans l’existence, mais une éthique un geste où l’autre nous fait exister en tant que sujet libre. Il y a dans le visage de l’autre, un ordre adressé à chacun d’entre nous. Un ordre qui ne vient d’aucun signe ordinaire de commandement, qui ne dit pas ce que nous devons faire, qui ne fait pas signe. Mais cet ordre invisible vient de la communication instantanée, intime qui s’établit entre l’autre et nous. Le visage c’est l’irruption de l’autre dans notre existence.
Ce que nous voyons matériellement de l’autre c’est d’abord son visage. Il s’adresse à chacun de nous, nos regards se croisent. Il peut même arriver qu’il nous soit difficile de regarder quelqu’un « en face » dit-on, parce qu’il y a en lui quelque chose qui nous gêne, nous soit insupportable. Restons sur le visage visible, celui d’un autre jamais atteint. Ce visage entrevu de l’autre ne serait-il pas la marque du désir. Portraits et visages, des face à face ? Pas toujours, car le visage et le portrait, plus exactement la partie qui figure le visage dans le portrait ne sont pas malgré leur voisinage intimes des synonymes. Le portrait ne se limite pas uniquement au visage même si c’est cette partie de la personne qui reste souvent la partie focale, quand bien même chacun usant d’une technique différente, peinture, sculpture, photographie. Dans son dernier ouvrage « Le spectateur émancipé » le philosophe Jacques Rancière s’interroge sur le « modèle pédagogique de l’efficacité de l’art. Nous sommes d’accord avec lui pour dire que l’efficacité politique de l’art ne consiste pas seulement à transmettre des messages mais « consiste d’abord en dispositions, des portraits en découpages d’espaces et de temps singuliers qui définissent des manières d’être ensemble, ou séparés, en face de ou au milieu de, dedans ou dehors, proches ou distants »
Décrire in extenso toutes les œuvres des artistes exposants par le menu évacuerait le concept de la découverte spontanée. Le problème réside, en premier lieu, dans les rapports tissés entre les mots et les images. Validant un modèle de relation qui consiste à transmettre des messages sur l’harmonie des œuvres mais d’aucune manière sur une ligne de raisonnement directeur.
« Le portrait une évidence ? »Dans « VISAGES »Toute nue ou habillée, une série d’œuvres explore les différences d’expressions sur les visages. Un seul regard au choix des portraits montre la diversité, les différentes variations de la forme des œuvres, relevant de la volonté de l’artiste. Portraits serrés ou larges, en pied en buste, ou en gros plan, intimes ou officiels, seuls ou en groupe. Ici, nous voyons que le visage lui-même introduit dans le domaine artistique, ne se transforme pas nécessairement en portrait. Les œuvres utilisent des techniques sophistiquées pour traduire en un langage dépouillé un univers existentiel composé de personnages fragiles et éphémères. Comme dans une chorégraphie sans cesse recommencée, des visages se rassemblent, en nombre, puis se séparent, s’isolent. Un code de communication semble relier les portraits, créant entre eux une irrésistible humanité complice. Mais un doute subsiste. Un détail nous a peut-être échappé. On retourne au point de départ pour recommencer la visite. Un autre monde, cocktail d’images figurées d’esthétique exquise, apparaît, alliant finesse du trait et force de l’évocation, capable de combiner dans l’œuvre la puissance et une douceur angélique d’une beauté presque hallucinée. Le désir d’être entrainé dans une histoire quelle qu’elle soit, belle ou même pathétique, se révèle être plus fort que le sens critique. Les œuvres d’art ne sont pas seulement un moyen de ponctuer la scénographie. Elles sont vectrices de sens et explicitent le discours en le décalant, en l‘illustrant…
Où les artistes prendraient-ils leurs idées, où puiseraient-ils le courage d’inventer s’ils ne sentaient derrière eux, ces réserves qui font vibrer, entre enfer et paradis, des portraits, des visages, toute la beauté du monde ? Voici donc en survol l’inspiration de quelques artistes, lorsque « VISAGES » leur murmure à l’oreille.
JULIE.A « Visages de la guerre » Mine graphite et papier. On a ici un tryptique de tableaux, par leur. jeu de dualité apparente. De loin un ample visage féminin, se dessine et se distingue par une expressivité douloureuse, suivie en s’approchant d’une multitude de petits visages. Reflets de la peur, la résignation, l’effroi ou d’une tristesse, qui explose comme une bombe en mille fragments épars de cris de souffrances éclatés. Des regards angoissés, répétés et bouches entrouvertes en un rictus de douleur qui illustrent l’horreur de la guerre.
VICTOR ANICET Céramiste, lui, expose 7 visages négroïdes empreints de noblesse au regard fixe, mais non statique, remplis de détermination, car tout se joue dans ces regards qui captent le spectateur et lui disent la force, la colère de ces jeunes guerriers qui défendent leur dignité.
CHRISTOPHE MERT « Mémoire sensible – l’individu » Dans ce tableau apparait la silhouette de profil d’un visage masculin encadré d’acier noir et de coupures de papier journal. Il s’en dégage une impression de force jugulée, de parole contrariée, de mémoire entravée. La puissance sourd sous le calme apparent de celui qui regarde droit devant lui.
MOEY « J’existe II- Percevoir sans voir, parler sans dire » Un homme aux lèvres maquillées, yeux habillés de feuilles collées sur le visage, rappelant des plumes. Drôle d’oiseau, expressif dans son mutisme parlant…
MARIE GAUTHIER « Portrait retiré »Huile sur toile. Impression d’étrangeté face à des visages encadrés d’une chevelure abondante mais à la face marbrée de signes comme cabalistiques. Chaque visage semble une énigme à déchiffrer porteuse d’un paysage intérieur qui lui est propre, avec des pensées d’un calme qui se révèle dans l’encadré de la petite fenêtre bleue apparaissant sur la droite du tableau. Le moi semble se confondre avec l’autre et le « dire » n’a plus besoin ni des yeux, ni de la bouche pour s’exprimer.
MAURE « L’infini de soi, mystère de l’être, ou suis-je derrière ma peau » Acrylique sur bois, faitout alu acrylique. Quand il y a « transposition de la casserole qui nourrit le corps, à la tête qui nourrit l’esprit », et la casserole peinte a l’intérieur, avec ses deux oreilles figure la profondeur, le mystère de tout ce que l’on ignore.
La dynamique de l’interprétation Visage et portait, visage ou portrait est activée et rien ne va plus l’arrêter.
Jusqu’au 30 Avril 2022.
Au Centre d’Arts Entre Nous & Co
Centre d’activités de Bellevue
Corniche 3 /1er étage
Fort de France.
Le Mercredi 14h00 – 17h30
Le Vendredi 14h00 -17h00
Le Samedi 10h30 -18h00
Victor Anicet – Christophe Mert
Martine Baker – Mickaël Caruge
Claude Cauquil – Marie Gauthier.
Vincent Gayraud – Hamid
Julie.A – Moey
Maure –
Entrée Libre.
Contact : 0696 85 88 77. Christian Antourel.
Mars 2022